Un
pirate de plus sur la Loire !
Sur
notre Loire, il n'est pas surprenant de croiser des personnages au
caractère bien trempé. Il se peut même qu'ils aient une grande
propension à déborder quelque peu, à sortir des chemins balisés.
Ne soyez pas étonné que celui que j'ai croisé ne soit ni falot ni
insipide. C'est même tout le contraire, l'homme peut, à bien des
égards, désarçonner par ses excès et ses manières. C'est ce qui
en fait son charme et sa douce folie …
Georges
est un vrai gueux. Il en constitue même le paradigme des temps
modernes tout en ressemblant fort à l'image que l'on se fait des
trimards d'autrefois. Il en a la gouaille, le parcours chaotique et
des plaies plein le cœur. Mais comme ses glorieux prédécesseurs,
c'est un seigneur sur l'eau même s'il se donne avec jubilation une
allure redoutable de pirate édenté.
J'écrivais
justement ces quelques lignes sur mon calepin alors que je remontais
la Loire à bord d'un toue sablière. Nous allions vers le petit port
de la Binette sur la commune de Bou quand nous vîmes Georges et son
canoë rouge. Il nous attendait pour profiter de l'aubaine de notre
moteur afin de nous emboîter le pas.
J'avais
l'intention de brosser son portrait, de tenter de restituer le
parcours incroyable et agité qu'il m'avait confié la veille. Il
n'était plus temps de se concentrer sur mes notes, la quiétude à
bord n'était plus qu'un lointain souvenir. Georges allait
transformer cette remontée en une épopée, une farce à peine
croyable, une aventure drolatique. Il est de ces êtres qui chassent
les soucis de la vie en convoquant la farce et la bouffonnerie.
La
routine pas plus que la mélancolie ne sont de rigueur quand ce drôle
de paroissien se trouve dans les parages. Il a une gouaille sortie
tout droit des dialogues d'Audiard et une gueule à tourner chez
Jean-Pierre Mocky. La mélancolie n'est pas sa compagne et tout est
prétexte à fantaisie. Il ne tarda pas à se mettre en action.
Il
commença par transformer notre petit bateau en un espace de grande
agitation. Il voulut d'abord mettre à couple son canoë, l'attacher
en parallèle. Il bougeait en tous sens, allait de l'avant à
l'arrière, cherchant sans doute à nous donner le roulis. Le
résultat n'était pas satisfaisant, le corps inerte déviait notre
trajectoire et occasionnait des turbulences. Qu'à cela ne tienne,
Georges chargea son compagnon sur le nôtre ! Le confort en prit un
sacré coup. Adieu les travaux d'écriture !
Je
n'avais d'ailleurs plus l'opportunité de me concentrer. Nous
disposions d'un discoureur incroyable qui nous racontait avec une
langue colorée sa Loire. Elle est faite de pêche et de recherche
d'épaves, d'objets abandonnés par le temps et les hommes. Il est
toujours à l'affût, il scrute les rives et le fond.
Alors
qu'il me faisait la liste des objets aussi hétéroclites
qu'improbables qu'il avait ainsi sortis de la rivière, il hurla
qu'il fallait nous arrêter. La manœuvre sur l'eau n'est pas
immédiate, il fallut reculer pour satisfaire l'impérieuse exigence
du bonhomme. Soudain, il avait retrouvé ce qui avait éveillé sa
curiosité.
Georges
sauta par dessus bord tout habillé. Le trésor devait en valoir la
peine et à voir sa mine réjouie, il avait trouvé un objet
fabuleux. Il avait fière allure notre pirate avec ses nu-pieds en
plastique aux couleurs du camouflage de l'armée, son bermuda noir
avec des franges découpées à la manières des motards, son bandana
de corsaire sur un crâne dégarni, son unique dent illuminée par un
sourire contagieux et ses yeux plein de malice !
Il
remonta sur le bateau, mouillé mais porteur d'une bouteille de bière
qui n'était pas décapsulée. Comment l'avait-il remarquée ? Que
faisait-elle en plein milieu de la Loire ? Je ne pense pas qu'il
faille se poser des questions avec un tel naufrageur. Plus loin, il
nous rejoua la même scène. Cette fois, il y avait plus de fond. Il
n'hésita pas à plonger totalement pour remonter cette fois, plein
de rage car la bouteille était vide …
Puis,
il alla chercher un objet métallique énigmatique. Il ne put le
sortir de l'eau, sans doute un reste des anciennes dragues, un danger
qui traîne au fond de l'eau, abandonné par des hommes qui ont cessé
de gagner de l'argent avec la rivière … Puis Georges plongea une
autre fois pour nous sortir d'un banc de sable.
Il
n'eut alors de cesse de s'activer pour nous faire arriver à bon
port : il tirait le bateau, il scrutait le bon passage, il indiquait
les pierres, il retournait à l'eau pour un mauvais prétexte ! Il
était dans son élément. La Loire n'a pas de secret pour lui, il y
passe le plus clair de son temps. La pêche est un prétexte, la
rivière sa passion.
Nous
arrivâmes à la Binette avec une tête de proue pas banale. Georges
était fier comme Artaban, trempé et heureux. Il passa la journée
en compagnie des autres mariniers. Il avait trouvé une confrérie
qui lui convenait parfaitement. Il s'y coula même si sa faconde
dénotait parfois. Pas de souci, nous avions apporté notre bonne
fortune de mer !
Picaresquement
vôtre.
Je souhaite un prompt rétablissement à mon ami Georges ...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire