samedi 24 octobre 2020

Comme un poisson dans l’eau.


Espace Halieutique 

pour Poissons Accablés de Douleurs

 



    Entre conte et réalité se glisse parfois une fable ou bien, une simple fantaisie. Laissez-vous mener parle bout des rêves, l’important est de rester à flot sans jamais perdre pied dans ce monde si curieux.


Le vieux brochet




Un vieux brochet aux aguets
Guettait sa future proie
C'est un goujon en tournée
Qui vint s'offrir à son choix

Il s'avança sous son nez
Innocent et fort placide
Le carnassier alléché
S'il s'était montré avide
N'en aurait fait qu'une bouchée
Sans la moindre distinction
Quand avant de l'avaler
Le gourmand eut un soupçon

Cette onde était si troublée
Il percevait quelques signes
Incitant à se méfier
De la friture sur la ligne
Brochet retenant son geste
Bouche bée lors se figea
Devant goujon qui du reste
Se refusait au trépas

 


« Je ne suis pas aussi frais
Que mon ami le gardon
Son œil rouge vous effraie
C'est tromperie de luron ! »
Brochet se dit dans l'instant
« Je me fais végétarien »
Et goujon reconnaissant
Lui octroya du vieux pain

Le croûton était si dur
Qu'il se brisa toutes les dents
Ainsi finit l'aventure
Du carnassier en pâture
Qui mange dans le courant
Se méfie des poissons blancs
Ils ne sont pas bon conseil
Eux et tous leurs pareils

Le vieux brochet aux aguets
Attendait son futur mets
C'est un mitron en tournée
Qui lui offrit sa fournée


Épilogue

   Le malheureux carnassier édenté, las de manger du pain sec bien qu’il lui fut jeter dans l’eau, se dit que vu son grand-âge, il pouvait bien prétendre se réfugier dans un EHPAD : Espace Halieutique pour Poissons Accablés de Douleurs. D’autant plus que dans l’onde pure un mal sournois se répandait parmi ses congénères.

    La maladie rénale proliférative se répand comme une traînée de poudre dans les rivières depuis que la température des eaux monte de manière excessive. Les symptômes sont terribles, les victimes ne s'intéressent plus à leur environnement et prennent une coloration foncée. Leurs yeux gonflent tandis que le ventre se fait plus volumineux.

    Un parasite présent dans l’eau attaque les malheureux en pénétrant dans leur organisme par les branchies. Les autorités piscicoles ont décrété le port d’un filtre autour des ouïes. La chose n’est pas simple à porter et encore moins à se procurer d’autant que la zone de production provient essentiellement du fleuve Yangzi dit aussi le fleuve bleu.

    C’est d’ailleurs une peur bleue qui a gagné toute la population fluviale, les poissons tombant comme des mouches. Les pertes sont estimées entre 10 et 15 % des individus ayant contracté le parasite. C’est ainsi que devant cette terrible menace, notre pauvre brochet décida d’aller demander une place dans un EHPAD.

    Il remplissait le formulaire d’inscription quand une libellule bien intentionnée suffisamment rapide pour ne pas être gobée par son interlocuteur, l’informe des mesures sanitaires que vient de prendre le grand conciliabule central de la rivière. Les vieux spécimens terminant leurs jours dans un tel espace de relégation ne seront plus admis dans les centres médicaux en cas d’infection. C’était à coup sûr la mort, une simple accélération du processus aurait dit le jeune poisson plein de vigueur qui commande à la troupe.

    Notre vieux brochet jette immédiatement son formulaire. Quoique édenté, il se sent encore plein de vigueur et capable de résister à l’odieux parasite. Il se met en demeure de changer son régime alimentaire. Lui le carnassier qui s’était satisfait de pain, ne peut plus compter sur la charité humaine. Il convient de se tourner vers les ressources locales.

    Après avoir attentivement observé les carpes qui comme chacun le sait sont originaires de Chine, ces dernières sont plus en mesure de répondre aux nouveaux défis de cette époque. Elles se contentent de se mettre sous la dent, formule assez malheureuse pour notre brochet, tout ce qui traîne au fond de l’eau.

    Notre brochet se fait alors omnivore, préférant les aliments issus de la décomposition. Il perd ainsi de sa superbe tout autant que son titre de prédateur. Il conserve une dent contre le pouvoir qui méprise ainsi les anciens. Il songe d’ailleurs à saisir le tribunal international de La Haye pour crime contre l’humanité vieillissante.

    Tout édenté qu’il est il n’en conserve pas moins son mordant et sa pugnacité. C’est ainsi que le ban et l’arrière ban du Grand conciliabule tombent dans les rets d’une justice totalement indépendante des courants nationaux. Le vieux brochet s’illustre comme le poisson pilote de la révolte des gueux, un juste retour des choses pour une histoire qui ne s’achève pas en queue de poisson.

    Il vécut le reste de son âge, heureux dans un univers où chacun est traité dans la même dignité quel que fut son âge et sa condition. Il se dit parfois qu’il ferait bien d’expliquer aux humains que ceci était possible, mais avec ceux-là, il n’est jamais facile de leur faire entendre raison. Il préfère se contenter de ce qu’il a obtenu pour ses semblables. Après tout, ce qui se passe hors de l’eau, n’est pas de son ressort.





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