lundi 26 novembre 2018

Marinier, la fine fleur du sel.



Un régime draconien !



Il était un temps où le sel était denrée si précieuse que notre bon roi, toujours attentif au bien-être de ses sujets, décida de le taxer au prix fort d'un impôt aussi injuste que scélérat. Tous les pouvoirs excellent dans l'art de ponctionner les pauvres gens là où cela fait le plus mal, nous en avons encore des exemples aujourd'hui. En ce temps-là, c'est la Gabelle qui épiçait les colères des contribuables contraints…

En cet époque, le sel était bien plus qu'une denrée nécessaire à la santé des individus. C'était aussi l'un des moyens de conserver les viandes et les poissons et certains légumes qui aimaient se baigner en saumure. Il était indispensable pour passer la mauvaise saison, faire des salaisons et démontrer que tout est bon dans le cochon !

Taxer le sel, c'était s'attaquer à la subsistance même des pauvres gens, c'était leur retirer le pain de la bouche quand déjà, la pitance était bien maigre. La Gabelle n'était qu'un impôt inique et la gloire de la marine de Loire fut de participer activement au trafic du précieux condiment, pour le soustraire, autant que possible aux appétits royaux et fiscaux !

Les mariniers étaient naturellement aux premières loges pour se lancer dans l'approvisionnement clandestin des régions ligériennes. Autour de Saint Nazaire, de Guérande et d'ailleurs, les sauniers fournissaient sous le manteau cet or blanc qu'il fallait dissimuler aux méchants gabelous ! Car, le roi, dans sa folie fiscale avait eu la délicatesse de créer une escouade redoutable, « pourchasseuse » des fraudeurs et de toutes les contrebandes.

C'est le combat impitoyable du marinier coquin et des vilains gabelous du roi qui fit le sel des longues soirées à quai. Chacun dans la marine avait histoire à conter pour narrer la déconfiture de ces terribles douaniers redoutables. Il fallait bien vite oublier le vilain sort réservé aux pauvres gars qui s'étaient fait prendre la main dans le sac à sel …

On préférait naturellement décrire les mille manières marinières pour tromper les gabelous, passer sous leur nez ce sel si précieux. Chacun avait en mémoire le regard déconfit des soldats qui après avoir, sur le fleuve, arraisonné un bateau, avaient fouillé vainement pont et proue, poupe et chargement. Ce plaisir rare de la rouerie s'ajoutait aux bénéfices de la fraude et donnait à ce trafic des allures d'épopée.

Chacun avait trouvé moyen de passer en douce cette fleur si fragile qui craignait tant l'eau. Il fallait user de bien des ingéniosités pour trouver sur un bateau à fond plat des cachettes pour échapper à la sagacité des chiens du roi. C'est qu'ils avaient du flair ces maudits gabelous, mais nos mariniers avaient eux aussi plus d'un tour à malice …

On vit l'industrie de la charpente marine se lancer hardiment dans la construction de pièces à double fond : des futs et des coffres ou bien s'essayer à creuser le cœur d'un mât pour en faire cachette introuvable. Chaque opération relevait de la prouesse technique et n'était pas sans inconvénients.

Le Gabelou, pour mauvais qu'il puisse être avait, tout comme le marinier, une préférence affirmée pour les fûts de bon vin. Il ne manquait jamais de vérifier le contenu et si par malheur, le breuvage était un peu salé, la note le serait tout autant. Il avait aussi l'art de prendre des mesures pour contrôler la profondeur de chaque contenant. Cacher le sel mettait un peu de poivre dans la vie …

C'est les mâts creux qui connurent les plus grands succès et les plus terribles naufrages. Fragiliser ainsi cette pièce essentielle dans la manœuvre marinière n'était naturellement pas sans risque. Bien souvent, quand le vent se faisait trop fort ou quand il fallait, au passage du pont, baisser en toute hâte cet élan de bois vers le ciel, il arrivait que la cachette cède et provoque pluie de cristaux sur le chargement.

Chacun avait dans sa besace à malices bien d'autres astuces pour tromper son monde. Même quand il faisait abus de chopine, il gardait précieusement ce secret. On murmure que bien des brêlages des cordes de chambre constituaient des cachettes à petits sacs de sel, que les chapeaux étaient bien grands pour garder petite cachette aussi. Les Girouets étaient tout aussi creux que les caboches de nos braillards. C'était du gagne petit, de la fraude à la petite semaine, mais nos gars mariniers étaient eux-aussi des gagne-misère. On triche à sa mesure, c'est ce qui fait le sel de la vie !

Salinement leur.


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