mercredi 22 juillet 2020

L’île aux vaches.

L’échappée belle.
 



    Il était un temps où les îles de Loire étaient entretenues gracieusement par les animaux qui y paissaient tranquillement sans nul besoin de clôture. Les bêtes : caprins, bovins, porcins y étaient conduits en charrière, abusivement appelées Passe-cheval car les chevaux de traits goûtaient moyennement l’aventure et avaient bien moins usage de ce large bateau que leurs homologues brouteurs.

    Les animaux sur l’île vivaient au rythme de la journée sans avoir à se soucier des humains. Ils broutaient et avaient ainsi un rôle non négligeable dans l’entretien de la rivière. Grâce à ces pâtis, ces pâtures libres et naturelles, les crues des mauvaises saisons risquaient moins de rencontrer des arbres au milieu de l’eau.

    L’histoire débute à Lusseaux en amont de Montlouis-sur-Loire. Les vaches du père Gaston paissaient sereinement dans l’île de la Montjoie. Elles s’y sentaient en sécurité, habituées qu’elles étaient à y passer la belle saison en une époque lointaine où les vacances étaient inconnues de leurs maîtres. Elles prenaient leurs quartiers d’été après une traversée qui leur aurait fait tourner le lait si elles avaient été des Prim’Holstein, vaches flamandes ou bien des frisonnes au pis noir. Mais c’étaient de braves bêtes bien de chez nous, des Charolaises et des Nantaises qui cohabitaient sans heurts.

    Le fermier avait placé son cheptel dans un joyeux désordre. Le transbordement du troupeau n’était pas chose facile, la vache est récalcitrante quand il convient de mettre le pied sur un bateau qui tangue. Puis quand elle est installée, côte à côte avec ses voisines, assez serrées pour qu’elles ne pensent pas à sauter à l’eau, elle demeure inquiète. la bourde, cette longue perche destinée à moivoir l’embarcation effraya nos jeunes parturientes.

    Nous étions en juin, Gaston avait une nièce qui se mariait du côté de Baule, près d’Orléans. Elle allait épouser un fermier qui tenait l’exploitation de la corne des pâtures. Un nom qui avait tout lieu de plaire à son oncle. Gaston, tout affistolé pour la fête avait pris la diligence, s’éloignant de son chez lui pour quelques jours, un évènement rare à l’époque. Poules et cochons avaient été confiés à la surveillance d’un voisin tandis que les vaches étaient sous le regard bienveillant de dame Liger.

    C’est donc l’esprit tranquille que notre Tourangeau se rendit chez les cochons de Baule. Décidément entre les chats de Beaugency, les cochons de Baule, les ânes de Meung et les chiens d’Orléans, il y avait une drôle de ménagerie dans ce secteur de la Loire. En Touraine, la douceur de vivre ne pousse pas à pareils sobriquets idiots. Fort ce ces réflexions savantes, le gars Gaston, tout émoustillé à l’idée de boire et manger plus que son saoul avait omis de s’enquérir du temps.

    Il avait remarqué que les hirondelles volaient bas, que le ciel « s’abeurnissait » et qu’un je ne sais trop quoi remplissait l’air d’une étrange nervosité. Sitôt embarqué dans la diligence, les premières gouttes d’eau tombèrent et ne cessèrent de tomber ainsi durant tout son séjour.

    Le mariage, largement arrosé, sera effectivement heureux et les époux vécurent entourés de l’affection de leurs nombreux enfants. Mais n’anticipons pas, l’aventure ne se passe pas à la corne des Pâtures mais au museau et aux poils des vaches de l’île de la Montjoie.

    Tandis que Gaston cuvait comme un bien heureux, les pluies d’orage incessantes avaient fait monter dangereusement le niveau de la Loire. Les vaches avaient les pieds humides tandis que leur maître n’avait pas mis d’eau dans son vin. La Loire montait de plus en plus, à une vitesse telle que nul ne songea à Lusseaux aux bêtes du noceur. Chacun avait bien assez à mettre à l’abri et devait échapper à la colère des cieux.

    Sur l’île les pauvres bêtes beuglaient tout ce qu’elles pouvaient, appelant au secours, de l’eau jusqu’aux jarrets. C’est alors, qu’averti pour ce bruit d’enfer, un homme vint à leur rencontre sur une allège, un bateau qui dans la tourmente de la rivière, tanguait fortement.

    Les vaches le regardèrent d’un œil bovin, doutant de leur capacité à monter sur ce qui devait leur servir de perche de salut. Elles firent tant de raffut que le malheureux sauveteur s’en retourna dépité de n’avoir pu leur être utile. Fort heureusement, il ne fit pas chou blanc, des lapins étaient eux aussi prisonniers des flots et sautèrent lestement dans son bateau, eux ne s’étaient pas fait tirer les oreilles... 

    L’homme regagna la rive, libéra les lapins et se garda bien de retourner sur ce qui restait de l’île. Il se doutait que la cause était entendue pour les vaches qui allaient périr noyées. Chacun croyant ici que cette espèce se noie en prenant l’eau par le fondement, une rumeur infondée nous allons nous en rendre compte dans l’instant, il se signa et s’en retourna chez lui, ne voulant pas être le témoin impuissant du drame à venir.

    Ne pouvant faire autrement, les vaches se jetèrent à l’eau. Elles n’avaient d’autre secours que de se laisser porter par les flots en tenant le milieu du courant. C’est ainsi qu’à la queue-leu-leu, les intrépides se laissèrent porter, confiant leur destin à la rivière nourricière. Vous dire qu’elles vivaient sans appréhension ce bain forcé, serait ne pas dire la vérité. Des beuglements pathétiques accompagnaient ce curieux cortège tandis que la rivière en colère se couvrait d’un brouillard épais.

    À Montlouis, à quelques kilomètres delà, les habitants avaient tous gagné leurs domiciles, cherchant sous leur toit à se garder au sec dans cette terrible tourmente. Seul le Berlaudiot, au bord de la Loire, qui avait toujours aimé la pluie, chantait sous ce déluge. C’est alors qu’il crut apercevoir dans les brumes un étrange convoi constitué de cornes qui dépassaient des flots en émettant une plainte à vous déchirer le cœur. Ahuri, il admira ce prodige en se signant, persuadé que le diable et ses associés étaient cause de ce tintamarre.

     Pour son malheur, le pauvre simplet alla raconter sa vision à monsieur le curé et à quelques autres personnages de la cité. On le savait dérangé de l’esprit, on se dit que cette fois, c’était la goutte d’eau qui faisait déborder sa calebasse. Il fut envoyé à La Ronce et n’en revint jamais. Montlouis avait perdu son souffre-douleur sans s’en porter mieux pour autant.

    Sur l’eau, les vaches continuaient leur périple. Elles tenaient vaillamment la distance, nageant ou plus exactement se laissant porter à la fantaisie de cette vague furieuse. C’est en arrivant à Tours qu’elles purent enfin mettre les sabots à terre, sur un promontoire au milieu de la Loire. Il n’y avait guère de place mais assez pour qu’elles se tiennent au chaud en attendant des jours meilleurs.

    La colère du ciel s’interrompit. La rivière retourna petit à petit à de plus sages intentions. Les eaux baissèrent et notre troupeau se retrouva sur une nouvelle île, en face de la ville de Tours. L’émotion avait été telle que de concert, toutes les dames se mirent à bêler dans un nouveau concert de beuglements.

    Dans la grande cité tourangelle, il se trouva des mariniers intrigués par ce vacarme qui voulurent se rendre compte par eux-mêmes de ce qui se tramait là. Ils montèrent sur des futreaux et allèrent constater de leurs propres yeux que la rivière avait accouché de vaches et de jeunes veaux sans que la moindre souris ne traîne dans les parages.

    L’affaire fit grand bruit, l’évêque évoqua un miracle, on organisa une procession pour célébrer la chose tandis que les bovins, qui pourtant en avaient assez soupé, eurent droit à une nouvelle aspersion, d’eau bénite cette fois. L’île fut baptisée à défaut des bêtes qui avec leurs cornes évoquaient trop les suppôts de Satan. L’île aux vaches était née de ce miracle ligérien.

    Gaston quant à lui revint de Baule et constata la disparition de son cheptel. Voilà ce que c’est que de vouloir faire la bête. L’île de la Montjoie était devenue celle de sa tristesse. Il se garda pourtant bien de raconter ses malheurs. Il ne voulait pas rejoindre le gars Berlaudiot à la Ronce.

    Vachement sien.


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