Les
trois lascars et le pinard
Hornicar
était un garçon très étourdi. Un jour qu’il désirait partir en
vacances pour Carthage en empruntant une de ces lignes de car qui
quadrillent l’Europe à l'initiative de notre bon président, le
brave garçon, fidèle à son habitude arriva sur le quai avec un
quart d’heure de retard. Il se cassa donc le nez et dû se rabattre
sur une destination beaucoup moins lointaine. C’est sur Thiers
qu’il jeta son dévolu.
Hélas,
aussitôt monté dans le véhicule il se retrouva à couteaux tirés
avec son voisin pour une sombre histoire de cartouche d’encre qui
fuyait de son sac à bagages. Ils en vinrent rapidement aux mains
provoquant tant d’émoi parmi les autres usagers bon marché qu’ils
furent tous deux débarqués sans ménagement. Revenus sur le bitume
les deux querelleurs se lièrent d’amitié tout en se retrouvant le
bec dans l’eau.
À
la demie, un autre car partirait pour Sète. Ils se décidèrent pour
cette destination ensoleillée mais ils remarquèrent qu'il était
l’heure de manger. Le nouvel ami d’Hornicar, un certain Oscar,
sortit de son cartable de quoi se restaurer. Le partage est chose
aisée quand les différents sont aplanis et nos deux lascars de se
mettre en demeure d’un banc pour ce qui allait être un festin sur
le pouce.
Oscar
avait un quart de vin pour accompagner charcuterie et gourmandises
diverses. Hornicar, épicurien notoire se mit en demeure de quérir
une bonne bouteille de Cadillac. Il y avait non loin de la gare
routière un caviste qui avait justement cette appellation en cave à
moins que ce ne fut en réserve . Les deux compagnons se régalèrent
mais ce vin leur tourna la tête et un peu plus encore l’esprit. La
folie des grandeurs sans doute, ils décidèrent de changer tout de
go de moyen de locomotion.
Le
transport collectif leur semblait trop commun pour leur nouvelle et
belle amitié. C’est désormais en voiture de collection qu’ils
souhaitaient se rendre vers une destination plus œnologique. Faire
le tour des crus de notre beau pays leur sembla une belle idée, la
France ne manquait pas de points
de chute à ce propos. Hélas, le risque était grand de choir
dans un chai et de n’en point ressortir fringant. Conduire dans ce
cas n’était pas raisonnable.
Oscar
confia à Hornicar qu’il avait un cousin flanqué d’un drôle de
prénom sous prétexte qu’il était né en 1974. Giscard en dépit
de ce patronyme détestable était pilote d’avion de tourisme et
disposait d’une carlingue susceptible de les conduire tous trois au
pays des vignobles. Voilà donc que la troupe se forma et se
disposait à établir un plan de vol pour une épopée vineuse.
Rapidement cependant, le projet battit de l’aile, les pistes
d'atterrissage se trouvant le plus souvent à grande distance des
caves et des châteaux.
Ils
étaient une fois encore en carafe, ce qui, il faut le reconnaître
ne manquait pas de sel. C’est alors que devant eux passa une jeune
cycliste qui n’était pas gourde et notre cher Hornicar ne put
s’empêcher de siffler la demoiselle. L’homme non seulement était
un fieffé querelleur mais de plus un affreux malotru. Ce n’est pas
chose à faire quand on a un peu d’éducation.
La
jeune fille ne se retourna même pas sur ce triste trio et passa son
chemin avec un air de dédain qui sied dans pareille circonstance.
Cependant Giscard eut alors une de ces associations d’idées qui
font les grands destins. Ce voyage, ils le feraient en vélo pour
échapper aux gendarmes et à leurs affreux et impitoyables ballons.
Il reçut immédiatement l’adhésion de ses deux compères qui
sortaient conjointement d’un régime sans sel.
Voilà
donc Hornicar, Oscar et Giscard juchés sur des vieux routiers
branlants, le guidon recourbé et la selle inconfortable. Ils se
dirent que suivre le trajet de la Loire à vélo leur assurerait un
terrain plat et une belle ribambelle d'appellations incontrôlées.
Pour se jeter à l’eau, il n’y avait pas meilleure manière que
d’associer culture et viticulture. Ils ne rouleraient pas en
peloton mais en grappe, chacun s’arrange comme il peut avec les
métaphores ou les amphores
Ils
prirent donc un train pour se rendre à Nantes et de là se lancèrent
dans ce grand périple ligérien. Les vignobles étaient foison sur
ce parcours merveilleux. Ils n’avaient qu’à se poser dans un
endroit et boire tout leur saoul. Le périple allait bien leur
prendre toute une année tant ils avaient à découvrir de vins
succulents tout en se régalant de spécialités régionales. Ils
dormaient à la belle étoile mais prenaient garde de ne jamais boire
de vin étoilé. S’ils étaient esthètes, ils n’en demeuraient
pas moins fines gueules !
Quand
ils arrivèrent à Roanne, leur santé était plus que vacillante,
leurs trognes rubicondes mais leur savoir sur le vin sans pareil. Ils
avaient acquis par l’expérience une culture incomparable sur les
vins ou bien les crus et parfois les cuites de Loire et se dirent
qu’il convenait d’en tirer profit. C’est ainsi qu’ils
créèrent un circuit touristique : « Les vins de Loire en car
couchette » qui eut immédiatement un succès tonitruant. Quand
le vin est tiré, il faut le boire !
Ils
firent fortune dans cette activité commerciale et diversifièrent
même leur cœur de cible. Oscar se chargea de gérer la filiale
« Vallée du Rhône » tandis que Giscard prit en mains
les destinées de la « Garonne ». Hornicar resta en bord
de Loire, c’était son fief tout autant que sa passion. On peut
pousser le bouchon trop loin et finir par retomber sur ses pieds,
c’est la seule morale de cette histoire à ne répéter que de
bouche à gosier. Fort heureusement personne n’eut jamais à
trinquer car nos compagnons surent associer la modération à la
déraison de leurs prestations.
Œnologiquement
leur.
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