dimanche 5 juillet 2020

Le Pont aux fées



Une Faribole bien de chez nous !



Il était une fois, en une époque très lointaine, une rivière qui comme beaucoup de ses congénères, avait la fâcheuse habitude d'entraver le passage des gens. L'Échandon, puisque tel est son nom, se traversait à gué quand elle était de bonne composition. Mais il lui prenait parfois l'envie de se faire grosse et infranchissable.

Le seigneur des lieux, le brave Vicomte de Montchenain, voulait laisser trace en son domaine et faire belle et bonne action pour tous les pèlerins de Compostelle qui avaient choisi une ancienne voie romaine : la via Turenonsis, pour passer sur ses terres. Nous sommes en pleine guerre de Cent Ans, le désordre est tel, dans cette belle région de Touraine, que les hommes ont bien autre chose à penser que de construire un pont de pierre.

Sur la Loire, en cette époque lointaine et bien troublée, des villes avaient confié au Malin la construction de leur pont. Notre Comte ne désirait pas abandonner une âme, fut-elle celle d'un chat, pour obtenir satisfaction. Voilà un notable qui avait un peu de conscience, la chose est fort rare et mérite d'être soulignée.

Il avait aussi étrange prémonition. Son pont allait entrer dans l'histoire, il avait eu des voix qui lui demandaient de mettre sur cette rivière grand pont de pierre pour laisser passer, le moment venu, une demoiselle s'en allant en guerre pour chasser l'Anglois du pays. Voilà qui lui causait grands tourments et belle contrariété. Comment allait-il satisfaire ses acouphènes ?

L'homme avait beau être bon chrétien, il avait encore un petit fond de paganisme en lui. Il n'hésitait jamais à consulter une birette ou bien un sorcier pour éclaircir ses idées et prendre la décision qui convient pour la bonne marche de son domaine. Il consulta une vieille folle qui avait la réputation de barrer les brûles, de rebouter les membres et de dire la bonne fortune. Elle pouvait tout aussi bien jeter un vilain sort mais nous ne lui en tiendrons pas rigueur !

Notre birette lui demanda, chose étrange, de s'agenouiller un soir de pleine lune devant le chêne foudroyé au bord de la rivière. Il lui faudrait, lui dit-elle, faire offrande de crapauds et de tendres caresses pour les belles dames blanches qui sortiraient de là. Le Comte ne voyait pas d'un mauvais œil ce petit plaisir nocturne. Il n'aurait qu'à s'en confesser un peu plus tard !

Le soir propice, il quitta nuitamment sa châtelaine qui dormait profondément. L'histoire prétend que la dame ronflait tout autant qu'elle avait mauvais caractère et que notre homme n'avait pas besoin de faire un pont pour chatouiller les fées, la nuit, dans les clairières, mais vous savez tout autant que moi que les gens sont médisants !

Tout se passa comme la vieille folle lui avait dit. À sa prière, trois belles dames sortirent de l'arbre. Le Comte n'était pas homme à reculer devant l'épreuve, il honora comme il se doit les dames pour qu'ensuite, elles lui bâtissent ce pont au milieu de la rivière. Les fées, apparemment satisfaites des services du gaillard, firent grand et beau pont de pierre par-dessus l'Échandon. Il avait trois arches, chaque fée voulant ainsi honorer la courtoisie du seigneur.

Émerveillé par le travail de ces dames blanches, le Comte voulut les remercier à sa manière. C'est alors, que soudain surgit sa femme. La Châtelaine avait eu vent de quelque chose et se mit dans une colère épouvantable quand elle surprit son mari dans les bras de ces dames. Elle hurla et menaça, voulut lever la main sur les bonnes fées qui disparurent bien vite dans la blessure du chêne. On ne les revit jamais plus !

La scène qu'elle fit alors au brave homme fut sans doute terrible. Il allait passer de vie à trépas quand soudain, du fond de la rivière grand et bruyant tumulte se fit entendre. On ne dérange pas les fées quand elles sont en plein travail et encore plus quand elles perçoivent la juste récompense de leurs efforts. Un mauvais génie sortit des flots et d'un grand coup d'épaule souleva l'arche centrale du pont !

Depuis, ce pont a conservé ce dos d'âne qui rappelle cette histoire et la réputation du maître de ces lieux. L'histoire aurait pu en rester là mais notre Comte n'avait pas pour autant abandonné ses vilaines manières. Quand quelques années, plus tard, en 1429, une petite bergère passa par-là, allant quérir en l'église Sainte-Catherine de Fierbois, une épée pour accomplir son œuvre divine, elle trouva sur sa route ce gentil luron qui lui fit subir bien des tourments avec un étrange braquemart..

Mais de cela, nous n'en avons jamais eu aucune preuve. Il est des réputations comme pour les fables : on ne prête qu'aux riches ! Si les fées assistèrent à ce qu'on a toujours voulu nous taire, elles n'en diront jamais rien. Elles avaient gardé un souvenir ému des talents du Comte de Montchenain ! Ce fut également le cas pour notre petite Jehanne, c'est du moins ce qu'on prétend entre Esvres et Saint-Branchs ...

Féériquement sien.


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