lundi 8 juin 2020

Un grand constructeur contrarié


Brébos, mon ami …




Il était une fois un couple de brébos qui élut domicile sur les bords de Loire. Autrefois en pays de Nièvre, on appelait l'animal bièvre avant qu'il ne se fasse castor en arrivant au port. Nos deux jeunes végétariens avaient été invités à reconquérir, en compagnie de quelques congénères, un espace que leur aïeux avaient dû fuir sous l'action malveillante des braconniers d'alors et des amateurs de fourrure de tous poils.

Notre couple s'installa sur une boucle de la rivière. Entourés de saules et de peupliers, les deux amoureux avaient choisi un endroit bien commode avec un bras de Loire étroit et une île arborée, des conditions parfaites pour mettre au monde quelques solides enfants. Les deux castors se mirent à la tâche sans remord pour se faire un peu les dents en ce nouveau cadre de vie.

Ils s'attaquèrent à quelques tendres végétaux qui poussaient non loin de là. De jeunes arbres fruitiers qui avaient trouvé dans le val des conditions parfaites pour croître et fructifier en paix. La réaction de l'arboriculteur fut terrible. Il éleva des protestations véhémentes, entoura chaque arbre de protections métalliques et mit même, contre toutes les règles en vigueur, des pièges, pour mettre un terme à ce prélèvement inacceptable.

Les rongeurs reconnurent leurs torts. Ils devaient se consacrer aux seuls arbres du fleuve. L'homme ne supporte guère qu'on vienne lui prendre le pain dans la bouche. Il est peu « partageux » et use souvent d'expédients fâcheux. Désormais, il faudrait se méfier de ces mauvais coucheurs, la propriété privée est chose sacrée pour ceux qui vont sur leurs deux pattes arrières !

Leur seconde expérience les conduira à édifier un magnifique terrier. Ils avaient mis tout leur cœur à ce joli labeur. Il leur semblait ainsi ne pas entraver les activités humaines. Ils se trompaient une fois encore. Il y avait là un pêcheur local qui prétendait posséder ce littoral. Il avait droit de poser nasses et engins pour attraper brochets et carpins. Il détruisit le terrier qui ne lui avait rien fait. Il ne faut pas chatouiller celui qui a payé un octroi.

Le gentil couple trouva l'aventure de mauvais alois. Voilà maintenant qu'il ne fallait pas faire de l'ombre aux braconniers d'aujourd'hui. Ils se dirent que le fleuve était parfois très mal fréquenté, il fallait revenir aux fondamentaux de l'espèce, pour ne plus encourir le courroux des jaloux.

Ils s'attelèrent immédiatement à la construction d'un barrage. Voilà un édifice qui fit la gloire de leurs cousins d’Amérique. Ils ne rechignèrent pas au travail et firent tant et si bien qu'ils barrèrent un petit bras de Loire. Mais voilà qu'une fois encore, ils commirent une maladresse. Le passage était emprunté par des hommes en canoë. L'obstacle les contrariait au delà du supportable, il leur imposait détour compliqué. Le barrage fut mis à bas par une armée de bras.

Les castors étaient colère. Le fleuve est devenu surtout un lieu de loisir. Celui qui travaille ne doit pas y gêner celui qui s'amuse. Nos amis s'éloignèrent encore plus loin. Ils partirent la queue basse, se promettant de bien y regarder avant que de tenter nouvelle aventure.

Pour accueillir les enfants qui étaient en route, les deux amants se décidèrent pourtant, à bâtir une hutte pour leur offrir un point de chute. Ils firent bel et grand ouvrage, une cabane tout confort avec vue sur la Loire. Des portes dérobées, des chambres éclairées, de l'espace et des commodités. Ils avaient pris grand soin de choisir un endroit discret à l'écart du passage. Cette fois, à n'en point douter, ils auraient enfin la paix.

Hélas, rien n'est désormais plus comme avant. Notre monde est sous l'emprise des règles administratives. Un indélicat voisin, sans doute un ragondin, mauvais coucheur et sacré délateur fit une lettre traitresse pour avertir l’échevin du village voisin, qu'un bâtiment avait été dressé sans permis officiel. Pire encore, les castors qui n'étaient pas d'ici (le ragondin peut bien faire le malin lui qui est venu d'encore plus loin), ignoraient sans doute qu'ils avaient mis leur maison en terre d'inondation !

De zélés contrôleurs vinrent s'enquérir de la véracité de la lettre du corbeau des eaux. Ils constatèrent le délit et exigèrent la destruction immédiate de cette maison sauvage. Les Castors serrèrent les dents, firent profil bas et partirent une fois encore loin de tous ces tracas. Ils comprirent qu'ils n'y avait pas de place pour eux dans ce pays hargneux. Nos amis la queue basse choisirent la clandestinité. Ils vivent désormais la nuit à l'abri des regards de ces vilaines gens.

Depuis cette aventure, vous pouvez arpenter la rivière, si vous voyez de nombreuses traces de leur présence, bien rares sont les castors qui se montreront à vous. Ne leur en tenez pas rigueur, depuis ces quelques malheurs, ils savent désormais qu'il est préférable de se faire discrets. De cette lamentable histoire, il ne faut retenir que la morale de la Loire. Pour vivre heureux, vivons cachés ! Elle vaut pour le castor comme nombre d’entre nous.

Discrètement vôtre.


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