lundi 14 octobre 2019

Georges, le pêcheur d'épaves.



Un pirate de plus sur la Loire !



Sur notre Loire, il n'est pas surprenant de croiser des personnages au caractère bien trempé. Il se peut même qu'ils aient une grande propension à déborder quelque peu, à sortir des chemins balisés. Ne soyez pas étonné que celui que j'ai croisé ne soit ni falot ni insipide. C'est même tout le contraire, l'homme peut, à bien des égards, désarçonner par ses excès et ses manières. C'est ce qui en fait son charme et sa douce folie …

Georges est un vrai gueux. Il en constitue même le paradigme des temps modernes tout en ressemblant fort à l'image que l'on se fait des trimards d'autrefois. Il en a la gouaille, le parcours chaotique et des plaies plein le cœur. Mais comme ses glorieux prédécesseurs, c'est un seigneur sur l'eau même s'il se donne avec jubilation une allure redoutable de pirate édenté.

J'écrivais justement ces quelques lignes sur mon calepin alors que je remontais la Loire à bord d'un toue sablière. Nous allions vers le petit port de la Binette sur la commune de Bou quand nous vîmes Georges et son canoë rouge. Il nous attendait pour profiter de l'aubaine de notre moteur afin de nous emboîter le pas.

J'avais l'intention de brosser son portrait, de tenter de restituer le parcours incroyable et agité qu'il m'avait confié la veille. Il n'était plus temps de se concentrer sur mes notes, la quiétude à bord n'était plus qu'un lointain souvenir. Georges allait transformer cette remontée en une épopée, une farce à peine croyable, une aventure drolatique. Il est de ces êtres qui chassent les soucis de la vie en convoquant la farce et la bouffonnerie.

La routine pas plus que la mélancolie ne sont de rigueur quand ce drôle de paroissien se trouve dans les parages. Il a une gouaille sortie tout droit des dialogues d'Audiard et une gueule à tourner chez Jean-Pierre Mocky. La mélancolie n'est pas sa compagne et tout est prétexte à fantaisie. Il ne tarda pas à se mettre en action.

Il commença par transformer notre petit bateau en un espace de grande agitation. Il voulut d'abord mettre à couple son canoë, l'attacher en parallèle. Il bougeait en tous sens, allait de l'avant à l'arrière, cherchant sans doute à nous donner le roulis. Le résultat n'était pas satisfaisant, le corps inerte déviait notre trajectoire et occasionnait des turbulences. Qu'à cela ne tienne, Georges chargea son compagnon sur le nôtre ! Le confort en prit un sacré coup. Adieu les travaux d'écriture !

Je n'avais d'ailleurs plus l'opportunité de me concentrer. Nous disposions d'un discoureur incroyable qui nous racontait avec une langue colorée sa Loire. Elle est faite de pêche et de recherche d'épaves, d'objets abandonnés par le temps et les hommes. Il est toujours à l'affût, il scrute les rives et le fond.

Alors qu'il me faisait la liste des objets aussi hétéroclites qu'improbables qu'il avait ainsi sortis de la rivière, il hurla qu'il fallait nous arrêter. La manœuvre sur l'eau n'est pas immédiate, il fallut reculer pour satisfaire l'impérieuse exigence du bonhomme. Soudain, il avait retrouvé ce qui avait éveillé sa curiosité.

Georges sauta par dessus bord tout habillé. Le trésor devait en valoir la peine et à voir sa mine réjouie, il avait trouvé un objet fabuleux. Il avait fière allure notre pirate avec ses nu-pieds en plastique aux couleurs du camouflage de l'armée, son bermuda noir avec des franges découpées à la manières des motards, son bandana de corsaire sur un crâne dégarni, son unique dent illuminée par un sourire contagieux et ses yeux plein de malice !

Il remonta sur le bateau, mouillé mais porteur d'une bouteille de bière qui n'était pas décapsulée. Comment l'avait-il remarquée ? Que faisait-elle en plein milieu de la Loire ? Je ne pense pas qu'il faille se poser des questions avec un tel naufrageur. Plus loin, il nous rejoua la même scène. Cette fois, il y avait plus de fond. Il n'hésita pas à plonger totalement pour remonter cette fois, plein de rage car la bouteille était vide …

Puis, il alla chercher un objet métallique énigmatique. Il ne put le sortir de l'eau, sans doute un reste des anciennes dragues, un danger qui traîne au fond de l'eau, abandonné par des hommes qui ont cessé de gagner de l'argent avec la rivière … Puis Georges plongea une autre fois pour nous sortir d'un banc de sable.

Il n'eut alors de cesse de s'activer pour nous faire arriver à bon port : il tirait le bateau, il scrutait le bon passage, il indiquait les pierres, il retournait à l'eau pour un mauvais prétexte ! Il était dans son élément. La Loire n'a pas de secret pour lui, il y passe le plus clair de son temps. La pêche est un prétexte, la rivière sa passion.

Nous arrivâmes à la Binette avec une tête de proue pas banale. Georges était fier comme Artaban, trempé et heureux. Il passa la journée en compagnie des autres mariniers. Il avait trouvé une confrérie qui lui convenait parfaitement. Il s'y coula même si sa faconde dénotait parfois. Pas de souci, nous avions apporté notre bonne fortune de mer !

Picaresquement vôtre.

 Je souhaite un prompt rétablissement à mon ami Georges ...

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