Les
chevaliers de l'asphalte.
Ils sont nés avec la
première voiture de leurs parents. C'était l'époque où l'on se
reconnaissait au travers d'une appartenance tribale. Il y avait les
« Renault », esprit cocardier et volonté farouche de
défendre le salariat Français. Il y avait les « Citroen »
jouisseurs et aventuriers tout à la fois, notables exigeants au cœur
bien accroché. Il y avait les « Peugeot », gens à
l'esprit pratique, intransigeants sur la solidité du moteur. Il y
avait encore les « Simca », les aventuriers de la
carrosserie et des expérimentations esthétiques qui finirent par
tuer la marque.
Ils ont grandi au biberon
des sorties routières. Grands raids impromptus pour aller voir la
mer, rallyes touristiques pour découvrir châteaux et monastères,
promenades digestives en un temps où l'alcootest ne clouait pas les
convives sur le canapé. L'automobile permettait de découvrir un
pays qu'on sillonnait de long en large sur ces routes départementales
si chères à Jean Yann.
Ils ont travaillé dur pour
à leur tour s'acheter ce premier volant, gage de liberté et
d'indépendance, symbole d'une prospérité qui se pensait éternelle.
Ce n'était pas pourtant un temps où Papa et Maman se dédouanaient
de la crise d'adolescence par un véhicule pour solde de tout compte
des déboires adolescents.
Ils ont connu les premières
vacances au camping. Ils partaient dans une voiture chargée au-delà
du raisonnable. Ils se retrouvaient un mois durant pour tout oublier
aux Flots Bleus. Ils se juraient qu'ils passeraient bientôt à la
caravane quand ils auraient fini de payer le chalet idéal.
La prospérité d'alors
leur a octroyé tous ces bienfaits dont ils privent maintenant les
générations ultérieures. Ils changèrent régulièrement de
véhicule, ce marqueur idéal du niveau social. Ils ont ainsi pris
goût au confort, ont laissé la caravane à demeure aux Flots Bleus,
installé une véranda et quelques fleurs pour venir bien plus
souvent.
Les années ont passé,
leurs enfants ont grandi et se sont lassés de la promiscuité du
camping. Ils ont essayé les locations, les vacances à l'étranger,
les croisières avec un animateur vu à la télé, le club
méditerranée et ses phantasmes impossibles. Quand la retraite
arriva dans la force de l'âge, ils se sont offert un superbe
camping-car, une maison mobile pour retrouver leur jeunesse dorée.
Ils s'imaginaient sillonner
les routes de France et cette Europe qui vous tend les bras. Mais le
véhicule est fort encombrant, le gaz-oil dispendieux et les réflexes
moins affûtés. Ils laissèrent les joies de la véritable
découverte, de l'itinérance et des adresses rurales à des plus
jeunes qui se contentent d'un confort moins ostentatoire.
Ils se firent rats de
bitume. Toujours à la recherche d'un joli coin d'asphalte pour se
retrouver entre pareils. Les mastodontes sur-équipés se posent au
milieu de parking sous le soleil. Antennes paraboliques,
porte-scooters, douches et commodités intégrées, tout le confort
et beaucoup plus si affinité.
Du matin au soir et du soir
au matin, ils vivent dans ou à côté de leur cher véhicule, cette
maison mobile, coquille creuse des temps nouveaux. Ils ne le quittent
jamais des yeux : la mer est à deux pas, par delà la dune, ils
devinent le bruit des rouleaux.
Pour une sortie
exceptionnelle, ils abandonnent leur emplacement, plient table et
transats. L'aventure au détour de la route, encombrement maximal et
manœuvres hésitantes. Ils provoquent bouchon et algarades et se
jurent qu'on ne les y reprendra plus. Ils s'en retournent à un autre
joli coin de parking …
Le bitume pour unique
horizon, ils profitent de cette retraite que leurs enfants ne
connaîtront pas. Je ne sais pas s'ils sont touchés par la détresse
des plus jeunes, mais les voir insouciants et immobiles ne me les
rend guère sympathiques.
Gastéropodement vôtre.
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