Histoire
d’un nom de rue …
Le
conteur se charge parfois de résoudre les énigmes qui se présentent
à sa sagacité faute de quoi, il restera perplexe et sans réponse à
ses éternelles questions. Puisque l’histoire laisse souvent dans
l’ombre les petites anecdotes, surtout quand celles-ci ne touchent
que le commun des gueux, il appartient à l’imaginaire de prendre
le relais. En voici la démonstration.
Il
est dans mon village d’en-France une petite rue oubliée, pourtant
située au cœur de la ville. Son histoire lointaine mérite qu’on
s’y attarde et qui sait, qu’on redonne vie aux personnages qui
furent les protagonistes d’une belle aventure, aujourd’hui
oubliée. Attachons nos pas derrière ce cheval qui nous conduit vers
la lumière.
Il
était une fois un puits somme toute assez banal mais précieux aux
yeux de tous, comme pouvait l’être en cette époque l’eau. Une
margelle, une chaîne, un seau, une belle et ample manivelle ne lui
conféraient aucun caractère exceptionnel si ce n’est que pour
Achille, la plus belle des demoiselles était à proximité de là.
Achille
avait grand soif d’eau fraîche pour calmer l’amour fou qui
étreignait son cœur. Tous les prétextes étaient bons pour puiser
de l’eau en passant devant la belle. Avait-elle des égards pour
lui ? Lui accordait-elle le moindre regard ? C’était naturellement
les questions que se posait ce grand nigaud, la passion n’est
jamais de nature à « débeurdir » les garçons.
La
Belle riait sous cape de son manège. Elle avait remarqué ce que
d’autres auraient pris pour de la potomanie. Elle s’en amusait en
était même très flattée sans pour autant donner le moindre signe
d’encouragement au jeune homme. C’est ainsi que les charlusettes
aiment à faire tourner en bourrique leurs soupirants. Elle était
dans ce registre véritablement experte, la diablesse.
Le
temps passa, Achille allait et venait puiser de l’eau sans se
trouver récompensé d’un sourire ou même de la vue de sa belle
qui, sans doute pour ne pas que la rumeur se propage, se cachait
derrière l'encoignure d’une porte quand elle devinait son
approche. Il est vrai que pour jouer les bellâtres ou impressionner
la donzelle, le galant éconduit venait à cheval chercher de l’eau.
Un
jour, il se trouva pris au dépourvu. Une main sournoise avait retiré
le seau de la chaîne. Il en fut quitte pour s’en retourner sans un
arrêt prolongé en la place. Il se dit alors que ce n’était
qu’une facétie d’un plaisantin. Il alla à la grange aux grains,
s’emparer d’un boisseau qui mesurait l’avoine.
Ce
seau en bois avait selon la mesure de Paris, une contenance de 13
litres. Il ferait parfaitement l’usage. Achille s’en retourna
vers son puits et sa belle. Il accrocha le boisseau à la chaîne
pour quérir de l’eau. La remontée s’accompagna d’un bruit
inhabituel. Quand il décrocha le seau, l’eau lui coulait sur les
pieds. Le bois était disjoint et sec, depuis le temps qu’il
n’avait pas été humidifié.
Jacquenote
fut prise à son propre piège. Elle éclata d’un rire joyeux et
sortit de sa cachette pour mieux profiter du spectacle d’un garçon
penaud et mouillé. Achille ne perçut nulle moquerie dans son
comportement, bien au contraire, il avait là, la preuve qu’il ne
lui était pas indifférent. Il décida de pousser son avantage en
revenant désormais chaque jour avec le boisseau qu’il substituait
à chaque fois au seau miraculeusement revenu.
La
jeune femme ne se privait plus de sortir pour rire de bon cœur de la
farce. Achille, les pieds trempés, était le plus heureux des
hommes. Le Puits fut baptisé comme vous le savez et une expression
fleurit dans le pays : « On n’est pas là pour peser de
l’avoine ! » Même si elle est demeurée assez
confidentielle, ceux qui l’emploient savent alors qu’ils se
berdillent de manière à faire croire à une occupation fictive,
histoire sans doute de faire diversion.
Jacquenote
et Achille finirent par se déclarer l’un à l’autre sans que
personne n’en fut surpris dans le pays. Le jour de leurs
épousailles, il se trouva même un pâtissier de renom qui souhaita
immortaliser l’anecdote. Il confectionna un gâteau merveilleux de
forme ronde en pâte à choux, décorée de sucre glace, son centre
était évidé à la manière d’un conduit et fourré d’une
formidable crème pâtissière caramélisée d’une légèreté
exquise. Quand on lui demanda le nom de cette merveille, il la
baptisa sans l’ombre d’une hésitation « Le Puits d’Amour
! ». Achille et Jacquenote vécurent heureux à deux pas du
Puits à l’avoine.
Patronymiquement
leur.
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