dimanche 20 janvier 2019

Les jumelles et le peintre.



Le cadeau de Laure



Il était une fois deux sœurs jumelles, nées dans une famille plus que modeste. Leur apparence était aussi dissemblable que le fut leur destinée. Curieusement ce fut un même homme, un célèbre artiste-peintre, Tomaso Rienz, qui infléchit le cours de leur vie. Le Maître italien avait acquis grande renommée à la cour ducale et avait peine à satisfaire aux commandes. Aussi, comme beaucoup de peintres célèbres de l’époque, avait-il recours à des élèves-détail important pour la suite de l’histoire-qui, à la manière du grand maître, achevaient ou exécutaient entièrement la plupart des tableaux monumentaux.

Notre grand personnage, flânant dans les rues de la ville en quête de sujets d’inspiration, fut attiré par la sublime beauté de la première jumelle, Angélique, bien que la gamine n’eût pas grande allure dans sa pauvre robe de futaine, occupée qu’elle était à quérir de l’eau à la fontaine. Ce fut un coup de foudre ! Pas question que de mauvaises conditions de vie gâchent ce modèle qu’il imaginait posant pour ses putti, ses chérubins, ses jeunes filles en fleurs, ses pécheresses, ses madones ! L’idée lui en était tellement insupportable, qu’à peine eut-il lié connaissance avec les parents de la belle enfant, qu’il fit tout pour les sortir de leur condition misérable, indigne de son futur modèle dont il se voyait le protecteur. 



Grâce à son influence, le père reçut une charge honorifique dans le palais ducal et la famille connut une aisance bienvenue. Quant à celle qu’il appelait la Bellissima, il la couvrit de cadeaux somptueux, de parures magnifiques, veilla à lui donner l’éducation d’une demoiselle de haute condition en échange de séances de pose pour illustrer ses précieux tableaux.

Hélas, Angélique n’en retira pas tout le bien qu’elle aurait dû. Traitée comme une sorte de déesse, elle se crut telle et, imbue de sa personne, devint vaniteuse, impérieuse, narcissique, égoïste au plus haut point. Les soupirants affluaient cependant, éperdus d’amour et d’admiration mais Bellissima se jouait d’eux, les traitait cruellement et personne ne pouvait fléchir son cœur.  En possédait-elle un seulement ? on pouvait en douter.

A l’ombre de la toute belle, se dissimulait l’autre jumelle, Liseron, surnommée Laideron, honteuse de ses traits ingrats, de sa silhouette androgyne qui contrastait avec les formes épanouies de la Bellissima. Esclave de sa sœur qui exigeait sa présence-repoussoir, sans cesse houspillée, maltraitée, talochée, elle ne disait mot, les yeux constamment baissés pour ne pas laisser voir ses pensées.

Elle attira cependant la compassion et l’intérêt de l’un des nombreux élèves du grand Tomaso. Rémi que le maître, jaloux de son talent, humiliait et rabaissait sans cesse, remarqua cette pauvre créature qui s’ennuyait mortellement pendant que sa jumelle se faisait peindre et admirer. Voyant en elle une âme –sœur, il entreprit de l’initier à son art dans lequel elle fit, en peu de temps, de considérables progrès.

Le garçon, dont le projet secret était de quitter Rienzi et de s’établir à son propre compte, faisait du travail lucratif « au noir » pour un riche personnage de la ville, son propriétaire. Cela consistait à peindre, de nuit, des tableaux sulfureux, réprouvés par la morale et la religion mais peu importait ; le commanditaire le payait grassement, à la différence de Rienzi. Liseron, devenue bien vite confidente de cette activité clandestine, émoustillée et désireuse d’aider le jeune homme à gagner le plus de ducats possibles, s’échappait secrètement de la demeure familiale, vêtue d’un habit masculin, et peignait avec lui, des heures durant, dans la riche demeure du commanditaire secret. Ensuite les deux complices s’accordaient quelques moments de détente-sinon de repos- dans le galetas du garçon, et reprenaient le cours de leur existence, se réjouissant à l’avance de la surprise qu’ils concoctaient à l’intention de cet entourage si dédaigneux à leur égard.

Un beau jour Rémi disparut mystérieusement et dans le même temps, il n’y eut plus trace du Laideron. La surprise fut immense ! On rechercha en vain les deux fugitifs sans toutefois lier leur sort, tant ces deux êtres qui attiraient si peu l’attention, avaient dissimulé leur connivence.



Quelques années plus tard, le grand Rienzi, tombé en disgrâce, vivotait sur les restes de sa gloire défunte. La Bellissima, amputée de son double, ne s’en remit paradoxalement jamais et sombra dans une sorte de folie narcissique ; toujours seule, fuie de tous de ses anciens admirateurs.

Deux frères peintres, non loin de là cependant, étaient apparus comme des météores dans le monde de l’art et connaissaient une immense notoriété. Leurs élèves, ils les prenaient au berceau ; ils en eurent même une bonne dizaine ! Comprenne qui peut !

Picturalement leur ! 

En hommage indirect à Yves Dupont 

 Qui m'a fait le cadeau de me croquer 


 


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