samedi 10 octobre 2020

Aux sinistrés de toutes les crues de l'histoire

 

Léopold et Josette





Il était une fois de braves gens qui par un curieux clin d’œil de la destinée se prénommaient Léopold et Josette. C’est d’ailleurs en leur mémoire que va se dérouler sous vos yeux ce récit qui n’est pas seulement le fruit de l’imagination. Ce qu’il décrit s’est réellement passé sur le bassin de la Loire. Que de pareils drames se déroulent aujourd’hui sur une autre rivière prouve bien que jamais les humains ne retiennent les leçons du passé. Acceptez donc de suivre mes pas en prenant bien des précautions.


 


Léopold et Josette furent enfants d’une Loire qui durant leur vie montra bien des aspects rebutants pour qui vit à ses côtés. Leur venue au monde fut pour l’un comme pour l’autre marquée par les emportements de la rivière indocile. Léopold naquit en janvier 1789, un terrible hiver durant lequel pendant cinq semaines, il gelait à pierre fendre. Les arbres fruitiers mouraient sur pied tandis que certains affirmèrent avoir vu tomber des oiseaux en plein vol, morts de froid.



La mère de Léopold eut grande peine à maintenir en vie un nourrisson qui subissait les morsures du gel. La famille n’était pas bien riche, le bois était compté et d’ailleurs il n’était plus possible de le fendre. Pire encore, le vin gelait dans les barriques qui explosaient sous la pression du liquide figé. La désolation n’était pourtant pas à son comble. Une vague gigantesque suivit la débâcle, le dégel de l’immense banquise qui s’était formée sur la Loire. Ce fut une catastrophe terrifiante et beaucoup de gens perdirent tout.


Josette quant à elle naquit en novembre 1790. Elle fut elle aussi baptisée sous le signe de l’effroi. La Rivière connut une crue terrifiante qui emporta bien des demeures de notre val. Les levées n’y suffisaient plus pour endiguer les flots furieux et impétueux. Les ligériens n’avaient d’autre issue que la fuite pour sauver leur vie, perdant le peu qu’ils avaient péniblement accumulé au long d’une rude vie de labeur.



Josette avait grandi avec ce drame qui revenait sans cesse dans les récits de son père qui avait perdu un frère qui s’était porté au secours des miséreux avec une petite barque bien trop légère dans la furie du courant. La prudence eut été pour eux de se marier et de vivre loin de cette Loire qui constituait une sourde menace. Mais pourquoi aller ailleurs quand on a quelques lopins de terre, deux ou trois arpents de vigne et quelques bêtes ?



Léopold et Josette avaient unis leurs existences. Un mariage tout simple, une cérémonie à la mesure de leurs modestes moyens d’autant que, pour les jeunes époux, le destin leur joua une nouvelle facétie dont il a, hélas le secret. Nous étions dans l’hiver 1812, un froid terrible avait saisi l’hémisphère nord. Le Saint Laurent était en glace, la Bérézina sonna le glas des rêves de Napoléon et la Loire ne voulut pas être en reste.


Cette petite période glaciaire achevée, le jeune couple avait hérité de la petite ferme paternelle de Léopold. Une vie harassante les attendait au pied d’une levée qu’ils espéraient protectrice. Léopold avait consacré une énergie folle à transformer la masure où il était né pour en faire un logis agréable. Josette avait largement contribué à son aménagement en jouant avec amour et adresse des aiguilles et du crochet. Ils étaient bien chez eux et ils accueillirent avec un immense bonheur un enfant qui avait tardé à venir en Décembre 1825.



Le mauvais œil ne les avait pas quittés. La Loire une fois encore s’était ensauvagée. Elle avait envahi le val avec une violence terrifiante. Léopold avait sauvé les bêtes en les envoyant sur un tertre dont les anciens lui avaient enseigné l’existence. Sa maison avait subi l’assaut de l’eau, une désolation certes mais il n’y avait pas eu fort heureusement de vies perdues.



Ils étaient jeunes, ils se remirent au travail pour nettoyer la boue, refaire ce qui avait été emporté par les flots. Éternel recommencement pour des gens qui passaient leur existence à travailler, jouissant si rarement de loisirs et de temps libre. Ils ne se plaignaient pas, la vie était ainsi faite pour les riverains. La Loire apportait richesse ou désolation selon une logique qui lui était propre. Il fallait l’accepter et respecter la grande dame.


Josette allait fêter ses cinquante-six quand de nouveau le malheur vint frapper à la porte. Le couple n’eut pas le temps de dire, comme ils en avaient l’habitude : « Finissez de rentrer ! » La Loire s’était conviée à leur table sans y être invitée. Une vague soudaine en octobre 1846, une force de bête sauvage qui avait tout détruit. Les vaches avaient péri noyées, seul le cheval avait été sauvé. Pour le reste, la maison était sens dessus dessous comme si elle avait été traversée par une horde sauvage.



Ils pleurèrent beaucoup, se désolèrent pour les voisins qui n’avaient pas eu autant de chance qu’eux puisqu’un de leurs enfants avait péri noyé. Ils se tinrent les coudes, s’entraidèrent les uns les autres, bénéficièrent de la solidarité de l’église et de l’état. Ils se remirent au travail, reçurent un temps le réconfort et les dons de ceux qui avaient échappé à cette nouvelle misère.



Ils avaient encore du courage et une nouvelle fois, ils redonnèrent à leur demeure une apparence convenable. L’argent manquait mais pas l’obstination et le courage. Tout allait pouvoir recommencer, leur fils fort de ses 21 printemps était bien décidé à prendre leur succession. C’était pour eux une source supplémentaire de motivation. Tout fut remis en état.


Dix ans plus tard, le couple vieillissant était moins alerte. Aux douleurs du corps s’ajoutaient le regret d’avoir vu leur enfant partir pour aller s’installer dans une faïencerie à Saint Benoît-sur-Loire. La terre n’assurait ni une vie tranquille ni un revenu régulier. Il venait parfois rendre visite à ses parents qui se désolaient de voir disparaître prochainement cette petite ferme si peu rentable.



Le sort une fois encore s’acharna sur eux. Là-haut, très loin dans les hauteurs Cévenoles, l’industrie ayant un besoin toujours plus grand d’énergie, on avait abattu des forêts entières. En juin 1856, les orages avaient provoqué des vagues de boue qui avaient grossi les petites rivières. La Loire montait à vue d’œil, rien ne pouvait l’arrêter, les levées cédaient, des brèches se faisaient, véritables pièges mortels pour qui se trouvait derrière.


Ils eurent la chance d’échapper au pire mais ils virent partir l’écurie, le poulailler et la porcherie, le matériel agricole qu’ils avait acquis patiemment. Leur demeure une fois encore fut chamboulée. Ils ne durent la vie qu’à la venue d’un marinier qui vint à leur secours alors qu’ils étaient perchés sur le toit de la maison.



Quand ils revinrent quelques jours après, ils se rendirent compte de l’étendue des dégâts. Fort heureusement l’été leur apporta ce supplément d’énergie qui leur permit de rebondir. Ils se contentèrent cette fois de réaménager le strict minimum. Ils réduisirent une nouvelle fois leurs besoins et ce qu’on appelle étrangement la voilure de leur petite exploitation agricole. Désormais ils auraient juste de quoi survivre, à leur âge ils ne demandaient qu’une chose, que la rivière les oublie à jamais.


Ils ne furent pas exhaussés. En septembre 1866 ce fut pire encore. Le monde occidental entrait dans sa révolution industrielle. Il fallait plus de bois, plus de sable, plus de charbon encore. De cette folie, la Loire s’emporta comme jamais elle n’avait fait jusqu’alors. Une vague sans précédent de mémoire submergea le Val dans son entier. Les levées rehaussées à la va vite sous Napoléon III cédèrent en mains endroits et justement au pied de la masure de Léopold et Josette.



A bout de force, d’espoir et d’envie de recommencer, ils se laissèrent ravir par celle qui avait jalonné leur existence de pierres noires. Ils n’avaient plus la force de résister, ils furent emportés comme fétus de paille. On ne retrouva jamais leurs corps. La Loire certes mais surtout la folie des humains avaient eu raison d’eux.


Cette histoire ne fut pas unique. Il y a dans les mémoires des ligériens bien des souvenirs analogues. Cela n’empêcha nullement les plus malins, les moins prudents, les plus avides de construire et de laisser bâtir des milliers de maisons en zone inondable. Un jour où l’autre la Loire se rappellera elle aussi à leur bon souvenir. Il y aura alors d’autres Léopold et Josette à pleurer.


Mémoriellement leur.


 

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