Lire
à la plage.
Lire
sur la plage ce n'est pas tout à fait un acte ordinaire. Il faut se
poser bien des questions, s'imposer plus encore des gesticulations
pour trouver position adéquate. Il n'est pas facile de garder le fil
de son histoire tant les sollicitations sont diverses, les
perturbations nombreuses et les obstacles de toutes natures. Tout
demande réflexion y compris le format du livre que l'on risque de
trouver ensablé avant que de l'avoir vraiment parcouru.
La
position du lecteur sur le silice est un supplice à nul autre
pareil. Il doit se prémunir du vent qui est un adversaire redoutable
dès que le livre se donne des allures de grand. Le soleil quant à
lui, est un opposant d'une toute autre dimension. Il demande
équipement ou adaptation. Le lecteur en position dorsale qui
souhaite se parer de l'astre solaire avec son seul livre prend le
risque d'une crampe aux bras et d'un mal au cou qui pourrait lui
faire passer l'envie de la relecture.
Les
mieux équipés fourmillent d'idées pour tenir le choc ; parasol
cela va de soi mais aussi coussins pour surélever la tête, cette
partie du lecteur qu'il convient de préserver pour que la lecture
demeure utile. Chaises pliantes, basses, trous dans le sable,
monticules ou toute autre installation qui donne confort et repos au
dévoreur de lignes sont autant de réponses possibles qu'il vous
appartiendra d'étudier.
Il
faut choisir ensuite un livre pour l'usage que vous avez à en faire
en ce lieu. Il y a le roman de façade, celui qui vous donne
l'apparence de la sagesse à des fins pas toujours avouables.
Derrière un gros bouquin à la couverture cartonnée, il est aisé
de mater les voisines petitement vêtues et les lunettes ici
s'expliquent par votre occupation supposée.
Il
y a aussi des erreurs à ne pas commettre, des dissonances fatales
comme celle de vouloir à tout prix lire un roman fleuve au bord de
l'Océan. Le roman de gare vous laisse sans entrain quand la série
noire suppose que vous ayez un bronzage à la hauteur. Le roman
policé doit rester dans le sable les jours de grand vent et le roman
rose aime par dessus tout les premiers jours de vacances.
Le
livre n'est pas tout, il faut choisir son auteur. Il y a celui qui
évoque immédiatement quelque chose aux curieux qui ne manqueront
pas de savoir ce que vous lisez. Il faut adapter votre choix à la
sociologie de votre environnement estival. Dans tous les cas, le »
best-seller » est recommandé pour une conversation facile avec
un inconnu de passage. Des choix plus osés risquent de vous couper
de vos semblables, Céline, Kennedy Toole ou Salman Rusdie ne sont
pas en haut de la vague médiatique.
Il
faut aussi prendre la précaution de montrer que vous avancez dans
votre ouvrage, que votre marque page progresse de jour en jour. Faire
tout un été avec le même roman ne vous sert guère. Changer tous
les jours n'est pas plus efficace. Vous devez simuler une lecture
moyenne, avancer à petits pas et ne pas oublier de tourner
régulièrement une page.
J'oubliais
le conseil essentiel, celui qui vous évitera toute raillerie
superflue. Prenez votre compagnon de papier dans le bon sens. Le
conseil peut paraître trivial mais il arrive parfois que nos
lecteurs horizontaux se trompent tout occupés qu'ils sont à bien
autre chose que ce à quoi ils feignent de s'adonner.
Enfin,
le journal n'est nullement indiqué dans les régions océaniques.
L'exercice est rigoureusement impossible avec les grands formats.
Même lire l'Équipe relève de l'exploit. Rabattez-vous sur les
magazines et attendez si possible, le passage d'une caravane
publicitaire qui vous fournira en ouvrages inutiles. Prenez garde
néanmoins au nom de la revue, certaines vous classeront dans des
catégories particulières bien avant que vous compreniez pourquoi
l'on rit sous cape derrière vous.
Lire
sur la plage, finalement ne s'improvise pas et si vous vous munissez
d'un imprimé simplement pour avoir un peu de constance, il n'est pas
rare que la stratégie se retourne contre vous. Ne cherchez pas
l'extravagance ou bien l'incongruité, allez piocher du côté des
meilleures ventes, vous ressemblerez ainsi à ceux que vous voulez
imitez !
Quant
au lecteur authentique, jamais il ne lui viendrait à l'esprit de
mettre un grain de sable dans son précieux compagnon Il conservera
son livre sur sa table de chevet ou près d'un bon fauteuil sans
risquer de lui faire souffrir les outrages d'une météo à ne pas
mettre un livre dehors cette année.
Lecteurement vôtre.
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