samedi 11 juillet 2020

La croisière s'amuse !

Sombre destinée




    Il y a sur notre quai de Loire une bien étrange malédiction. À chaque fois que nous voguons vers de nouvelles aventures, que nous sommes loin de notre port d'attache, l'un de nos bateaux, se sentant soudainement abandonné, sombre dans une dépression profonde, s'offre un naufrage personnel.
Beaucoup d'esprits chagrins montrent du doigt le diable en personne qui rôde sur nos pavés disjoints pour traîner autour de nos embarcations. Quand le mal est fait, il se tient à distance, observe de loin, sans songer à venir s'enquérir de ce qui nous navre.

    Laissons-là ces supputations sans fondement, la toue cabanée est au fond de la rivière, les eaux montent, il fait froid et il faut la sortir de là au plus vite. Dans la cabane, du matériel, un moteur, des outils baignent dans une eau saumâtre et polluée par l’essence et  le goudron. Que du bonheur et bien du tracas !

    Comment sortir le monstre de bois de là où il se trouve ? C'est l'occasion de découvrir que les conseilleurs disposent dans leur musette d'une multitude de solutions, toutes plus simples les unes que les autres pour, d'un claquement de doigt, remettre à flot le pauvre rafiot. L'ingéniosité des hommes est sans limite quand il ne s'agit que de donner des conseils !

    Les Géo Trouve-tout ne manquent pas sur nos bords de Loire. Les plus malins suggèrent de glisser des chambres à air de tracteurs sous la coque et de les gonfler pour que se réalise le miracle. Non seulement, en ville, comme chacun sait, nous avons tout cela sous la main mais de plus, détail fort gênant, la coque repose sur le fond.

    D'autres proposent de venir avec une grue, un engin de chantier qui en un tour de bras articulé nous sortirait de la panade et du lit de la Loire. Ils oublient d'évoquer le coût de ce matériel et les problèmes techniques qui ne manqueraient pas de survenir. La force mécanique a besoin de point d'ancrage et nous en manquons cruellement.

    Un grand spécialiste de la navigation ligérienne nous proposa une solution plus crédible qui fait appel au merveilleux principe d'Archimède. Munissez-vous de deux gros bateaux ayant des caissons étanches, placez en un en proue, l'autre en poupe de votre épave, remplissez d'eau le nez de vos deux bateaux après les avoir solidement amarrés au navire naufragé. Videz alors vos deux bateaux avec de bonnes pompes hydrauliques, monsieur Archimède fera le reste. Limpide …

    Nous manquons de ressource pour suivre ce merveilleux plan. La poussée attendra et nous nous contenterons de faire appel à ce brave Archimède pour le principe du levier. Mais là encore, les difficultés s'ajoutent les unes aux autres. Il faut trouver un point d'appui. La chose est simple quand on est à l’air, elle devient bien plus compliquée quand on se trouve entre deux eaux !

    La solidarité marinière, à une exception près, marche à plein régime. Sur le quai se presse de la main d'œuvre. Ils sont tous équipés de cuissardes iso-thermiques. Seul votre Bonimenteur préféré se trouve en tenue civile, chargé simplement d'assurer le reportage des différentes tentatives qui vont se dérouler sous ses yeux attentifs.

    Hélas, les mots me manquent pour donner le détail de tous les efforts entrepris par mes camarades. Nous entrons dans un monde technique qui n'est pas le mien, j'ignore le nom de tous les objets de chantier qu'ils déployèrent autour de notre pauvre bateau. Plus le temps passait, plus les éléments s'ajoutaient les uns aux autres, ployaient sous la charge, glissaient par manque de point d'appui stable, se brisaient sous la pression immense.

    À chaque échec, nos courageux mariniers se lançaient dans une nouvelle stratégie. Des ressources, qu'il convient de garder secrètes, les approvisionnaient en étais, bastings, serre-joints, treuils, poulies, traverses, bouts, clefs à cliquet et autres instruments de torture pour moi. Des cordes qu'il convient d'appeler bouts cherchaient désespérément à arrimer cet ensemble instable et fragile.

    Nos gaillards n'hésitaient pas à aller dans une eau glacée. Ils s'échinaient avec une vaillance et une détermination qui força mon admiration. Je leur apportai une aide morale ponctuée de quelques bons mots pour les distraire un peu. Je doute qu'ils mesurent à leur juste valeur cette aide précieuse et salutaire …

    Par trois fois, la nuit vint interrompre tous les efforts. L'épave se soulevait un peu, les installations fragiles finissaient par céder et la redoutable force de gravité l'emportait toujours au final. Pour clore cette dernière journée, c'est une pièce majeure du pauvre bateau qui céda sous la traction effrayante que deux poulies exercèrent sur elle. Tous les efforts tombaient à l'eau et par bonheur aucun de nos gaillards ne suivit le chemin. Tout est à recommencer, mais comment ?

    Nous en sommes là. Les plus sages ont décidé d'attendre que la Loire baisse. En cette période de l'année, cela peut demander un certain temps. Mais que faire d'autre ? Appeler au secours et trouver une bonne âme munie d'un palan ou d'une grue tractée pour nous sortir de là. Je lance une bouteille à la Loire, fasse qu'elle trouve un écho ici !


    Àvotreboncœurement vôtre !



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