lundi 13 avril 2020

En Marche vers l'inconnu

Le Haut du panier




En traversant la rue.





Il fut un jour pas comme les autres durant lequel un jeune garçon : Nicolas, las de vivre de la générosité publique, ce qu’on nomme pudiquement l’allocation chômage, se mit en quête de la dignité élémentaire que constitue un emploi. Il avait ouï dire qu’un personnage, le plus haut placé qui soit, conviait les gueux et les manants à visiter sa demeure. Nicolas voulut saisir cette opportunité pour tenter sa chance.




Il était jardinier, un humble travailleur de la terre qui avait hérité d’une passion familiale, l’avait amélioré dans une école agricole, formation validée par un beau diplôme, qui, espérait-il, n’était pas destiné a simplement ornementé une cheminée. Il aimait son métier. Il voulait se sentir en harmonie avec la nature. Pour apporter démonstration de son savoir-faire, il vint à la rencontre du tout puissant avec un beau panier d’osier regorgeant des légumes de sa production.




Il y avait longue file d’attente devant le Palais. Après avoir piétiné, une habitude qu’allait découvrir la nation durant le règne de ce monarque de la Finance, Nicolas se présenta enfin devant le haut dignitaire. Freluquet avait profité de la journée du patrimoine pour améliorer l’ordinaire. Il vendait des gadgets, babioles et autres colifichets tous fabriqués en Orient par des presque esclaves. Les produits étaient tricolores pour sauver les apparences.



Nicolas appris que la vente était destinée à financer les frais annexes de la fonction. Il ne s’agissait pas de refaire la façade de la belle résidence, ni même de changer la vaisselle, cela relevait de l’impôt. Non il était question de dépenses esthétiques pour la première dame, marraine d’un panda. Son tour venu, notre jardinier se vit proposer une magnifique breloque à un prix qui ne correspondait absolument pas à ses moyens




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Nicolas repoussa l’offre et poliment déclara qu’il sollicitait de sa Grandeur, l’honneur d’être embauché comme jardinier dans les jardins de cette somptueuse résidence, afin de réduire les frais de bouche de la maison. L’autre de se moquer d’une telle prétention. Le couple princier n’aimait rien tant que des produits exotiques, venus tout spécialement par avion pour satisfaire à leur gourmandise. Il répondit dédaigneusement / «  Ne me faites pas perdre de temps, nous dégraissons les effectifs au nom de la doxa libérale ! »




Nicolas ne comprenait rien à ce discours. Malgré ceux qui piaffaient d’impatience derrière lui, il crut bon d’insister : «  Regardez donc mon bon Prince ce dont est capable de produire un jardinier de votre pays. Offrez-moi un emploi et vous vous régalerez de mes productions naturelles ! » Freluquet en avait assez de cet importun. Il fallait s’en débarrasser promptement, il risquait de mettre à mal la recette du jour. Il prit un air sentencieux et déclara : « Mon pauvre ami, vous vous égarez. Vous avez choisi une filière que nous entendons sacrifier au nom de l’agriculture intensive et chimique. Vous feriez mieux de changer de secteur professionnel ! »



« Mais que me conseillez-vous, grand Prince ? J’aime tellement mon métier, les produits naturels et le rythme normal des saisons. » Dans une dernière réplique, afin que cesse cette mascarade qui n’avait que trop duré, Freluquet lui affirma : «  Traversez donc la rue, de l’autre côté, quand cessera le confinement, vous trouverez j’en suis certain un emploi de cuisinier. Allez, obéissez et disparaissez de ma vue ! »




La foule poussa le jeune homme. Chacun voulait voir la portée du propos princier. Des caméras se braquèrent vers Nicolas, des photographes immortalisaient la scène tandis que le bon peuple, dans un grand élan de crédulité, lui demandait de se mettre en marche … Nicolas et son panier rempli de poireaux, navets, carottes, pomme de terre et céleri affronta la circulation de la grande avenue. Il dut éviter de grosses berlines aux vitres teintées, des véhicules qui filaient vers la Suisse porter l’argent que la suppression de l’ISF permettait de mettre en lieu sûr avant un changement de politique. Il les évita tant bien que mal, s’arrêta au milieu de la chaussée, incapable d’aller plus loin …




La foule se fit présente. Les cris d’encouragement sortaient de milliers de poitrine invitant le courageux jeune homme à démontrer aux yeux de tous la valeur de la parole du très grand. Nicolas, filmé et photographié ne put se dérober. Il fit un nouveau pas, un pas de trop hélas. Un convoi blindé accompagnait un homme qui venait de fuir le Japon et porter ses richesses aux Îles Caïman, non s’en avoir salué son ami Freluquet.



Nicolas fut violemment percuté, écrasé sauvagement tandis que le véhicule poursuivait sa route. Ce fut un cri d’effroi. Des hurlements abominables d’abord devant l’odieux spectacle puis des milliers de têtes se tournèrent vers le Prince qui imperturbablement continuait son négoce. La pression populaire le contraint à s’expliquer : «  Mais qui y-a-t-il donc loyaux sujets ? Qu’ai-je fait pour mériter ces regards courroucés ? Ne lui avais-je pas promis de devenir cuisinier ? Regardez sur le bitume, il vient de préparer la plus somptueuse soupe de légumes qui soit ! »



Cette fois, Freluquet était allé trop loin. Il venait de montrer son véritable visage tout autant que le profond mépris qu’il avait pour cette plèbe dont il prétendait faire le bonheur. Ceux qui avaient avalé sa promesse d’emploi de l’autre côté de la rue, le poussèrent dans le flot de la circulation. Il fut à son tour écrasé, non pas par le flot des véhicules mais par la colère des laissés pour compte.




Traversièrement sien.




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