mardi 30 juin 2020

La fabuleuse histoire de Piou-Piou.



Mes chants du Coq !



L'histoire que je vais vous conter date d'une époque bien lointaine où les municipalités traitaient avec respect l'instituteur du village. Il avait droit à un logement de fonction pour donner, au cœur de la cité, une place d'importance à ceux qui avaient en charge l'espoir d'une nation.

Les temps ont bien changé, l'instituteur, en se parant du titre ronflant de professeur des écoles, a perdu son lustre et son logement. Mais nous nous écartons d'un récit qui ne doit son existence qu'au prochain déménagement d'un instituteur de campagne qui devait construire sa future demeure après des années passées dans la cour de l'école.

L'homme avait les pieds sur terre et le cœur indéfectiblement attaché à son Berry natal. Il avait aussi la sagesse des gens qui savent prendre leur temps et ne font jamais rien dans la précipitation. On le boutait de son hâvre de paix, il allait construire une petite maison sur le haut de la colline, à hauteur de château !

Mais il ne comptait pas aller si vite en besogne. Un bout de terrain n'est rien si on n'y laisse pas aller quelques poules. Elles donnent des œufs frais et chassent les vipères. Il construisit un poulailler bien avant que de faire les fondations de sa demeure !

Ce choix, qui avouez-le, n'est pas si habituel, allait nous faire basculer dans le drame, le fait-divers, l'histoire sordide. Les enfants ou les âmes sensibles ne sont pas invités à poursuivre leur lecture. La suite pourrait les choquer, leur faire regretter début si prometteur …

Mais pour l'heure, tout va bien. Les poules vivent leur vie de gallinacées insouciantes et gardent le futur chantier. Elles surveilleront l 'avancée des travaux, l'instituteur se faisant bâtisseur prendra encore tout son temps pour se faire nid douillet à portée de volaille.

C'est du côté de sa basse-cour que se déroula l'évènement qui fit basculer notre conte dans le sordide d'une histoire à ne pas mettre dans toutes les oreilles. Quelques poules pondaient et confiaient la garde des poussins à deux d'entre-elles. La chose peut paraître étrange mais les garde-d'enfants décidèrent de laisser sans soin, un poussin qui n'avait pas l'heur de leur plaire …

Le poussin délaissé, vilain petit canard dans un monde de « Gallus domesticus » n'avait que deux jours et sa vie ne tenait plus qu'à un fil. Il ne fallait pas tarder où le pauvre Piou-Piou allait périr dans l'indifférence de ses congénères. La vie est sans pitié dans toutes les cours …

Heureusement l'instituteur avait une compagne attentive aux petits détails de la chose animale. Elle comprit le mortel manège des mégères emplumées. Elle vola sans hésiter une seule seconde au secours de l'orphelin, de ce pauvre poussin mis au ban de cette société pondeuse.
Elle prit sous son aile son Piou-piou, ignorant sans doute qu'on ne s'improvise pas aisément mère-poule, sans quelques rudiments d'aviculture.

Piou-piou quitta la basse-cour pour la cour de l'école. Un choc qu'il supporta aisément, n'ayant trouvé en sa terre natale qu'ingratitude et mépris. Qu'il se trouve ainsi seul volatile en ce lieu, ne le dérangeait guère. Il avait bien d'autres chats à fouetter et d'abord se préserver de la gente féline, bien vite prompte à le réduire au néant.

Pour sa mère nourricière, justement, se posa bien vite les interrogations essentielles voire existentielles ! Comment nourrir un poussin, lui permettre de favoriser sa digestion et lui assurer des chances de survie en autonomie quand il sera plus grand ? Je devine à votre surprise que nous n'eussiez pas abordé la question dans toute sa complexité et j'avoue, à ma grande honte, que j'en aurai fait de même. Mais nous avions à faire à une noble âme qui avait en la matière, des conceptions pédagogiques tout à fait innovantes !

La dame trouva dans le commerce des graines spéciales poussin, l'industrie prévoit tout et se pique de devancer les besoins de chacun. Mais l'information manquait sur la posologie et les précautions à prendre. Nourrir un poussin, s'est s'exposer à bien des contrariétés imprévues comme le risque de le voir se noyer dans un verre d'eau. Il fallut trouver couvercle de confiture pour lui servir de récipient.

Elle se posa la question fondatrice pour la future vie de son protégé. Comment lui apprendre à picorer pour retourner à l'état de nature et remplir son gésier de tout ce dont il a vraiment besoin ? Elle l'initia à cet art délicat sur un carré de terre. Elle tapotait d'un index maternel le sol au rythme, lui sembla-t-il de la poule en quête d'insectes et de vermisseaux.

L'éducation par l'exemple fonctionna à merveille, Piou-piou comprit le message et se mit à compléter sa ration industrielle grâce au fruit de ses propres recherches. Il était sauvé, il n'avait plus qu'à grandir dans la chaleur d'un foyer aimant. Ce qu'il fit avec application et affection. Il s'endormait sur l'épaule de sa mère adoptive avant qu'elle le couche délicatement dans un carton de couche-culotte (une vocation vous dis- je !)

Mais Piou-Piou grandit bien vite. Il fallut changer le carton devenu trop petit. Au second, la mère comprit que son enfant ne pouvait plus rester avec elle. Le Piou-Piou était devenu un beau coq à la Chanteclair, un animal magnifique, capable de se débrouiller seul mais qui venait toujours chercher sa becquée préférée dans les mains de sa sauveuse.

L'instituteur, qui, remarquons-le, brilla par sa discrétion dans les étapes essentielles de l'apprentissage, revint au premier plan. Le coq lui faisait de l'ombre ! Il le prit pour le conduire là où il n'aurait jamais du partir, dans le poulailler de la bientôt prochaine maison. Il n'y avait pas de coq, le vilain petit canard d'hier fut accueilli à ailes ouvertes par des poules sans mémoire !

Mais rien n'est acquis en ce monde de misère et de souffrance. Le bonheur d'aujourd'hui peut devenir le malheur de demain. Piou-Piou ne connut qu'un bref monopole sur sa cour. D'autres rivaux vinrent à maturité et lui disputaient maintenant une hégémonie libertine. Les batailles de coq attestaient d'une rivalité qui venaient troubler la quiétude de ces lieux. Il fallait agir au plus vite.

L'instituteur, homme de décision et de prudence, trancha dans le vif. Il éliminerait les deux coqs superflus et s'offrirait le plaisir gustatif d'un coq au vin. Nous sommes en Berry et il est des plats qui vous font une culture à nulle autre égale …

C'est armé d'une épuisette qu'il alla accomplir son forfait. Il craignait les coups d'ailes et les coups de becs. Pêcheur dans l'âme, il maniait le filet avec dextérité, la suite prouvera que c'était hélas sans réflexion. Deux coqs finirent ce jour-là leur existence insouciante. Le plat fut servi et apprécié et tous les convives. L'histoire se terminait enfin.

Hélas, le drame couvait. Quand deux jours après le gueuleton, la mère rendit visite à son protégé, le coq survivant ne vint pas picorer dans sa main. Elle comprit, horrifiée mais bien trop tard, qu'elle avait mangé comme tous les autres son cher, son brave, son adorable Piou-Piou. Je vous avais prévenu, l'histoire est terrible et sa fin pathétique. La dame en fit une indigestion rétrospective en se jurant bien trop tard, de ne plus jamais manger de coq.

Cette histoire lui reste encore sur le jabot. C'est par un soir de tristesse qu'elle me confia son secret, qu'elle se libéra d'un poids qu'elle ne pouvait plus garder pour elle. Je vous la rends au fil d'une plume, qui je vous le promets, n'est pas celle de Piou-Piou. C'est un hommage que nous lui rendons ainsi !

Gallus gallus domesticussement sien


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