samedi 27 juin 2020

Le complexe de l'escargot.


Les chevaliers de l'asphalte.


Ils sont nés avec la première voiture de leurs parents. C'était l'époque où l'on se reconnaissait au travers d'une appartenance tribale. Il y avait les « Renault », esprit cocardier et volonté farouche de défendre le salariat Français. Il y avait les « Citroen » jouisseurs et aventuriers tout à la fois, notables exigeants au cœur bien accroché. Il y avait les « Peugeot », gens à l'esprit pratique, intransigeants sur la solidité du moteur. Il y avait encore les « Simca », les aventuriers de la carrosserie et des expérimentations esthétiques qui finirent par tuer la marque.

Ils ont grandi au biberon des sorties routières. Grands raids impromptus pour aller voir la mer, rallyes touristiques pour découvrir châteaux et monastères, promenades digestives en un temps où l'alcootest ne clouait pas les convives sur le canapé. L'automobile permettait de découvrir un pays qu'on sillonnait de long en large sur ces routes départementales si chères à Jean Yann.

Ils ont travaillé dur pour à leur tour s'acheter ce premier volant, gage de liberté et d'indépendance, symbole d'une prospérité qui se pensait éternelle. Ce n'était pas pourtant un temps où Papa et Maman se dédouanaient de la crise d'adolescence par un véhicule pour solde de tout compte des déboires adolescents.

Ils ont connu les premières vacances au camping. Ils partaient dans une voiture chargée au-delà du raisonnable. Ils se retrouvaient un mois durant pour tout oublier aux Flots Bleus. Ils se juraient qu'ils passeraient bientôt à la caravane quand ils auraient fini de payer le chalet idéal.

La prospérité d'alors leur a octroyé tous ces bienfaits dont ils privent maintenant les générations ultérieures. Ils changèrent régulièrement de véhicule, ce marqueur idéal du niveau social. Ils ont ainsi pris goût au confort, ont laissé la caravane à demeure aux Flots Bleus, installé une véranda et quelques fleurs pour venir bien plus souvent.

Les années ont passé, leurs enfants ont grandi et se sont lassés de la promiscuité du camping. Ils ont essayé les locations, les vacances à l'étranger, les croisières avec un animateur vu à la télé, le club méditerranée et ses phantasmes impossibles. Quand la retraite arriva dans la force de l'âge, ils se sont offert un superbe camping-car, une maison mobile pour retrouver leur jeunesse dorée.

Ils s'imaginaient sillonner les routes de France et cette Europe qui vous tend les bras. Mais le véhicule est fort encombrant, le gaz-oil dispendieux et les réflexes moins affûtés. Ils laissèrent les joies de la véritable découverte, de l'itinérance et des adresses rurales à des plus jeunes qui se contentent d'un confort moins ostentatoire.

Ils se firent rats de bitume. Toujours à la recherche d'un joli coin d'asphalte pour se retrouver entre pareils. Les mastodontes sur-équipés se posent au milieu de parking sous le soleil. Antennes paraboliques, porte-scooters, douches et commodités intégrées, tout le confort et beaucoup plus si affinité.

Du matin au soir et du soir au matin, ils vivent dans ou à côté de leur cher véhicule, cette maison mobile, coquille creuse des temps nouveaux. Ils ne le quittent jamais des yeux : la mer est à deux pas, par delà la dune, ils devinent le bruit des rouleaux.

Pour une sortie exceptionnelle, ils abandonnent leur emplacement, plient table et transats. L'aventure au détour de la route, encombrement maximal et manœuvres hésitantes. Ils provoquent bouchon et algarades et se jurent qu'on ne les y reprendra plus. Ils s'en retournent à un autre joli coin de parking …

Le bitume pour unique horizon, ils profitent de cette retraite que leurs enfants ne connaîtront pas. Je ne sais pas s'ils sont touchés par la détresse des plus jeunes, mais les voir insouciants et immobiles ne me les rend guère sympathiques.

Gastéropodement vôtre.


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