Jardinière
de légumes.
Il
était une fois Gustave un vieux jardinier amoureux de son labeur. Il
avait l’honneur d’être le maître d’œuvre du merveilleux
potager de Villandry dominant la vallée du Cher. L’homme avait une
aide précieuse, toujours derrière lui pour l’aider dans sa tâche,
c’était Jacquenote sa petite fille dont il avait la garde.
La
gamine était espiègle, vive et très jolie. Oh bien sûr, au
château personne ne la remarquait, elle était en haillon, un peu
sauvageonne et pas forcément très propre. D’ailleurs c’est bien
plus vers la forêt que la menaient ses pas, lorsqu’elle allait
retrouver Irène, son amie qui lui enseignait les secrets des plantes
sauvages. Si Jacquenote n’allait pas à l’école c’est qu’elle
trouvait dans la nature tous les enseignements dont elle avait
besoin. Mais laissons la petite grandir et attachons-nous à ce
curieux récit provoqué par le désir du grand-père …
Gustave
avait entendu parler par quelques voyageurs en visite au Château
d’une variété de pois qui produisaient de succulentes graines
enfermées dans des gousses. Il apprit que cette merveille venait de
la très lointaine Chine. Il eut l’idée de parler de son désir à
quelques mariniers qui descendaient le Cher pour aller jusqu’à
Nantes. Il leur demanda d’interroger des marins au long cours. Il
espérait que l’un d’eux puisse lui apporter ce trésor si
précieux à ses yeux.
Le
temps passa. Gustave n’espérait plus posséder ses graines
lointaines. Jacquenote était devenue une grande et belle jeune fille
qui attirait bien des regards. Quand un jour, le miracle eut lieu. Un
matelot lui apporta ce qu’il espérait tant. L’homme lui raconta
une curieuse aventure :
Les
graines avaient voyagé sur la grande mer océane sur des bateaux
commerciaux. Par un curieux hasard, elles avaient partagé ce long
périple avec des huîtres perlières qu’on voulait implanter en
Vendée. Un coquillage s’était lié d’amitié avec une graine.
Durant leurs longues conversations, l’huître avait glissé un
étrange secret qui germa en l’esprit du pois.
Gustave planta ses graines et en prit grand soin. Elles poussèrent,
ravies d’être entourées des plus belles plantes du jardin de
France dans cette Vallée des Rois à la si belle douceur de vivre.
Jacquenote se prit de passion pour cette plante. Elle avait remarqué
une gousse plus grosse que toutes les autres qui semblait lui envoyer
des messages. Il ne se passait pas un jour sans que la jeune fille ne
vienne en prendre soin, l’arroser ou bien retirer quelques
mauvaises herbes à son pied. Gustave s’amusait des longues
conversations que sa petite fille avait avec une plante, une douce
folie qui n’étonnait pas le jardinier qui n’échappait pas, lui
non plus à cette pratique.
Quand
vint le temps de la récolte, Jacquenote pria Gustave de lui laisser
l’honneur de cueillir sa chère gousse. Le vieil homme n’y vit
aucune objection. La belle ouvrit la gousse et là, émerveillement,
elle y découvrit sept perles émeraudes, d’une pureté absolue. Un
don de la nature, un trésor d’une extraordinaire délicatesse.
Jacquenote
n’en dit rien à son grand-père. Elle se précipita vers sa
vieille amie Irène, femme à la réputation sulfureuse dans le pays.
La dame admira elle aussi ce cadeau de la nature puis se mit en
demeure d’en façonner le plus beau des colliers qu’elle glissa
autour du cou de sa protégée. La vieille sourit de son grand
sourire édenté qui plaisait tant à la gamine :« Voilà la
chance de ta vie ! » lui dit-elle.
Jacquenote
ne comprit pas ce message. Comment, elle petite paysanne en haillon
pouvait-elle porter un tel bijou sans risquer d’être accusée de
vol ? Irène tint alors des propos énigmatiques, jeta des poudres en
direction de la jeune fille. Une transformation se passa. Jacquenote
portait belle robe, parure délicate, bottines fines et gracieuses,
coiffe discrète et élégante. Par-dessus tout, on percevait le
scintillement de son collier de petits pois.
Irène
lui glissa : « Saisit ta chance, il y a un grand bal au château
ce soir. Mais attention ma petite à minuit tu devras te sauver pour
retrouver ta condition. À toi de trouver celui qui saura répondre à
tes espoirs parmi tous les beaux gentilhommes présents »
La
belle fit une entrée remarquée dans le bal. Tous les muscadins se
retournèrent, admirant cette beauté. Nul ne l’avait jamais vu
auparavant. Les cavaliers se succédèrent, réclamant tous une danse
avec la belle. Les hommes n’avaient d’yeux que pour son cou
élancé, sa taille fine, son sourire délicat, sa mine rayonnante,
étrangement hâlée alors que toutes les autres femmes étaient
poudrées.
Quand
le premier coup de minuit sonna, Jacquenote se sauva prestement
devant une assistance médusée. Elle déclara tandis qu’elle
franchissait les grandes portes du perron : « Je donnerai mon
cœur à celui qui saura cultiver sa différence ! ». Les
jeunes princes restèrent quelques instants figés de stupeur, cette
sortie était particulièrement spectaculaire. Retrouvant leurs
esprits au douzième coup de la minuit, beaucoup voulurent la suivre,
tenter de la rattraper pour se jeter à ses genoux. Ils sortirent à
leur tour du château et ne virent pas la belle. Elle s’était
volatilisée comme par magie.
Puis
la stupeur devint colère et même consternation. Ils ne purent
poursuivre la mystérieuse danseuse. Leurs carrosses et leurs
montures s’étaient transformés en un tas grossier de légumes de
toutes tailles et de toutes formes. Il y avait même là une
magnifique citrouille.
Tous
les muscadins, à l’exception d’un seul, se mirent dans une rage
folle, insultant le diable et la terre entière, maudissant la belle
qui s’était jouée d’eux. Ils piétinèrent les légumes et
rentrèrent outrés et déconfits dans leurs belles demeures
respectives, se jurant d’oublier à jamais celle qui n’avait dû
être qu’un mirage.
Seul,
le jeune Brillat- Savarin comprit le message énigmatique de la
beauté. Il ramassa tous les légumes, y compris ceux qu’avaient
massacrés ses compagnons. Le lendemain, il alluma un grand feu,
confectionna une soupe succulente, un brouet comme jamais plus on
n’en goûterait !
Il
porta sa soupe au village voisin. Il en fit grande et généreuse
distribution. Toute la journée passa en distribution. La grande
marmite de fonte laissait voir son fond. Il ne restait plus qu’une
louche à servir. Le garçon leva les yeux, devant lui une femme mal
vêtue certes mais d’une beauté rayonnante. Elle avait à son cou
le collier d’émeraudes.
Jacquenote
s’adressa au jeune homme après avoir goûté la soupe : « Grande
et bonne est ta différence. Cultive toujours ton art, tu seras un
formidable cuisinier. Je serai ta femme et ferai pousser pour toi
tous les légumes du monde ! ». Ils se marièrent,
travaillèrent beaucoup et furent très heureux. Le consommé de
petits pois de Brillat-Savarin resta dans les mémoires comme le plus
délicieux qui soit. L’épanouissement se trouve dans l’amour de
son travail, fut-il le plus humble qui soit. Menteurs sont ceux qui
affirment le contraire.
Macédoinement
leur.
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