Un
régime draconien !
Il
était un temps où le sel était denrée si précieuse que notre bon
roi, toujours attentif au bien-être de ses sujets, décida de le
taxer au prix fort d'un impôt aussi injuste que scélérat. Tous les
pouvoirs excellent dans l'art de ponctionner les pauvres gens là où
cela fait le plus mal, nous en avons encore des exemples aujourd'hui.
En ce temps-là, c'est la Gabelle qui épiçait les colères des
contribuables contraints…
En
cet époque, le sel était bien plus qu'une denrée nécessaire à la
santé des individus. C'était aussi l'un des moyens de conserver les
viandes et les poissons et certains légumes qui aimaient se baigner
en saumure. Il était indispensable pour passer la mauvaise saison,
faire des salaisons et démontrer que tout est bon dans le cochon !
Taxer
le sel, c'était s'attaquer à la subsistance même des pauvres gens,
c'était leur retirer le pain de la bouche quand déjà, la pitance
était bien maigre. La Gabelle n'était qu'un impôt inique et la
gloire de la marine de Loire fut de participer activement au trafic
du précieux condiment, pour le soustraire, autant que possible aux
appétits royaux et fiscaux !
Les
mariniers étaient naturellement aux premières loges pour se lancer
dans l'approvisionnement clandestin des régions ligériennes. Autour
de Saint Nazaire, de Guérande et d'ailleurs, les sauniers
fournissaient sous le manteau cet or blanc qu'il fallait dissimuler
aux méchants gabelous ! Car, le roi, dans sa folie fiscale avait eu
la délicatesse de créer une escouade redoutable, « pourchasseuse »
des fraudeurs et de toutes les contrebandes.
C'est
le combat impitoyable du marinier coquin et des vilains gabelous du
roi qui fit le sel des longues soirées à quai. Chacun dans la
marine avait histoire à conter pour narrer la déconfiture de ces
terribles douaniers redoutables. Il fallait bien vite oublier le
vilain sort réservé aux pauvres gars qui s'étaient fait prendre la
main dans le sac à sel …
On
préférait naturellement décrire les mille manières marinières
pour tromper les gabelous, passer sous leur nez ce sel si précieux.
Chacun avait en mémoire le regard déconfit des soldats qui après
avoir, sur le fleuve, arraisonné un bateau, avaient fouillé
vainement pont et proue, poupe et chargement. Ce plaisir rare de la
rouerie s'ajoutait aux bénéfices de la fraude et donnait à ce
trafic des allures d'épopée.
Chacun
avait trouvé moyen de passer en douce cette fleur si fragile qui
craignait tant l'eau. Il fallait user de bien des ingéniosités pour
trouver sur un bateau à fond plat des cachettes pour échapper à la
sagacité des chiens du roi. C'est qu'ils avaient du flair ces
maudits gabelous, mais nos mariniers avaient eux aussi plus d'un tour
à malice …
On
vit l'industrie de la charpente marine se lancer hardiment dans la
construction de pièces à double fond : des futs et des coffres ou
bien s'essayer à creuser le cœur d'un mât pour en faire cachette
introuvable. Chaque opération relevait de la prouesse technique et
n'était pas sans inconvénients.
Le
Gabelou, pour mauvais qu'il puisse être avait, tout comme le
marinier, une préférence affirmée pour les fûts de bon vin. Il ne
manquait jamais de vérifier le contenu et si par malheur, le
breuvage était un peu salé, la note le serait tout autant. Il avait
aussi l'art de prendre des mesures pour contrôler la profondeur de
chaque contenant. Cacher le sel mettait un peu de poivre dans la vie
…
C'est
les mâts creux qui connurent les plus grands succès et les plus
terribles naufrages. Fragiliser ainsi cette pièce essentielle dans
la manœuvre marinière n'était naturellement pas sans risque. Bien
souvent, quand le vent se faisait trop fort ou quand il fallait, au
passage du pont, baisser en toute hâte cet élan de bois vers le
ciel, il arrivait que la cachette cède et provoque pluie de cristaux
sur le chargement.
Chacun
avait dans sa besace à malices bien d'autres astuces pour tromper
son monde. Même quand il faisait abus de chopine, il gardait
précieusement ce secret. On murmure que bien des brêlages des
cordes de chambre constituaient des cachettes à petits sacs de sel,
que les chapeaux étaient bien grands pour garder petite cachette
aussi. Les Girouets étaient tout aussi creux que les caboches de nos
braillards. C'était du gagne petit, de la fraude à la petite
semaine, mais nos gars mariniers étaient eux-aussi des gagne-misère.
On triche à sa mesure, c'est ce qui fait le sel de la vie !
Salinement
leur.
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