mardi 28 juillet 2020

Les lapins furieux !

Histoire à ne pas mettre entre toutes les oreilles.





    Il fut un temps où l'on pouvait, sans gêne, dire tous les mots qu’on voulait quand on était sur un bateau. Il y avait un trappeur des bords de Loire qui naviguait sur une barquasse de sa fabrication. L'homme était piégeur, un chasseur qui préfère la ruse à la force inéquitable de l'arme.

    Il observait les mœurs de ceux qui allaient tomber dans son escarcelle, sa nasse ou son collet. De longues heures passées à comprendre le mouvement et les mœurs des bêtes qui donnerait, pour lui et sa famille, le mot de la faim. Nulle recherche de plaisir dans sa quête, simplement le souci d'apporter pour les siens du mieux dans leur alimentation.

    Que ce soit sur terre et ou sur l'eau, il avait l'œil, savait tout des bons endroits des passages des animaux, des secrets de leurs habitudes. Il ne tendait jamais son piège au hasard et il ne fallait pas longtemps pour que la prise fût faite. Il ne laissait pas languir la pauvre bête qu’il allait quérir au plus vite.

    Quand sa proie était trop petite, quand c'était une femelle pleine, quand il avait plus de prises qu'il lui fallait, il relâchait ceux qu'il laissait vivre. Pour préleveur qu'il était, il n'en était pas moins un amoureux de la nature. Il agissait avec modération et respect, en harmonie avec les animaux qu’il respectait par-dessus tout.

    Il rendait à ses amis des forêts et de l'onde bien des services. Quand l'hiver était rude, il leur apportait des graisses et des graines, il fabriquait des abris, veillait à ce qu'il n'y eût pas trop de prédateurs à l'intérieur de son secteur.

    L'homme allait sur sa barque prendre sa ponction. Il était surtout contemplateur de ce Val qu'il aimait tant et qui lui offrait chaque jour spectacle merveilleux. Mais un jour, le calme et la quiétude des lieux, fut, une fois encore menacé par la montée des eaux.

    La Loire grondait, elle coulait furieuse. Ses eaux charriaient tout ce qu'elles emportaient sur son passage et le niveau montait sans cesse. Quand tous les gens d'alentour pensaient à se sauver, à porter leurs sabots sur un coin de terre plus haut que les bords du fleuve, lui avait une toute autre préoccupation.

    Il prenait soin de ses amis les hôtes des bords de la rivière. Il les appelait pour qu'ils montent dans sa barque et il les portait plus loin sur une hauteur à proximité. Sa barque eut été chaland qu'il en aurait fait une arche pour protéger, le temps de cette grande colère du fleuve, tous les animaux du coin.

    Il ne s'appelait pas Noé, on ne refait pas l'histoire, une crue, pour terrible qu'elle soit, n'est pas non plus le déluge. Cependant, il fallait agir ou laisser périr les petits mammifères. Il ne mesurait ni sa peine ni les risques qu'il courait. Pour préleveur qu'il était quand la nécessité s'en faisait sentir, il se savait redevable envers tous les animaux.
   
    Son manège pourtant n'amusait guère les gens sérieux, ceux qui, pour le bien de leur prochain, se portaient à leur secours. Ces braves gens, ne comprenaient pas pourquoi notre homme se préoccupait des bêtes et non point des humains. Il avait beau leur dire que jamais il ne tournerait le dos à un individu en détresse mais qu'il n'en voyait pas là où il naviguait, la marginalité comme la différence constituent de tous temps une charge lourde qui vous place au banc de société.


    Il n’avait cure de ces jalousies stupides, de ces regards de travers qui ne l’indisposaient guère.  Cette fois pourtant l'affaire  tourna au vinaigre. Alors qu’il croisa le grand fûtreau qui allait secourir des habitations isolées, il reçut jurons et insultes de la part des membres de la société de secours. Il se peut que l'équipage, dans l'alarme du moment et pour se donner du courage ait forcé sur la chopine ce qui pourrait expliquer ce comportement déplacé. Nous n’en saurons rien !

    Toujours est-il que le grand bateau fonça droit sur le plus petit avec l'envie évidente de l'éperonner pour le faire couler. Notre brave amis des animaux n'avait qu'une bourde pour avancer, quand en face, les forbans allaient à la voile, poussés par un vent violent. Il voyait sa dernière heure arrivée quand dans le même temps il advint un véritable miracle.

    Sa barque était chargée de tous les lapins des Varennes, qu'il avait sauvés des eaux. Les rongeurs se dressèrent sur la proue, constituèrent une pyramide en montant les uns sur les autres.  Formant ainsi une sorte de voile, ils présentèrent leurs grandes oreilles au vent afin qu’il s’y engouffre. Vous ne le croirez sans doute pas, mais la barque prit de la vitesse et esquiva l’abordage de son adversaire.

    Quand le fûtreau passa juste à côté de lui, les lapins, comme un seul homme, sautèrent sur le pont de l’agresseur et se mirent immédiatement en  action. Ils rongèrent de leurs dents dures et vengeresses tous les gréements qui passaient à portée d'incisives. Bientôt le mât s'effondra dans un fracas qui permit à ces malheureux mariniers de retrouver leurs esprits.

    Piteux et confus, ils venaient de comprendre que la Loire en crue leur avait chamboulé la raison tout autant que les crus bus par déraison. Ils s'excusèrent immédiatement auprès du brave homme, leur demandant de ne jamais répéter ce qui venait de se passer. Le trappeur était, comme vous avez pu le constater, le meilleur des hommes, il tint sa langue comme il l'avait promis.

    Nos lascars quant à eux durent trouver une explication ce qui avait bien pu se passer sur leur bateau pour qu'un tel désordre règne sur le pont. C'est là qu'ils inventèrent la fable des lapins qu'ils avaient voulus sauver et en guise de remerciement avaient provoqué  un tel saccage. Depuis, les rongeurs sont porteurs d'une malédiction marine, il est interdit de nommer ce brave animal sur un bateau digne de ce nom.

    Vous savez désormais l'origine de cette fable, elle est parfaitement injuste pour les petits rongeurs mais il fallait sauver la réputation de braves mariniers égarés par un bref instant de  beuverie. Ils ne voulurent pas se faire tirer les oreilles, ils trouvèrent des coupables fort commodes. Il faut reconnaître qu'ils n'avaient pas vraiment menti et que dire ce qui s'était vraiment passé eût provoqué grande perplexité parmi leurs auditeurs.

    Maintenant que vous aussi, vous savez le fin mot de l'histoire, vous admettrez vous aussi, qu'il est parfois bon de poser un lapin à la vérité. Un petit mensonge est parfois plus commode qu'une réalité qui échappe à la logique communément acquise. Les lapins acceptèrent ce compromis avec la morale et s'en retournèrent à leurs terriers.

    Taboutement leur.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les anodontes pour quelques grains de folie

  L'anodonte. Loin de n'être que coquille vide Elle fut jadis prisée par les humains Lorsque les cours d'...