dimanche 18 novembre 2018

Ce sera mon dernier mot


Le commissaire aux contes.



Il est né à Argent, entre Sologne et Berry, tout près de la cité des Stuarts, nos chers amis écossais. Fidèle à ses origines, il voulait entrer dans la légende, naviguer dans ses rêves et pourfendre les faiseurs d’histoires. Il a été exaucé : il est le premier commissaire aux contes de la brigade des légendes. C’est ainsi que je le vis débarquer un beau matin pour éplucher mes livres de contes. J’avais, paraît-il une dette avec la société : celle des décideurs locaux, gens importants et trop sérieux pour se satisfaire de mes balivernes, plus soucieux de favoriser les desseins des commerçants que des prosateurs de l’imaginaire. Je devais payer pour tous mes crimes d’irrespect et de fiction.

Je crus, sur le coup, à une farce, une belle blague comme aiment à les concevoir les espiègles de tous poils, les jaloux et les médiocres. Pour ces derniers, la liste est si longue, que je ne cherchai même pas à savoir d’où venait le trait. Hélas, il ne s’agissait pas d’une blague, l’homme était muni d’une commission rogatoire, un mandat d’apnée textuelle ; il ne riait pas à moins que ce ne fût sous cape. Il lui fallait examiner mes sources, vérifier mes personnages, contrôler mes dires et les écrits. Il m’interrogea, cherchant à savoir si je ne dissimulais rien, si je ne cherchais pas à blanchir des faits-divers sous le couvert de l’invention.

Il examinait mes réponses qui, par la magie de sa fonction, devenaient des assertions. J’étais suspecté de mensonges, de falsifications, de travestissement de l’Histoire, celle qui se pare d’un H majuscule. J’avais été dénoncé : cela ne faisait aucun doute. Mais par qui ? Un grand historien local, un homme important, un quidam respecté de tous, une icône des médias ou encore un des ces pantins adulés des uns, encensés par les autres ? le doute était permis. Mon compte était bon, j’allais tomber sous les fourches caudines de la loi pour le plus grand bonheur de l'establishment, comme disent ceux qui parlent si bien notre langue .

Comment vous défendre quand, petit pot de terre, vous vous trouvez sous les coups croisés de la Justice, de la coterie et d’une opinion publique, toujours prompte à croire le matraquage médiatique et la bonne mine des aigrefins ? Pour le Bonimenteur, l' affaire était réglée sans autre forme de procès. Le commissaire aux contes pouvait me sanctionner sans retenue. Il avait tant de griefs à mettre à mon débit.

Plus je cherchais à me défendre, plus je m’enfonçais dans les sables mouvants de notre Loire. Il y avait derrière mes écrits un sillage douteux, une trace honteuse. Je fraudais le passé, j’altérais la vérité officielle, je salissais les héros estampillés de la saga locale. Il n’y avait pas de doute : il me fallait payer pour les affirmations gratuites que j’avais étalées sur la place publique.

Mon crime devait être châtié de manière exemplaire. La place de grève m’était promise, à moins que ce ne fût le bûcher, à moi qui avais mis le feu aux poudres avec mon histoire de dragon. Le commissaire aux contes se frottait les mains : l’affaire était entendue ; je ne bénéficierais d’aucune circonstance atténuante, n’étant pas même natif de cette ville, si bienveillante avec les siens et impitoyable envers les autres.

Comment sortir de ce guêpier ? Comment faire valoir votre droit quand, justement, vous n’avez rien à vous reprocher ? Comment obtenir la possibilité de plaider ma propre défense quand, trop de fois, je m'étais fait avocat du diable ? J’étais au bord du précipice. Un mot de plus et j’étais perdu. Ne l’étais-je pas de toute manière, n’appartenant pas à la secte qui tient en coupe réglée notre cité ?

C’est alors que j’eus une intuition, une pensée soufflée par la Divine Providence. L’homme avait commis grave confusion, erreur impardonnable. Il avait dû se fourvoyer sur l’orthographe de sa lettre de mission. Les bons comptes font davantage les bons amis que les mauvais payeurs. Il avait perdu une lettre dans la bataille et confondu deux consonnes voisines. L’homme devait enquêter sur une affaire fiscale, un possible conflit d’intérêt, des avantages indus et des écritures suspectes. Il s’était trompé de Ligérien.

N’étant pas de nature, contrairement à ce que vous insinuez souvent, à faire des histoires, je me contentai de ses excuses et le laissai partir, penaud et confus, sans même lui souffler la cible qui devait être sienne. Je ne mange pas de ce pain -là. J’ai ma conscience pour moi et même si mon courroux est grand, je n’irai pas dénoncer ceux qui réinventent l’histoire, qui la plient à leurs désirs, qui se dressent des lauriers pour leur seul bénéfice.

Le commissaire aux comptes quitta la place. Il avait pris pour argent comptant les mirages qui l'avaient conduit jusqu’à moi. Il n’aurait eu qu’à ouvrir les yeux pour enfin découvrir le pot aux roses, la planche vermoulue au milieu des flots. Je ne doute pas une seule seconde qu’on eût su le détourner de la vérité, l’induire une nouvelle fois en erreur, favoriser une cécité fort commode . Il ne fait pas bon écouter le chant des sirènes quand elles se prennent pour des bourses trop gourmandes …

Comptablement leur.

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