Une
bien longue histoire
Il
était une fois une pièce essentielle à la navigation. Elle était
si importante que sur certains navires, les capitaines la faisaient
bénir et s'en remettaient à Saint Nicolas pour l'usage de cet objet
de miséricorde. Pour être plus tranquilles, les marins en prenaient
plusieurs à bord. De son bon usage, souvent, dépendaient leurs
vies. L'ancre, car c'est naturellement d'elle dont il s'agit, a
toujours été l'ultime sécurité de l'équipage.
Ne
jetons pas la pierre aux marins antiques qui firent bien des essais
et de nombreuses tentatives avant de mettre au point l'ancre que nous
connaissons tous. Ce sont d'abord de gros cailloux, percés d'un trou
qui firent tant bien que mal cet usage. Non seulement, il fallait
éviter de l'avoir dans sa chaussure mais bien souvent ce lest
n'était pas très efficace. La pierre roule au fond et ne s'accroche
à rien.
De
plus malins allièrent alors la pierre et le bois. D'une forme
pyramidale et allongée, le lest était percé en son sommet pour y
fixer le cordage et à sa base de deux orifices pour y glisser des
branches qui allaient offrir des points d'appui dans les profondeurs.
L'idée faisait son chemin tandis que l'embarcation était ainsi à
poste.
La
pierre venant à se briser, on chercha à peaufiner l'assemblage
bois-minéral en une combinaison judicieuse. Nos ingénieux
devanciers firent feu de tout bois. Il fallait bien s'arrimer au
fond, de grosses branches fourchues firent l'affaire. On y fixait une
pierre pesante et l'ancre remplissait son glorieux office. Bien vite
on passa aux doubles fourches et nos premières ancres à jas
ressemblaient de loin à leurs lointaines héritières.
Le
métal s'imposa à tous comme une évidence. Si les bateaux restaient
de bois, le fer, le cuivre ou le bronze vinrent apporter de la
solidité à l'assemblage si précieux. Des clous furent utilisés
pour remplacer les liens de cordes, des feuilles de métal vinrent
solidifier les parties des bras qui pouvaient ainsi mieux pénétrer
dans le sol.
Les
premières ancres toutes de fer sont visibles sur la tapisserie de
Bayeux. Mes ancêtres Vikings avaient une fois encore un temps
d'avance sur ceux qui subissaient leurs assauts. L'astre et les
« manes » étaient en place, l'ancre d'alors ressemblait
comme deux gouttes d'eau à celles d'aujourd'hui. C'est dans le
détail que se fit alors la différence au fil des siècles …
Sur
la Loire, c'est un certain Octave François, grand forgeron devant
l'éternel qui apporta le pas décisif à notre navigation
ligérienne. Sous l'impulsion de Colbert, les forges du nivernais
tournaient à plein régime et livraient sur la côte des ancres
marines qui armaient nos glorieux navires de la Navale. Les forges de
Cosnes sur Loire, Imply et la Chaussade étaient les meilleures du
Royaume.
Le
fer circulait sur la Loire, c'est ainsi que les moines de Fomorigny
avaient cherché à rouler les mariniers en taxant le poids du fer à
l'estime et toujours en leur faveur. Mais ceci est une histoire déjà
contée. Ne perdons pas de temps en route avec les mesquineries de
nos péages et occupons-nous de la fameuse ancre de Loire.
Le
premier mouvement de nos mariniers fut d'utiliser les ancres qui
étaient ainsi forgées avec amour pour les navires de haute mer.
Octave fut de ceux-là car il aimait aussi à naviguer sur la rivière
pour son plaisir tout autant que la livraison des ancres qui devaient
aller jusqu'à Nantes.
Notre
brave Octave utilisait alors, comme tous ses camarades, une ancre en
tout point identique à celles qu'on livrait aux marins de l'océan.
L'organeau, ce gros anneau au bout du jas permettait qu'on y fixe une
lourde chaîne. Les ancres étaient de taille conséquente et d'un
poids certain. Il fallait que la chaîne et le cordage aient une
masse analogue …
La
verge était aussi haute qu'un homme et les deux becs de l'ancre
étaient des pieux redoutables. Si dans l'océan les fonds sont
conséquents, dans notre Loire, le niveau est variable et souvent
bien bas. Une ancre fichée dans le fond peut bien vite devenir un
obstacle redoutable pour celui qui navigue dans ses parages.
C'est
ainsi qu'Octave avait jeté l'ancre et s'en était rentré chez lui
vaquer à sa forge. Quand il revint quelques semaines plus tard, il
se trouva en butte à un procès. Un marinier furieux qui avait
déchiré une bordée contre l'ancre de notre ami avait saisi la
prévôté.
Octave,
de se faire ainsi sonner les cloches et vider sa bourse pour une
bourde que n'importe quel marinier aurait pareillement commis se mit
à réfléchir à la manière d'avertir ceux qui naviguaient quand
une ancre dormait au fond. L'idée lui vint de mettre un signal
visuel au-dessus de ce piège redoutable. Pour évoquer la fonction
de ce signal visuel, il le baptisa sonnette.
Lui
fallait encore trouver une manière de fixer le cordage et le
flotteur de sa sonnette. Après bien des essais infructueux, il
s'emmêla les cordons en se fixant à la manille, fit des nœuds pas
très malins en s'accrochant à l'organeau, il décida d'ajouter un
second anneau à son ancre marine. La cincinelle était née. On se
demande encore aujourd'hui pourquoi il lui donna un tel nom. Mais
personne ne lui en fit reproche tant son idée valait son pesant de
fer.
Depuis,
beaucoup d'eau a coulé sous nos ponts. Octave François est tombé
dans l'oubli. On découvrit même depuis peu que bien avant lui et
bien loin des rives ligériennes, des hommes avaient songé à ce
double anneau. C'était l'ancre de Nemi qui a droit à l'antériorité.
Nous n'en ferons pas une question de principe. L'ancre de Loire avait
désormais les siens et pour se distinguer un peu plus encore des
marins de mer, on dessinait deux ancres enlacées sur les vêtements
des mariniers de chez nous.
Pour
renforcer encore leur particularisme, nos lascars qui avaient bien
des penchants inavouables représentèrent toujours ces deux ancres
inclinées de manière symétrique. C'est ainsi que les mariniers
d'hier comme ceux d'aujourd'hui, sur notre Loire, ne font jamais rien
comme les autres. C'est bien la seule vérité qu'il faut retenir de
cette histoire qui ne fera pas couler beaucoup d'encre !
Ancrement
vôtre.
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