Le
cadeau de Laure
Il
était une fois deux sœurs jumelles, nées dans une famille plus que
modeste. Leur apparence était aussi dissemblable que le fut leur
destinée. Curieusement ce fut un même homme, un célèbre
artiste-peintre, Tomaso Rienz, qui infléchit le cours de leur vie.
Le Maître italien avait acquis grande renommée à la cour ducale et
avait peine à satisfaire aux commandes. Aussi, comme beaucoup de
peintres célèbres de l’époque, avait-il recours à des
élèves-détail important pour la suite de l’histoire-qui, à la
manière du grand maître, achevaient ou exécutaient entièrement la
plupart des tableaux monumentaux.
Notre grand personnage, flânant dans les rues de la ville en quête
de sujets d’inspiration, fut attiré par la sublime beauté de la
première jumelle, Angélique, bien que la gamine n’eût pas
grande allure dans sa pauvre robe de futaine, occupée qu’elle
était à quérir de l’eau à la fontaine. Ce fut un coup de
foudre ! Pas question que de mauvaises conditions de vie
gâchent ce modèle qu’il imaginait posant pour ses putti, ses
chérubins, ses jeunes filles en fleurs, ses pécheresses, ses
madones ! L’idée lui en était tellement insupportable, qu’à
peine eut-il lié connaissance avec les parents de la belle enfant,
qu’il fit tout pour les sortir de leur condition misérable,
indigne de son futur modèle dont il se voyait le protecteur.
Grâce
à son influence, le père reçut une charge honorifique dans le
palais ducal et la famille connut une aisance bienvenue. Quant à
celle qu’il appelait la Bellissima, il la couvrit de cadeaux
somptueux, de parures magnifiques, veilla à lui donner l’éducation
d’une demoiselle de haute condition en échange de séances de pose
pour illustrer ses précieux tableaux.
Hélas, Angélique n’en retira pas tout le bien qu’elle aurait
dû. Traitée comme une sorte de déesse, elle se crut telle et,
imbue de sa personne, devint vaniteuse, impérieuse, narcissique,
égoïste au plus haut point. Les soupirants affluaient cependant,
éperdus d’amour et d’admiration mais Bellissima se jouait
d’eux, les traitait cruellement et personne ne pouvait fléchir son
cœur. En possédait-elle un seulement ? on pouvait en
douter.
A
l’ombre de la toute belle, se dissimulait l’autre jumelle,
Liseron, surnommée Laideron, honteuse de ses traits ingrats, de sa
silhouette androgyne qui contrastait avec les formes épanouies de la
Bellissima. Esclave de sa sœur qui exigeait sa présence-repoussoir,
sans cesse houspillée, maltraitée, talochée, elle ne disait mot,
les yeux constamment baissés pour ne pas laisser voir ses pensées.
Le
garçon, dont le projet secret était de quitter Rienzi et de
s’établir à son propre compte, faisait du travail lucratif « au
noir » pour un riche personnage de la ville, son propriétaire.
Cela consistait à peindre, de nuit, des tableaux sulfureux,
réprouvés par la morale et la religion mais peu importait ; le
commanditaire le payait grassement, à la différence de Rienzi.
Liseron, devenue bien vite confidente de cette activité clandestine,
émoustillée et désireuse d’aider le jeune homme à gagner le
plus de ducats possibles, s’échappait secrètement de la demeure
familiale, vêtue d’un habit masculin, et peignait avec lui, des
heures durant, dans la riche demeure du commanditaire secret. Ensuite
les deux complices s’accordaient quelques moments de
détente-sinon de repos- dans le galetas du garçon, et reprenaient
le cours de leur existence, se réjouissant à l’avance de la
surprise qu’ils concoctaient à l’intention de cet entourage si
dédaigneux à leur égard.
Un
beau jour Rémi disparut mystérieusement et dans le même temps, il
n’y eut plus trace du Laideron. La surprise fut immense ! On
rechercha en vain les deux fugitifs sans toutefois lier leur sort,
tant ces deux êtres qui attiraient si peu l’attention, avaient
dissimulé leur connivence.
Quelques
années plus tard, le grand Rienzi, tombé en disgrâce, vivotait
sur les restes de sa gloire défunte. La Bellissima, amputée de son
double, ne s’en remit paradoxalement jamais et sombra dans une
sorte de folie narcissique ; toujours seule, fuie de tous de ses
anciens admirateurs.
Deux
frères peintres, non loin de là cependant, étaient apparus comme
des météores dans le monde de l’art et connaissaient une immense
notoriété. Leurs élèves, ils les prenaient au berceau ; ils
en eurent même une bonne dizaine ! Comprenne qui peut !
Picturalement
leur !
En hommage indirect à Yves Dupont
Qui m'a fait le cadeau de me croquer
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