mardi 1 janvier 2019

Faites vos vœux


Rien ne va plus.



Il était une fois le plus heureux des mendiants, non pas qu’il fut satisfait de son sort mais parce qu’il émanait de lui tant de bonté, de sagesse et de bienveillance, qu’un simple regard suffisait pour que n’importe quel passant lui accorde une obole. Ainsi notre Archimède n’avait à redouter ni la faim, ni le froid ; sa bonne mine le mettait à l’abri du besoin.

Le brave homme cependant ne goûtait guère de devoir tendre la main pour gagner sa croûte et sa nuitée. Il aurait préféré, on ne peut le lui reprocher, gagner à la sueur de son front, son nécessaire tout comme un peu de superflu. Mais le diable en personne lui avait fait don d’une maladresse insigne qui provoquait tant de désastres dès qu’il voulait travailler, que le plus sage était pour lui de ne rien faire et de vivre de l’air du temps et de la charité des autres.

Archimède était comme à son habitude, assis sur le parvis d’une église ou bien sur le perron d’un lieu public, offrant un sourire contre quelques pièces qui tombaient dans son escarcelle quand il aperçut non loin de là, une vieille lampe à huile, un falot de marine, qui avait été abandonnée là. Se souvenant de la fable d’Aladin, il s’empressa de récupérer l’objet.

Il attendit d’être seul pour l’examiner de plus près, ne voulant pas ébruiter sa trouvaille pour peu qu’il soit capable de prodige. Les gens sont capables de jalousie, il en savait quelque chose, lui qui enviait ceux qui généreusement lui donnait ce qu’il ne parvenait pas à acquérir par ses seuls mérites. C’est ainsi, que la nuit venue, seul dans un bosquet, Archimède voulut allumer le falot.

Il venait juste de soulever le verre afin d’allumer la mèche qu’un génie sortit à l’instant de sa prison. Il expliqua qu’il avait été emprisonné dans cette lampe depuis des lustres. Le génie pouvait assurer à celui qui le délivrerait la satisfaction de trois vœux, pas un de plus, à son sauveur de bien réfléchir avant que de lui demander quoi que ce soit. Quand Archimède aurait satisfaction par trois fois, le génie disparaîtrait à jamais.

Notre clochard céleste trouva la proposition des plus honnêtes. Lui qui avait l’habitude de faire l’aumône, il se dit que l’occasion était trop belle et qu’il fallait profiter de l’aubaine pour changer radicalement le cours de son existence. Mais par quoi commencer ? Que demander pour infléchir un destin qui pour peu glorieux qu’il était, lui épargnait de travailler et de subir les inévitables contraintes de la vie sociale. La chose demandait réflexion, Archimède s’accorda une nuit de réflexion. Le bon génie n’était plus à quelques heures près lui qui avait passé des siècles dans sa lanterne.

C’est au lendemain, fort de ses songes, qu’il émit son premier vœu. L’homme voulait enfin disposer de la dextérité qui jusqu’alors lui avait toujours fait défaut. Un tel changement modifierait, il en était certain, le cours de son existence. À lui cependant d’accompagner ce bouleversement de demandes qui lui donneraient corps. Il demanda au génie de disposer dans l’instant de tout le savoir faire d’un artisan.

Il s’en suivit une conversation avec l’ancien locataire de la lampe pour savoir quel serait ce métier. Le génie, fort peu au fait des tendances contemporaines, avait évoqué le métier de maçon. Archimède de s’indigner, la noblesse que l’on attribuait jadis à ce beau métier s’était perdu dans l’appétit des bâtisseurs qui avait transformé les compagnons en bêtes de somme fort mal payées en dépit de la rudesse de l’activité.

Il en alla ainsi de toutes les propositions du génie. Pour tous ces beaux métiers d’antan, Archimède répondait désespérément que celui-ci avait disparu, que celui-là était déconsidéré, que cet autre désormais sans avenir et qu’enfin cestuy-là était désormais interdit. Le génie n’en revenait pas, le monde avait vraiment changé et le labeur n’avait plus rien à voir avec la main qui était passée de mode.

Archimède lui répondit qu’il ne fallait pas exagérer. Si les robots et les machines avaient considérablement atténué son rôle, la main brillait de mille feux dès qu’il s’agissait d’art, pour peu que l’artiste soit aussi doué de ses mains que capable de le faire savoir. Le bon génie ignorait tout des codes de la communication et renonça à en savoir plus. Impatient, il demanda à Archimède l’art qu’il voulait exercer et notre quémandeur, se berçant d’illusions demanda à devenir artiste peintre.

Il lui restait un vœu à formuler, il se dit en toute logique qu’il lui faudrait une galerie pour exposer ses œuvres, flanquée ça va de soi d’un atelier à l’arrière pour y peindre tout son saoul et s’il n’exagérait pas trop, d’un petit recoin pour y vivre convenablement. Le génie lui accorda sa dernière demande et s’envola en fumée.

Archimède se trouva d’un seul coup propulsé sur le devant de la scène médiatique. Il avait surgit de nulle part, sa notoriété soudaine attira bien des convoitises, il était célébré comme un nouveau génie de la peinture, son œuvre était qualifiée de fulgurante tout autant que profondément ancrée dans la grande tradition. Ses tableaux se vendaient une fortune.

Archimède était aux anges, du moins le croyait-il. Rapidement, il reçut la visite de contrôleurs fiscaux, d’experts, de banquiers et de toutes sortes de charognards du même acabit qui se jetèrent sur lui comme la vérole sur le bas clergé. On lui reprochait sa fortune venue de nulle part, son passé mystérieux, son manque de référence, son absence de relation. Tout était prétexte à l’accabler de tous les maux. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, ses biens furent saisis, il se retrouva à la rue, il avait tout perdu.

Archimède accepta ce revers de fortune sans trop s’en faire. Il avait vécu heureux auparavant en faisant la manche, il ne doutait pas qu’il saurait revenir à son ancienne manière de survivre. Hélas pour lui, sa photographie avait fait le tour de tous les journaux, il avait été filmé par toutes les télévisions, l’espace d’un bref moment, il avait été une vedette incontournable.

Désormais quand il tendait la main, les têtes se détournaient, les bourses ne s’ouvraient plus et les cœurs restaient définitivement clos. On pardonne encore moins la chute que l’ascension, Archimède avait trop demandé à son bon génie, le retour de bâton avait été terrible. C’est dans la misère la plus totale qu’il finit, s’étant brûlé les ailes à vouloir côtoyer les sommets.

Quand les vœux sont faits, bien souvent rien ne va plus pour ceux qui ne sont pas nés une cuillère en or dans la bouche. À la grande roulette de la fortune, il faut être du monde des canailles pour s’y trouver comme un poisson dans l’eau. Archimède n’avait pas eu cette chance, il avait laissé passer la sienne à demander l’impossible. Dans cette société, on ne change pas de classe sociale, c’est la seule morale de cette histoire, tout juste bonne à éclairer votre lanterne. Nul génie ne viendra jamais changer le cours des choses !

Ascenseursocialement vôtre



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