À
la Noël, ne travaille jamais !
Il
était une fois trois abominables lascars, aussi godelureaux que
larrons, mal embouchés aux manières détestables pourvu qu’il
passât un jupon à portée de propos grivois ou de gestes matois.
Ils étaient capables de tout, plus particulièrement du pire en
quelques circonstances que ce fut. Ils fréquentaient toutes les
tavernes de Loire de préférence aux églises tandis qu’ils
n’avaient pour les choses de la foi que moqueries et blasphèmes en
bouche.
Ce
soir-là, veillée de Noël, ils avaient amarré leur chaland sur les
quais d’un charmant petit village ligérien. Ils menaient un
chargement de tuiles de Trélazé vers la grande ville de Nevers.
L’affaire était mal engagée, les vents ne sont pas souvent
favorables à la remonte en cette partie de Loire. Ils avaient
grand-soif, un mal dont ils souffraient plus que de raison et auquel,
jamais ils ne parvenaient à apaiser les souffrances. Ils se
plaisaient d’ailleurs à dire : « La pépie vient en buvant
! » c’est vous dire ...
Ils
s’attablèrent dans une auberge dont le patron, homme fort
accueillant d’habitude, leur déclara sans ambages que ce soir
était messe de minuit et qu’il était hors de question pour eux de
s’attarder davantage. Il allait fermer son auberge pour célébrer
la naissance de l’enfant Jésus et demain, sa porte resterait close
afin de respecter la trêve de la nativité.
Les
trois soiffards de rire aux éclats : « Une journée entière
sans boire ni manger, comment diable serait-ce possible ? »
Invoquer le diable à quelques minutes de la grand- messe de la
nativité, voilà qui horrifia le brave tavernier. Il se signa et
demanda à cette maudite assemblée de quitter séance tenante son
estaminet. Les trois d’obtempérer non sans avoir acheté un
tonnelet de vin de Sancerre, un jambon et une grosse miche de pain.
Ils avaient l’intention de faire réveillon à leur façon et s’en
retournèrent à leur bateau.
Dans
le village les cloches sonnaient à la volée, réclamant la venue
des fidèles dont, naturellement, pas un ne manquait à l’appel en
cette nuit si particulière. Chacun, dévotement, allait célébrer
la naissance du petit ange tandis que les desserts de la Noël les
attendraient à leur retour auprès de la cheminée où brûlait la
grosse bûche récupérée dans les brandons de la Saint Jean. Ainsi
allait la vie des gens de ce temps-là, ponctuée de rituels et de
cérémonies auxquels il ne convenait de jamais déroger.
Le
curé monta en chaire, il s’indigna qu’il y eut dans sa paroisse
ce soir-là, trois gredins de la pire espèce qui avaient refusé de
se rendre au saint office ! Pire que tout, les malandrins, affirma
le recteur de la foi, faisaient si grand tapage que leurs chansons
obscènes et leurs jurons honteux venaient perturber les prières de
la noble assemblée. Du haut de la chaire, l’homme de Dieu leur
promit les flammes de l’enfer, se signa et appela ses ouailles à
faire de même pour sauver les âmes de ces suppôts de Satan.
La
messe dite, chacun s’en retourna dans sa demeure, se bouchant les
oreilles pour ne pas entendre le Sabbat que menaient ces diables de
mariniers sur leur maudit Chaland. C’est à l’appel des mâtines
que les paroissiens découvrirent la chose ; le bateau avait largué
ses amarres et l’équipage en dépit du jour sacré, avait repris
sa navigation, profitant en ce jour saint parmi tous les autres, d’un
vent porteur pour arriver à Nevers.
On
se signa, on s’indigna, on courut prévenir le bon prêtre que
l’interdit le plus sacré était transgressé. Les trois mariniers
mal-embouchés avaient décidé de travailler en ce jour où chacun
devait rester parmi les siens à ne rien faire pour honorer la venue
au monde du sauveur. Le curé calma les siens en haussant les épaules
et en déclarant : « Qu’ils aillent au diable ! »
On
oublia les trois gredins et après l’office du matin, chacun se mit
en cuisine pour griller la dinde ou bien le canard. Il n’était pas
si fréquent de manger une bonne volaille en ces temps de misère.
C’est vers la midi qu’une rumeur enfla dans le village. Une fumée
inquiétante montait dans le ciel gris et bas, chargé de nuages un
peu en amont du village.
Des plus jeunes se mirent en demeure de se rendre sur place pour comprendre ce qui pouvait bien se passer là. Un fils de bonne famille enfourcha son cheval, galopa au plus vite sur le chemin de halage. Quand il arriva à proximité d’un grand méandre de la rivière, il se doutait déjà du spectacle qu’il allait trouver.
La
fumée était noire et épaisse. Pas un bruit pourtant ne venait
troubler le décor, comme si les flammes ne léchaient pas un grand
bateau en bois, chargé de marchandises diverses. Le bateau sombrait
dans la rivière, coulait lentement dans un silence de mort. Le
cavalier était descendu de cheval, il regardait éberlué la fin
d’un grand chaland dont bientôt, il ne resta plus rien. Aucune
trace de l’équipage, il s’agenouilla pour se signer et dire une
prière en bon chrétien qu’il était.
C’est
ainsi que le trouvèrent tous ceux qui avaient accouru à sa suite à
pied. Ils firent comme le cavalier sans poser de question, respectant
tous cet étrange silence qui régnait là. Puis tous de se relever
et de chercher à comprendre tout en s’enquérant du sort de ceux
qui avaient fait scandale et grabuge lors de la messe de minuit. Les
gens d’ici fouillèrent les rives, cherchèrent le long des berges,
observèrent les flots à la recherche d’une trace de vie, d’une
présence ou bien d’un indice. Rien, non vraiment rien, il n’y
avait pas âme qui vive. Monsieur le curé arriva sur ces entre-faits
à califourchon sur une bourrique. Il dit quelques Pater et autant
d’Ave puis jeta des imprécations en destination de l’endroit où
avait disparu le chaland et son diabolique équipage.
La foule s’en revint au village, cherchant à oublier l’incident, se réconfortant en se disant que ceux qui enfreignent la trêve de Noël, méritaient bien le sort qui leur avait été promis. Le temps passa, l’épiphanie, douze jours plus tard, arriva sans qu’aucune trace des damnés ne fut retrouvée. On avait tenté d’oublier les trois mauvais diables qui avaient sombré dans les flammes de l’enfer quand un grand bateau arriva dans le petit port.
À
son bord, les trois lascars ou du moins des mariniers en tout point
semblables. Ils avaient pourtant plus belle figure, des manières
agréables et des vêtements chamarrés. Plus surprenant encore, sur
leur girouet était une étoile brillante et une oriflamme d’un
blanc étincelant. Ils avaient dans les mains des présents pour tous
les gens du village, du pain d’épices et des petites friandises.
Ils descendirent en silence du bateau, allèrent jusqu'au parvis de
l’église paroissiale, devant la lourde porte de chêne, les bras
ployant sur leurs lourds paniers.
Les
cloches sonnèrent à la volée sans que personne ne les eut
actionnées. Le prêtre avait revêtu ses habits sacerdotaux, portait
la grande croix des jours de procession et s’avançait tremblant
devant les trois inconnus qui ne disaient mots. À son approche, ils
mirent un genou à terre, déposèrent les paniers et se
prosternèrent devant la sainte croix.
Puis,
toujours sans un mot, ils regagnèrent leur bateau et partirent dans
un silence de mort. Ils remontaient eux aussi la Loire et quand
survint le maudit virage ou douze jours plus tôt, le chaland avait
sombré, le bateau fantôme se volatilisa comme s’il n’avait
jamais existé. Depuis ce jour, en ce petit village, le soir de la
Noël, on fait un grand feu de joie, histoire de conjurer le sort, de
se souvenir de ces étranges apparitions et surtout de ne jamais
oublier que la trêve, en ce jour unique, est sacrée.
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