Le
condensé de haine !
Poursuivant mon œuvre
d'expectoration des petits et des grands travers de cette société,
j'ai décidé de vous tenir le crachoir sur un sujet visqueux qui,
phénomène de mode ou mouvement de fond, se répand de bouche à
oreille dans notre belle jeunesse pour concerner dès maintenant 60 %
d'entre-eux au grand désespoir des adorateurs de l'héritage de
notre grand Louis Pasteur.
Il est bon de revenir aux
sources de cette histoire, l'hygiène taillait sa route dans les
esprits civiques d'alors. Le microbe venait de faire une entrée
tonitruante dans les représentations populaires et l'aversion qu'il
provoquait alors, avait eu raison des habitudes fâcheuses des
chiqueurs, priseurs et autres 'expectoreurs' de cette belle époque.
Les effets se firent sentir
immédiatement et les âmes nobles n'avaient plus besoin de se pincer
le nez lorsqu'elles sortaient en public. La tuberculose allait tirer
une révérence que l'on pensait définitive et seuls les fabricants
ou les lustreurs de crachoirs faisaient la lippe.
Le glaviot était devenu
« persona non-crachat » de nos cités. On gardait pour
soi ses viscosités verdâtres, purulentes et mousseuses. D'énormes
mouchoirs à carreaux recueillaient les derniers spécimens de
quelques irréductibles incontinents. Le malotrus qui se faisait
prendre devait payer une amende, cracher à ce bassinet fiscal qui
calme les plus récalcitrants.
Les cours de récréation
pouvaient accueillir les joueurs de billes, l'hygiène ne laissait
personne indifférent et les plus sceptiques savaient maîtriser
leurs humeurs. Le respect était la règle et l'on ne risquait pas la
plus petite infection naseau-comiale.
Puis, tout a changé. Les
hordes de cracheurs sont sortis du bois, plus exactement de la
télévision. La jeunesse, toujours à la recherche de modèles, a vu
les gros plans des retransmissions sportives. L'idole en plein effort
crachait, il fallait l'imiter pour devenir son égal.
Ce nivellement par le bas
eut des effets immédiats. Le sol s'est retrouvé orné de ces ronds
abjects, les cours de récréation redevinrent des lieux parfaitement
infréquentables et la tuberculose retrouva un peu de vigueur et
quelques milliers de poumons à infester.
Bien-sûr, il est conseillé
de garder le silence sur cette marque formidable de la décadence que
nous subissons. Les beaux esprits déclarent avec la fierté de celui
pour qui un bon mot remplace toute réflexion de fond « Que
celui qui n'a jamais craché me jette la première glaire ! ».
Les tenants de la mondialisation et de l'angélisme réunis ne
veulent pas stigmatiser des pratiques qu'ils qualifient de
culturelles.
Le phénomène se
généralise, les compteurs s'affolent et on estime à quinze mille
tonnes ces jolis postillons qui jonchent notre Planète chaque jour.
Le mollard a des adeptes dans le monde entier, la contagion gagne et
bientôt, nous serons submergés par un tsunami de cette salive du
mépris et de l'indélicatesse.
Il y a bien plus qu'un
problème d'imitation ou de pratique ancestrale, le crachat a une
signification sociale forte : « Je vous crache à la figure, je
vous dénie le droit de vivre dans cet espace qui m'appartient ! ».
Ces glaviots, ces gluaux,
ces postillons, ces sécrétions visqueuses, ces expectorations
buccales ne sont rien d'autre que l'expression d'un lexique
défaillant pour exprimer sa détestation de l'autre. Faute de mots,
ce merveilleux condensé de haine, vous est envoyé en pleine figure.
On s'exprime comme on peut, mon bon monsieur, surtout quand la soupe
est mauvaise à en cracher dedans !
Crachotement vôtre
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