Conte
à rebours
Il se peut
parfois que les contes réservent des surprises et ne se contentent
pas de la belle bergère et du prince charmant.
La vieille avait
tout d’une sorcière ; elle avait été belle, mais c’était
il y a si longtemps. Le vieux était pire qu’un démon :
personnage rebutant, il était de ceux qu’on qualifie de gibier de
potence, un gredin qu’il était préférable d’éviter. C'est
avec eux pourtant qu'il me faut poursuivre le récit. Le métier de
conteur n'est pas simple : la beauté et la jeunesse passent, la
richesse n’est pas le lot commun.
Irène, il y a
bien longtemps de cela, avait congédié Archimède. Las de ses
beuveries, ivre de coups, exaspérée par ses forfaits, elle avait
trouvé la force et le courage de le mettre à la porte, préférant
la solitude à ce mauvais attelage boiteux. L’autre honteux,
baissant la tête, conscient de ce qu’il était devenu par la faute
de trop d’échecs et de pauvreté, avait disparu de son existence
sans demander son reste. Il était allé courir sa mauvaise fortune
par monts et par vaux ...
Ce qu’il
devint, Irène en eut écho de temps à autre. Un jour en prison, une
autre fois en cavale, mêlé à une rixe ici ou bien aliéné
quelques temps là)haut, l’homme avait un parcours semé de
cailloux. Non décidément Irène ne regrettait vraiment pas de
l’avoir mis à la porte !
Irène ce
jour-là sentit les premiers signes du grand voyage. Elle était
épouvantablement lasse, le souffle court, le cœur battant la
breloque. Elle était prête, elle avait fait sa vie même si elle
n’avait pas été semée de roses. Elle rangeait son intérieur,
voulant laisser sa maison en ordre avant son grand départ. Elle
attendait sereine, la grande faucheuse.
Mais c’est
Archimède qui était en travers de leur course folle. Il devait être
sourd puisqu’il ne les entendit pas arriver. Il allait être fauché
quand, fort d’un pressentiment, il s’écarta d’un bond
surprenant pour son état. Le chariot de la Camarde passa puis
disparut sans passager.
Irène se signa.
« Qui voit l’Ankou voit sa mort ! » et pourtant ni elle
ni son maudit époux n’étaient partis pour l’autre monde. Elle
vit Archimède se remettre sur le chemin, se pencher et ramasser
quelque chose. Il se remit plus péniblement encore en marche et vint
jusqu’à elle. Que lui voulait-il donc ce mauvais diable ?
Archimède lui
aussi avait senti sa fin proche, il avait souhaité demander pardon à
son épouse avant de quitter cette vallée de larmes. L’émotion
qu’il venait de vivre, en frôlant la mort, le priva de la parole.
Arrivé devant celle qu’il avait tant fait souffrir, il tendit
silencieusement ce qu’il avait ramassé sur le chemin. C’était
un fer à cheval en or, incrusté de diamants. La bonne fortune était
passé bien trop tard pour lui. Le vieux, s’en retourna sans un
mot, Irène vit ses épaules se soulever doucement, il devait
pleurer, ce qui n’avait jamais dû lui arriver.
Puis le
coupe-jarret, l’aigrefin, le margoulin s’en retourna par le même
chemin d’un pas plus lourd encore. Arrivé à l’endroit exact où
il avait croisé l’Ankou il s’effondra. Irène n’eut pas besoin
d’aller à son secours, elle savait qu’il était trop tard. Elle
se dit encore que sa dernière heure allait à elle aussi sonner
bientôt. Elle n’avait que faire du trésor remis par cette
canaille.
Quand elle
revint dans sa masure, elle ferma la porte et se coucha. Elle était
lasse, fatiguée comme jamais. Elle sentait le terrible poids des
années sur ses épaules et dans son cœur. Elle ferma les yeux ;
pour s’endormir une dernière fois. Elle en était certaine …
Au petit matin,
le chant du coq la tira d’un curieux songe. Elle se réveilla,
sentit une présence à ses côtés. Elle s'en étonna, tâta ce qui
apparut être un corps robuste et ferme qui dormait là. Elle ouvrit
les yeux, regarda. C’était Archimède ! Non, pas celui qui était
mort la vieille, mais le jeune gars qui lui avait tant plu autrefois.
Il était là à côté d'elle.
Elle entendit
quelqu’un frapper à la fenêtre et lui faire un geste. C’était
l’Ankou, elle en était certaine. Elle se retourna pour suivre son
geste, sur la table de la cuisine, elle vit trois fers à chevaux,
incrustés de diamants. L’apparition s’enfuit non sans lui avoir
accordé un clin d’œil.
Il sera une
nouvelle fois, un jeune couple de braves gens. Ils vivront une
seconde existence heureux et prospères. Le bonheur se trouve parfois
sous les sabots d’un cheval.
Réincarnement
leur.
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