mardi 8 janvier 2019

La fabuleuse histoire du livre.



Il était une fois …



Vous qui passez sur la pointe des pieds devant des livres, approchez-donc un peu ! N'ayez ni crainte ni frayeur, ni angoisse. La chose ne mord pas même si certains, autrefois, s'en servaient occasionnellement pour régler leurs comptes et déballer le linge sale bien loin de la famille. Manifestement, vous ignorez tout désormais de ce curieux objet, plat comme un écran mais qui s'ouvre et se feuillette. Vous semblez ne plus savoir que ce fut, jadis, la plus belle réalisation de l'homme : fruit d'une formidable conquête sur l'ignorance.

Des humains ont, il y a environ six mille ans, cherché à traduire en signes sur des tablettes d'argile, des objets et des idées, des concepts et des actions. Ils ont créé des dessins, puis des signes, ont cherché à traduire en images des idées qu’ils avaient dans la tête. Puis, pour simplifier la compréhension, ils ont donné une représentation graphique à des sons, ont traduit par quelques modestes signes des discours tout entiers.

Tout le savoir et tous les rêves, tous les désirs et tous les espoirs trouvèrent place sur des tablettes d’argile, des papyrus et des rouleaux. L'écriture allait porter le savoir loin de son lieu de création. Le partage était la règle et les poètes se sont emparés de cette merveille pour créer des épopées, engendrer des monstres, dépasser nos pauvres limites de mortels. Le monde était alors à portée de calame puis de plume.

Le livre était né. Il fut longtemps un privilège, un mystère pour le plus grand nombre. Il fallait, en effet, une longue initiation pour décrypter signes et sens, pour apprivoiser plus encore l’art complexe de l’écriture. Les humains, pourtant, ne renoncèrent jamais à étendre cette connaissance. De génération en génération, ils étaient toujours plus nombreux à désirer ce pouvoir miraculeux : lire.

Le livre fut longtemps un objet rare et précieux. Des copistes, moines le plus souvent, reproduisaient interminablement les grands textes. Il fallait de la sueur et du temps, de l'application et de l'amour pour assembler toutes ces feuilles qui devenaient un nouvel exemplaire. Un texte de plus : un pas de plus vers la connaissance. Puis, c'était avant -hier, de petites lettres mobiles vinrent donner un nouvel essor à ce miracle. L'imprimerie allait multiplier ce qui n'était encore qu'exception. Le livre pouvait s'inviter partout, s'offrir à la curiosité du plus grand nombre. Plus le temps passait, plus il prenait place dans chaque maison, offrant des trésors d'invention et de plaisir à ceux qui lui accordaient un peu d'attention.

Vous ne pouvez vous souvenir de ce temps doré, de cette période qu'on désigna alors sous le curieux vocable de Lumières. Car les ténèbres allaient progressivement s'abattre sur notre Monde. L'écran bouta le livre de son piédestal. Il avait la prétention de le remplacer, de l'anéantir, de l'abolir. Il était si gourmand qu'il se prit d'idée d'avaler tous les ouvrages possibles, de les numériser tous, pour leur ôter à jamais leur redoutable pouvoir de nuisance.

Les écrans envahirent tout. Le livre perdit pied. Il fut sacrifié sur l'autel de la vitesse, de l'instantanéité, de l'universalité. Pour faire bonne mesure, une seule langue s'imposa à toutes les autres. Il ne fallait qu'une seule pensée, qu'une vision unique tout autant qu’inique du Monde dans un ersatz de verbiage universel, créole d’une pourtant belle langue jadis européenne. C’est le langage des hérauts d'un système fondé sur l'avoir et la négation de l'être qui domina le monde.

Le mouvement fut si rapide que nul ne comprit vraiment ce qui se passait dans ces années ultimes où livre et écran cohabitaient en bonne intelligence, pensait-on. Mais l'ogre était insatiable et bientôt, la nécessité de tout contrôler, de tout passer au tamis de la censure et de la pensée conforme fut fatale à ce pauvre livre, vieil objet obsolète qui était condamné à l'oubli.

Voilà, je suis allé bien vite pour tenter de vous expliquer cette curiosité que nous avons découverte par hasard dans ce qu'ils appelaient autrefois une bibliothèque à moins que ce ne fût une librairie. Vous pouvez tourner les pages de ces trésors : c'est à vous de faire un étrange effort afin de décrypter ces signes, un à un, pour leur attribuer un sens. Ce qui vous demandera beaucoup d'effort et de temps, était autrefois parfaitement naturel à vos ancêtres.

Je vous en prie, faites cette démarche ! Dans des temps reculés, elle était porteuse de liberté et d'émancipation, de révolte et fascination. Jetez vos écrans et vos tablettes, votre penseur acoustique, votre guide spirituel intégré, votre directeur électronique de conscience. Abandonnez cette maudite novlangue, si rudimentaire, qu'elle interdit toute réflexion et tout débat. Retrouvez la langue de vos ancêtres et offrez-vous à nouveau le bonheur ineffable de la lecture.

Livrement vôtre.


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