Rien
ne va plus.
Il
était une fois le plus heureux des mendiants, non pas qu’il fut
satisfait de son sort mais parce qu’il émanait de lui tant de
bonté, de sagesse et de bienveillance, qu’un simple regard
suffisait pour que n’importe quel passant lui accorde une obole.
Ainsi notre Archimède n’avait à redouter ni la faim, ni le froid
; sa bonne mine le mettait à l’abri du besoin.
Le
brave homme cependant ne goûtait guère de devoir tendre la main
pour gagner sa croûte et sa nuitée. Il aurait préféré, on ne
peut le lui reprocher, gagner à la sueur de son front, son
nécessaire tout comme un peu de superflu. Mais le diable en personne
lui avait fait don d’une maladresse insigne qui provoquait tant de
désastres dès qu’il voulait travailler, que le plus sage était
pour lui de ne rien faire et de vivre de l’air du temps et de la
charité des autres.
Archimède
était comme à son habitude, assis sur le parvis d’une église ou
bien sur le perron d’un lieu public, offrant un sourire contre
quelques pièces qui tombaient dans son escarcelle quand il aperçut
non loin de là, une vieille lampe à huile, un falot de marine, qui
avait été abandonnée là. Se souvenant de la fable d’Aladin, il
s’empressa de récupérer l’objet.
Il
attendit d’être seul pour l’examiner de plus près, ne voulant
pas ébruiter sa trouvaille pour peu qu’il soit capable de prodige.
Les gens sont capables de jalousie, il en savait quelque chose, lui
qui enviait ceux qui généreusement lui donnait ce qu’il ne
parvenait pas à acquérir par ses seuls mérites. C’est ainsi, que
la nuit venue, seul dans un bosquet, Archimède voulut allumer le
falot.
Il
venait juste de soulever le verre afin d’allumer la mèche qu’un
génie sortit à l’instant de sa prison. Il expliqua qu’il avait
été emprisonné dans cette lampe depuis des lustres. Le génie
pouvait assurer à celui qui le délivrerait la satisfaction de trois
vœux, pas un de plus, à son sauveur de bien réfléchir avant que
de lui demander quoi que ce soit. Quand Archimède aurait
satisfaction par trois fois, le génie disparaîtrait à jamais.
Notre
clochard céleste trouva la proposition des plus honnêtes. Lui qui
avait l’habitude de faire l’aumône, il se dit que l’occasion
était trop belle et qu’il fallait profiter de l’aubaine pour
changer radicalement le cours de son existence. Mais par quoi
commencer ? Que demander pour infléchir un destin qui pour peu
glorieux qu’il était, lui épargnait de travailler et de subir les
inévitables contraintes de la vie sociale. La chose demandait
réflexion, Archimède s’accorda une nuit de réflexion. Le bon
génie n’était plus à quelques heures près lui qui avait passé
des siècles dans sa lanterne.
C’est au lendemain,
fort de ses songes, qu’il émit son premier vœu. L’homme voulait
enfin disposer de la dextérité qui jusqu’alors lui avait toujours
fait défaut. Un tel changement modifierait, il en était certain, le
cours de son existence. À lui cependant d’accompagner ce
bouleversement de demandes qui lui donneraient corps. Il demanda au
génie de disposer dans l’instant de tout le savoir faire d’un
artisan.
Il
s’en suivit une conversation avec l’ancien locataire de la lampe
pour savoir quel serait ce métier. Le génie, fort peu au fait des
tendances contemporaines, avait évoqué le métier de maçon.
Archimède de s’indigner, la noblesse que l’on attribuait jadis à
ce beau métier s’était perdu dans l’appétit des bâtisseurs
qui avait transformé les compagnons en bêtes de somme fort mal
payées en dépit de la rudesse de l’activité.
Il
en alla ainsi de toutes les propositions du génie. Pour tous ces
beaux métiers d’antan, Archimède répondait désespérément que
celui-ci avait disparu, que celui-là était déconsidéré, que cet
autre désormais sans avenir et qu’enfin cestuy-là était
désormais interdit. Le génie n’en revenait pas, le monde avait
vraiment changé et le labeur n’avait plus rien à voir avec la
main qui était passée de mode.
Archimède
lui répondit qu’il ne fallait pas exagérer. Si les robots et les
machines avaient considérablement atténué son rôle, la main
brillait de mille feux dès qu’il s’agissait d’art, pour peu
que l’artiste soit aussi doué de ses mains que capable de le faire
savoir. Le bon génie ignorait tout des codes de la communication et
renonça à en savoir plus. Impatient, il demanda à Archimède l’art
qu’il voulait exercer et notre quémandeur, se berçant d’illusions
demanda à devenir artiste peintre.
Il
lui restait un vœu à formuler, il se dit en toute logique qu’il
lui faudrait une galerie pour exposer ses œuvres, flanquée ça va
de soi d’un atelier à l’arrière pour y peindre tout son saoul
et s’il n’exagérait pas trop, d’un petit recoin pour y vivre
convenablement. Le génie lui accorda sa dernière demande et
s’envola en fumée.
Archimède
se trouva d’un seul coup propulsé sur le devant de la scène
médiatique. Il avait surgit de nulle part, sa notoriété soudaine
attira bien des convoitises, il était célébré comme un nouveau
génie de la peinture, son œuvre était qualifiée de fulgurante
tout autant que profondément ancrée dans la grande tradition. Ses
tableaux se vendaient une fortune.
Archimède
était aux anges, du moins le croyait-il. Rapidement, il reçut la
visite de contrôleurs fiscaux, d’experts, de banquiers et de
toutes sortes de charognards du même acabit qui se jetèrent sur lui
comme la vérole sur le bas clergé. On lui reprochait sa fortune
venue de nulle part, son passé mystérieux, son manque de référence,
son absence de relation. Tout était prétexte à l’accabler de
tous les maux. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire,
ses biens furent saisis, il se retrouva à la rue, il avait tout
perdu.
Archimède
accepta ce revers de fortune sans trop s’en faire. Il avait vécu
heureux auparavant en faisant la manche, il ne doutait pas qu’il
saurait revenir à son ancienne manière de survivre. Hélas pour
lui, sa photographie avait fait le tour de tous les journaux, il
avait été filmé par toutes les télévisions, l’espace d’un
bref moment, il avait été une vedette incontournable.
Désormais
quand il tendait la main, les têtes se détournaient, les bourses ne
s’ouvraient plus et les cœurs restaient définitivement clos. On
pardonne encore moins la chute que l’ascension, Archimède avait
trop demandé à son bon génie, le retour de bâton avait été
terrible. C’est dans la misère la plus totale qu’il finit,
s’étant brûlé les ailes à vouloir côtoyer les sommets.
Quand
les vœux sont faits, bien souvent rien ne va plus pour ceux qui ne
sont pas nés une cuillère en or dans la bouche. À la grande
roulette de la fortune, il faut être du monde des canailles pour s’y
trouver comme un poisson dans l’eau. Archimède n’avait pas eu
cette chance, il avait laissé passer la sienne à demander
l’impossible. Dans cette société, on ne change pas de classe
sociale, c’est la seule morale de cette histoire, tout juste bonne
à éclairer votre lanterne. Nul génie ne viendra jamais changer le
cours des choses !
Ascenseursocialement
vôtre
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire