En chamboulant le temps
En bousculant l'histoire
En martyrisant la chronologie
En travestissant la vérité
En défiant la logique
Et en grimant les personnages
Le bonimenteur vous invite à le suivre
Lorsqu'il vous déclare avec gravité :
« Il advint une bonne fois pour toute !
Qu'il vous faudra bien accroire »
lundi 6 avril 2020
L’arbre aux oiseaux
Pour
tutoyer les anges
à lire et à écouter
Il
était une fois un enfant, Victor qui pour beaucoup n’avait pas
toute sa tête. Pour communiquer, il sifflait si merveilleusement
qu’il se faisait comprendre des humains. Mais plus encore, il avait
trouvé en lui la capacité de s’entretenir avec les oiseaux qui
aimaient tous sa compagnie.
Victor
avait un arbre fétiche, un magnifique chêne, vénérable et
majestueux, noueux et puissant sous lequel il avait l’habitude de
converser avec ses amis ailés. Les gens d’alentours respectaient
ce rendez-vous. De rares personnes se signaient à ce spectacle,
pensant y voir la marque du démon. D’autres tout au contraire, à
genoux, les mains jointes, se persuadaient de voir la volonté du
très grand.
Victor
s’amusait de ces deux attitudes, marques tangibles de toute les
superstitions. Il savait qu’il n’y avait nulle magie ni
sorcellerie dans son pouvoir, simplement le fruit d’un patient
apprentissage. Les oiseaux et lui s’étaient mutuellement
apprivoisés, avaient appris à se comprendre et à se faire
confiance. Ni Dieu ni Diable dans ce pouvoir, mais simplement
l’expression d’un cœur pur.
Nous
étions en bord de Loire, du côté de La Charité-sur-Loire là où,
jadis, selon la légende, la mère de Jésus en personne vint faire
offrande miraculeuse à trois braves moines en étalant son manteau
devant l’autel de l'abbaye. Aussitôt le vêtement se remplit de
pièces d’or tandis que Marie allait rendre la vue à un aveugle…
C’est ainsi que la cité devint un passage du grand pèlerinage de
Saint Jacques.
Victor
savait l’histoire mais ne s’en souciait guère. Lui, se
contentait des petites bêtes de la création qui volent en toute
liberté. Il était heureux ainsi et ne demandait rien de plus.
Un
jour, le monde de Victor s’écroula. Des bûcherons à la demande
d’un charpentier de marine, vinrent abattre le vieux chêne.
Destiné à devenir un bateau, durant quelques années, ces planches,
branches, racines furent mises à sécher. Victor se lamenta, pleura
beaucoup puis invita ses amis ailés à se disperser pour choisir
d’autres perchoirs.
Victor
prit une nouvelle habitude. Il désirait assister à la
transformation en bateau de son ami l’arbre. Il ne se passait pas
un jour sans qu'il visitât Sébastien, le charpentier naval de La
Charité. Il le saluait de quelques coups de sifflets brefs et
stridents auxquels l’artisan répondait par un roulement de langue
à sa manière. Victor, d’une petite mélodie interrogative,
demandait chaque jour si l’artisan allait se mettre à l’ouvrage.
L’homme répondait d’un long sifflement de dénégation en
remuant la tête. Victor s’en allait alors rejoindre les oiseaux,
un peu plus loin.
Un
jour, le menuisier lui répondit de deux coups brefs et joyeux. Le
bois était sec à point, le temps était venu d’en faire le plus
beau et le plus aérien des bateaux. Sébastien, était réputé
pour construire des embarcations légères, étroites, maniables et
particulièrement adapté pour filer remonter au vent.
De
ce jour, Victor assista à toutes les étapes de la construction.
Lorsque l’artisan avait besoin de son aide, deux petits coups
stridents entre ses dents invitaient le garçon à lui donner un coup
de main. Victor se précipitait à son aide. Une incroyable
complicité s’établit entre eux. Sébastien et Victor se
comprenaient, tout simplement en sifflant.
Les
différentes étapes de la fabrication confirmaient à chaque fois
l'habileté du menuisier et sa capacité à façonner une embarcation
conçue pour la navigation à la voile. Victor caressait le bois,
appréciant la douceur des courbes, la solidité des emboîtements.
Chaque jour, en fin de journée, il quittait son ami d’un
sifflement admiratif qui flattait toujours le menuisier.
Un
jour, le bateau fut prêt. Sébastien le gréa, lui installa un mât,
haut et fin, l’équipa d’une grande voile rouge et carrée. Elle
semblait de taille disproportionnée pour ce petit fûtreau mais là
était la volonté de son constructeur. Il espérait que son bateau
remonte le puissant courant sans la moindre difficulté par la seule
force du vent.
Victor
instinctivement savait qu’il avait accompagné la naissance d’un
bateau extraordinaire. Il exprima à Sébastien son admiration d’une
longue conversation sifflée. Il lui fit alors une requête que son
ami ne saurait lui refuser. Le menuisier l’accepta de bon cœur.
Victor était le plus heureux des garçons..
C’est
lui qui eut l’honneur d’étrenner « Icare » le beau
coursier. Ils attendirent un jour de grand vent du nord-ouest pour le
baptiser en passant sous le pont de La Charité. Une folie pour les
mariniers du pays !
Ce
jour-là, Victor embarqua, calme, certain de son succès. Il plaça
Icare le nez face au courant, hissa la voile et l'étarqua
solidement. Le bateau répondait à merveille, il remonta les flots
avec une formidable aisance. Le garçon se mit à siffler de toutes
ses forces. Des rives, tous les oiseaux vinrent se poser sur le
bateau. Les uns sur la vergue, d’autres sur le mât, certains sur
les écoutes ou les bordées.
L’enfant
riait aux éclats. Tous ses amis déployèrent leurs ailes, les
agitèrent frénétiquement. Le bateau ne glissait plus sur la Loire,
il prit de la hauteur, il s’envola et franchit le redoutable pont
non pas sous les arches mais au-dessus de son tablier. Il prit encore
de la hauteur et disparut dans le ciel. Jamais on ne revit Victor ni
son bateau.
Cette
histoire restera longtemps confidentielle. Il n’était pas question
de raconter pareille chose au risque de passer pour un affabulateur.
Elle se confia de bouche à oreilles dans le secret des veillées
nivernaises et berrichonnes quand quelques « causeux »
venaient distraire la compagnie. Puis les années passèrent et
beaucoup oublièrent l’aventure de Victor.
Quand
en 1929, il fut décidé au ministère de la Marine d’installer à
La Charité-sur-Loire une base d’hydravions sur la rivière
canalisée par un duit, personne ne fut outre mesure surpris. Dans
les esprits des gens du pays, la relation avec le miracle de Victor
était évidente.
Prenez bien garde si vous remontez la Loire à la voile de ne pas
siffler sur un fûtreau construit au bec d’Allier. Vous pourriez
bien tutoyer les anges …
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