Méfiez
vous de l’eau qui dort ...
Il
était une fois une goutte d’eau casanière qui n’aimait rien
tant que de vivre de certitudes dans un circuit connu d’elle. Elle
avait adopté un cycle, un trajet qu’elle entendait revivre
indifféremment le reste de son âge. Il est vrai que la demoiselle
avait bon goût, ayant porté son dévolu sur un circuit qui ne
manquait pas de charme. Elle y avait ses aises, ses plaisirs, de
belles rencontres et de grandes émotions. Tout coulait de source
pour elle et elle n’entendait nullement changer de point de chute.
Ainsi,
quand le soleil, le vent, le tumulte de l’Océan Atlantique par la
magie de la transmutation de la matière faisait d’elle de la
vapeur, elle choisissait immanquablement un nuage qui filait vers
l’Est. Elle avait l’art de se glisser dans le bon wagon, de
prendre de la hauteur pour être certaine d’arriver à bon port,
quoique l’expression est assez maladroite tant son plateau du Forez
en ce temps-là n’avait rien d’une installation portuaire.
Elle
y appréciait le côté sauvage, la multitude des sources qui lui
permettaient de découvrir à chaque voyage de nouvelles amies. Elle
appréciait les gens de l’endroit, peu nombreux certes, mais si
respectueux de leur environnement qu’ils ne songeraient jamais à
la maltraiter quand elle venait à passer entre leurs mains. Elle
était alors dans son pays de cocagne et se laissait porter de petite
rigole, en délicieux ru, de ru en ruisseau, de ruisseau en rivière
jusqu’à une grande rivière que les hommes, toujours avides de
classifications pompeuses, désignaient sous le vocable de fleuve.
Elle
aimait tout particulièrement les variations immenses de sensation.
Parfois elle affrontait des eaux tumultueuses, se fracassant contre
des rochers, sautant des obstacles périlleux, à d’autres moments
elle coulait paisiblement des jours heureux entre bancs de sable et
rives accueillantes avant que de se diluer dans un estuaire certes un
peu envasé mais si majestueux, qu’elle s’y chargeait de sel sans
s’en offusquer.
Durant
ses aventures, elle avait même surpris des conversations qui
affirmaient que son fleuve était à la fois royal et sauvage. Toute
goutte d’eau qu’elle était, elle se demandait comment pouvait-on
associer ainsi deux affirmations aussi contradictoires. Elle avait
même surpris des gens qui prétendait que sa merveilleuse compagne
était capricieuse, quelle farce, comme si une rivière avait
volontairement des sautes d’humeur ! Mais sur elle, les questions
existentielles glissaient alors, sans lui causer de réels tracas.
Durant
ses multiples trajets, elle prenait plaisir à voir les efforts des
hommes pour apprivoiser sa rivière, l’embellir, la dompter quelque
peu. C’était du moins au début. Elle fut enthousiaste quand ils
dressèrent sur ses bords des fortifications, des châteaux forts,
perchés sur les hauteurs qui au fil des siècles se firent plus
aimables, plus accueillants jusqu’à faire l'orgueil du monde
entier.
Elle
ne pensait pas alors que ceux qui avaient imaginé de telles
merveilles puissent un jour penser l’horreur et l’effroi. Elle ne
comprit pas immédiatement que ces grandes tours hideuses ne seraient
pas celle d’un château mais tout au contraire un des pièges
mortels dans lequel elle allait tomber parfois. Il y avait eu tant de
changements encore qu’elle ne comprenait pas tout. Elle sentait
souvent mauvais, était chargé d’impuretés et de miasmes honteux.
Quelle horreur !
Puis
il y eut cet affreux barrage qui la fit prisonnière un temps avant
que de passer dans des turbines qui lui prirent toute son énergie.
Elle tombait de haut, elle n’était qu’un objet dans les mains
des hommes qui se jouaient d’elle pour de multiples usages. Elle
n’allait plus jusqu’au bout de son périple sans connaître de
désagréables surprises et d’effroyables dérivations.
Elle
se retrouva un jour gouttelette de pluie dans l’antre infernale de
l’une de ces hideuses tours. Elle y eut si chaud qu’elle partit
en fumée haut dans le ciel et dut reprendre sa course en effectuant
un lointain retour en arrière. Elle se dit qu’elle avait connu le
pire mais avec ceux qui vont debout sur leurs jambes arrières, rien
n’est jamais plus certain que le pire. Elle se chargea de mazout,
de métaux lourds et autres impuretés dont certaines étaient
radioactives même s’il ne faut le dire à personne. Elle se mit à
tousser tant, ces malotrus lui jetaient à la figure des mégots par
millions. Quelle misère.
Puis
elle découvrit que retrouver sa rivière n’était plus toujours
possible. Sur quelques-uns de ses points de chute habituels, le
béton, le bitume avaient remplacé l’herbe. Elle ruisselait puis
tombait dans des gouffres noirs. Il lui arrivait parfois de retrouver
la rivière, à d’autres moments elle disparaissait dans des
réservoirs, on l’oubliait là, elle croupissait, elle s’ennuyait
d'autant plus qu’elle n’y croisait ni poissons ni oiseaux.
Décidément,
il était temps pour elle de changer d’air. La chose est facile
pour une goutte d’eau, il suffit de se laisser porter par un vent
meilleur. Hélas, mille fois hélas, ses tentatives furent autant de
désastreux périples. Ailleurs c’était pire encore, sécheresse,
pollution, déserts, villes insalubres, terres empoisonnées, zones
irradiées… Les hommes saccageaient la planète avec une jubilation
qui la laissait dubitative. Jusqu’où iraient ces monstres ?
Elle
s’étranglait d'indignation. Mais que peut une goutte d’eau dans
ce vaste monde ? Elle en était là de cette question quand elle eut
une idée. Elle seule, elle n’y pouvait rien, elle devait se
contenter de subir et de souffrir mais avec toutes ses congénères,
elle pouvait châtier ceux qui sacrifiaient la Planète à la
cupidité de quelques-uns et la lâcheté de tous les autres.
Elle
fit une campagne d’information qui fit tache d’huile. Toutes les
gouttes d’eau du Monde se donnèrent la main. Elles décidèrent de
noyer cette humanité stupide, de nettoyer à jamais la planète de
cette engeance monstrueuse. Le nouveau déluge se mit en route. La
pluie tomba du ciel sans interruption tandis que toutes les glaces se
firent eau. Les hommes furent noyés et nul Noé se dressa pour en
sauver quelques spécimens. Dieu avait compris son erreur, il fallait
éradiquer cette espèce invasive.
Le
travail fut rondement mené. La goutte d’eau avait triomphé du mal
absolu. Les hommes n’avaient rien compris, l’enfer pour eux
n’était pas un vaste brasier mais une vague gigantesque qui les
submergea tous. Puis le calme revenu, le Paradis sur terre fut à
nouveau possible, tous ces mauvais diables étaient morts noyés.
Cataclysmement
vôtre
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