Comme
un poisson dans l’eau.
Espace
Halieutique pour Poissons Accablés de Douleurs
Entre
conte et réalité se glisse parfois une fable ou bien, une simple
fantaisie. Laissez-vous mener parle bout des rêves, l’important
est de rester à flot sans jamais perdre pied dans ce monde si
curieux.
Le
vieux brochet
Un
vieux brochet aux aguets
Guettait
sa future proie
C'est
un goujon en tournée
Qui
vint s'offrir à son choix
Il
s'avança sous son nez
Innocent
et fort placide
Le
carnassier alléché
S'il
s'était montré avide
N'en
aurait fait qu'une bouchée
Sans
la moindre distinction
Quand
avant de l'avaler
Le
gourmand eut un soupçon
Cette
onde était si troublée
Il
percevait quelques signes
Incitant
à se méfier
De
la friture sur la ligne
Brochet
retenant son geste
Bouche
bée lors se figea
Devant
goujon qui du reste
Se
refusait au trépas
« Je
ne suis pas aussi frais
Que
mon ami le gardon
Son
œil rouge vous effraie
C'est
tromperie de luron ! »
Brochet
se dit dans l'instant
« Je
me fais végétarien »
Et
goujon reconnaissant
Lui
octroya du vieux pain
Le
croûton était si dur
Qu'il
se brisa toutes les dents
Ainsi
finit l'aventure
Du
carnassier en pâture
Qui
mange dans le courant
Se
méfie des poissons blancs
Ils
ne sont pas bon conseil
Eux
et tous leurs pareils
Le
vieux brochet aux aguets
Attendait
son futur mets
C'est
un mitron en tournée
Qui
lui offrit sa fournée
Épilogue
Le
malheureux carnassier édenté, las de manger du pain sec bien qu’il
lui fut jeter dans l’eau, se dit que vu son grand-âge, il pouvait
bien prétendre se réfugier dans un EHPAD : Espace Halieutique pour
Poissons Accablés de Douleurs. D’autant plus que dans l’onde
pure un mal sournois se répandait parmi ses congénères.
La maladie
rénale proliférative se répand comme une traînée de poudre dans
les rivières depuis que la température des eaux monte de manière
excessive. Les symptômes sont terribles, les victimes ne
s'intéressent plus à leur environnement et prennent une coloration
foncée. Leurs yeux gonflent
tandis que le ventre se fait plus volumineux.
Un parasite
présent dans l’eau attaque les malheureux en pénétrant dans leur
organisme par les branchies. Les autorités piscicoles ont décrété
le port d’un filtre autour des ouïes. La chose n’est pas simple
à porter et encore moins à se procurer d’autant que la zone de
production provient essentiellement du fleuve Yangzi dit aussi le
fleuve bleu.
C’est
d’ailleurs une peur bleue qui a gagné toute la population
fluviale, les poissons tombant comme des mouches. Les pertes sont
estimées entre 10 et 15 % des individus ayant contracté le
parasite. C’est ainsi que devant cette terrible menace, notre
pauvre brochet décida d’aller demander une place dans un EHPAD.
Il remplissait
le formulaire d’inscription quand une libellule bien intentionnée
suffisamment rapide pour ne pas être gobée par son interlocuteur,
l’informe des mesures sanitaires que vient de prendre le grand
conciliabule central de la rivière. Les vieux spécimens terminant
leurs jours dans un tel espace de relégation ne seront plus admis
dans les centres médicaux en cas d’infection. C’était à coup
sûr la mort, une simple accélération du processus aurait dit le
jeune poisson plein de vigueur qui commande à la troupe.
Notre vieux
brochet jette immédiatement son formulaire. Quoique édenté, il se
sent encore plein de vigueur et capable de résister à l’odieux
parasite. Il se met en demeure de changer son régime alimentaire.
Lui le carnassier qui s’était satisfait de pain, ne peut plus
compter sur la charité humaine. Il convient de se tourner vers les
ressources locales.
Après avoir
attentivement observé les carpes qui comme chacun le sait sont
originaires de Chine, ces dernières sont plus en mesure de répondre
aux nouveaux défis de cette époque. Elles se contentent de se
mettre sous la dent, formule assez malheureuse pour notre brochet,
tout ce qui traîne au fond de l’eau.
Notre brochet se
fait alors omnivore, préférant les aliments issus de la
décomposition. Il perd ainsi de sa superbe tout autant que son titre
de prédateur. Il conserve une dent contre le pouvoir qui méprise
ainsi les anciens. Il songe d’ailleurs à saisir le tribunal
international de La Haye pour crime contre l’humanité
vieillissante.
Tout édenté
qu’il est il n’en conserve pas moins son mordant et sa pugnacité.
C’est ainsi que le ban et l’arrière ban du Grand conciliabule
tombent dans les rets d’une justice totalement indépendante des
courants nationaux. Le vieux brochet s’illustre comme le poisson
pilote de la révolte des gueux, un juste retour des choses pour une
histoire qui ne s’achève pas en queue de poisson.
Il vécut le
reste de son âge, heureux dans un univers où chacun est traité
dans la même dignité quel que fut son âge et sa condition. Il se
dit parfois qu’il ferait bien d’expliquer aux humains que ceci
était possible, mais avec ceux-là, il n’est jamais facile de leur
faire entendre raison. Il préfère se contenter de ce qu’il a
obtenu pour ses semblables. Après tout, ce qui se passe hors de
l’eau, n’est pas de son ressort.
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