Société
de la communication !
Jamais
nous n'avons disposé d'autant de moyens de communication et
pourtant, bien des choses nous échappent, passent à côté de nous
sans arriver à nos tympans. L'abondance semble un excellent moyen de
noyer le poisson du libre arbitre. Seul le matraquage à des fins
mercantiles parvient à franchir le pavillon de nos oreilles et de
notre confort domestique.
Les
messages qui circulent en si grand nombre et qui vont si vite, sont
des ersatz de pensée. Moins ils ont d'importance, plus ils se
fraient aisément leur chemin , abandonnant nos doutes et nos
inquiétudes existentiels. La vacuité a investi le sans-fil, les
ondes transportent du vent, ce qui, avouons-le est assez normal.
Je
me souviens pourtant d'une époque où le bouche à oreille avait
encore son mot à dire pour faire savoir dans une petite communauté.
Le téléphone, qu'on disait alors arabe, sans craindre de vexer une
partie de la population, remplissait son rôle et bientôt, chacun
savait ce qu'il était bon qu'il sache dans son intérêt ou pour son
plaisir.
Mystère
des technologies qui sous prétexte de faciliter la tâche viennent
au contraire nous bâillonner et nous couper du savoir essentiel !
Le temps des magiciens est venu ; ils nous sortent de leur
chapeau de belles histoires sordides, des faits divers crapuleux ou
bien des livres nauséeux. Nous sommes devenus des enfants en
bas-âge, bercés par le doux ronron d'une information
d'anesthésistes.
En
ce temps-là, il y avait dans nos rues des gens qui s'égosillaient
pour nous faire savoir. Crieurs de rue sonnant le tambour et le
rappel, ils sillonnaient nos villes et nos villages pour porter à la
connaissance de tous, le spectacle du soir, l'arrêté municipal ou
bien l'avis important. Ils sonnaient le rappel en battant le tambour
afin que chacun tende l'oreille. Curieusement alors, rien ne tombait
jamais dans celle d'un sourd.
Dans
mon petit coin de Loire, le crieur se nommait Raymond. La première
guerre, la grande, la seule qui vaille qu'on lui prête un peu
d'égards, l'avait vilainement estropié. Le pauvre était revenu de
l'enfer incapable de tenir une paire de baguettes mais tout à fait
en mesure de vider le canon. Ce sont là, bien souvent les
contradictions guerrières … Raymond se tapait la cloche bien plus
souvent qu'à son tout et, quand il était encore en état, la
sonnait dans les rues pour annoncer les nouvelles.
Pour
nous autres, il était Raymond la Cloche. Personnage écouté quand
il agitait son tocsin portatif pour clamer son inénarrable « Avis
à la population ! », il était pareillement moqué quand il
finissait, chaloupant et tanguant, sa tournée des grands ducs
assoiffés. Mais les mystères de la communication fonctionnaient à
merveille avec ce personnage haut en couleur. Plus il bredouillait
son texte, plus il bafouillait et se perdait en erreurs de lecture,
mieux le message passait. Il faut admettre que Raymond n'avait pas à
sa disposition un conseiller en communication ; celui-ci se
serait arraché les cheveux.
Les
Raymond ont déserté nos rues. Il n'était plus besoin de trouver un
travail, pour modeste qu'il fût, aux gueules cassées de ce maudit
carnage. Le monde entrait dans la modernité, les journaux d'alors
étaient encore lus, on pouvait compter sur eux pour donner des
nouvelles. Puis, certains petits malins se dirent qu'il y avait
beaucoup à gagner en vendant des journaux électroniques pour porter
les nouvelles locales aux citoyens attentifs.
Lire
en levant la tête, tout en circulant dans la cité, devint une
pratique nécessaire pour savoir ce qui allait se passer. Bien vite,
les panneaux se diluèrent dans un environnement où la publicité et
les enseignes sont si nombreuses, que plus rien ne laisse trace dans
nos consciences. Quand Raymond avait le nez en l'air, ce n'était
certes pas pour bayer aux corneilles. Aujourd'hui, on nous saoule de
messages qui glissent sans nous toucher.
Je
voulais, depuis bien longtemps, faire hommage à ce brave Raymond la
Cloche. Il était mon voisin, dans sa mansarde de la rue du Grenier à
Sel. Sa vie n'en avait pas manqué et c'est sans doute ce qui lui
avait donné une si grande soif. Je le revois encore agiter sa cloche
en grands mouvements maladroits et se lancer dans sa lecture
incertaine. C'est à lui que j'aurais aimé confier l'annonce, en ma
petite ville, de la sortie de mes Bonimenteries au lieu de quoi, il
me fallut compter sur la bonne volonté d'un journal local, si prompt
à déformer les propos, à manquer à ses engagements ou à bouder
les humbles. Nous en reparlerons un jour prochain : « Avis à
la population ! »
Clochement
vôtre.
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