Le
pont du diable !
Il était une
fois au pays des menteries, une belle histoire à ne pas croire,
qu'on prenait pour vraie en aux moins deux villes de notre Loire.
Nous tairons donc les noms de ces localités pour ne pas provoquer
fâcherie ou récriminations, querelles de clocher ou bien de
pilastres. Car les gens d'ici, sont sourcilleux quand il s'agit du
fleuve. La suite vous prouvera que c'est à raison qu'ils doivent
s'en méfier !
Il était donc
village qu'on ne nommera pas, qui avait grand peine pour la simple et
malcommode raison de ne point avoir de pont pour enjamber le fleuve.
La chose est hélas bien fréquente dans notre Val. Le sous-sol est
ici, sillonné de lits souterrains, de sable qui s'effondre et de
bîmes qui vous entraînent dans les profondeurs de la terre.
Construire un pont est une aventure périlleuse tout autant que fort
couteuse. Rares étaient à l'époque les lieux où l'on pouvait
traverser à pied sec !
Ici donc, on
faisait comme presque partout ailleurs. Il fallait louer les services
d'un passeur, prendre une barque pour aller voir de l'autre côté de
la Loire. Il y avait parfois des jours où les eaux rendaient
périlleuse cette simple traversée, d'autres où l'argent venait à
vous manquer. Il fallait réfléchir à deux fois pour cette si
simple envie d'aller sur l'autre rive. Ceux du Berry restaient donc
entre eux, bien loin de ceux de Gaulle qu'ils ne voyaient pas
souvent.
Le maire du
village était un homme ambitieux pour sa communauté. Il rêvait
d'un pont pour relier les hommes et, l'histoire a oublié d'en garder
mémoire, rendre plus souvent visite à la belle Fanchon qui tenait
la buvette sur l'arrivel d'en face. Il se dit même qu'il y avait
entre eux, des accointances secrètes. C'est par pudeur que nous ne
nous étendrons pas sur ce sujet scabreux.
Cependant,
habitué qu'il était à tirer le diable par la queue, notre maire ne
fut pas plus surpris que ça, d'avoir un matin, la visite de Lucifer
en personne. De nos jours, ce genre de rencontre semble improbable.
Les gens ont perdu foi aux choses secrètes. Le matérialisme a
remporté la partie et c'est bien regrettable. Notre bonne ville de
Cenabum aurait déjà son Aréna si notre bourgmestre se fiait encore
aux diableries du malin. Mais ceci est une autre histoire …
Or donc, le
diable et le maire tenaient conciliabule en la maison commune du
bourg. Monsieur Le Notable, tout endimanché, avait l'intention de
faire, dans la journée, un petit brin de visite à la Fanchon. Il
avait pris ces plus beaux habits et portait autour du cou, une
magnifique chaîne en or qu'il ne quittait jamais.
Le premier
magistrat s'enquit de la visite de ce drôle de citoyen corné au
regard de braise. Quand on a responsabilité publique, il ne faut
faire bonne figure à tous et à chacun. C'est ce qu'il avait
l'intention de faire, même si ce personnage ne lui disait rien qui
vaille. Pourtant le diable, se montra fort affable et tint
conversation empreinte de cordialité. Il ne faut jamais se fier aux
apparences, c'est bien la première leçon de cette fable.
Lucifer,
Belzébuth ou Satan, nous l'appellerons comme il vous agrée, venait
parler affaire avec l'élu du pays. Il avait ouï les plaintes des
gens du pays et proposa ses services à cette petite bourgade.
Puisque un pont manquait tant aux braves gens d'ici, lui, fort de ses
dons multiples et de ses accointances souterraines, se faisait fort
de bâtir un pont de pierre dans la nuit.
L'offre était
attirante, les délais raisonnables, le Maire sentait pourtant qu'il
y avait bien là manigance ou rouerie. Il ne pouvait accepter cette
offre sans un examen attentif des conditions du contrat d'autant
qu'il faisait fi des règles qui prévalent aux marchés publics.
Dans ces conditions incertaines, craignant le recours administratif,
il devait faire preuve de prudence et de sagesse.
Il s'enquit
tout d'abord du montant des travaux. L'homme était un bon diable, il
s'indigna et jura ses grands dieux qu'entre eux, jamais, il ne serait
question d'argent. Le malin travaille, c'est bien connu pour la
gloire de son royaume. Jamais vous ne trouverez personnage plus
désintéressé que lui !
Le Maire
voyait qu'on cherchait, à n'en point douter, à lui jouer un fort
mauvais tour. Il fallait jouer serré avec ce visiteur à la beauté
étrange. Il lui demanda pourtant et sans ambages qu'elle pouvait
bien être la contrepartie de cette offre mirobolante. L'autre alors
de lui exprimer simplement les clauses de son marché : « Je
ne veux monsieur, rien d'autre, que le premier qui franchira ce pont
que je vous construirai dans la nuit. Celui-là, pour toujours
m'appartiendra. Séance tenante, je prends son âme et jamais plus,
vous n'entendrez parler de moi ! »
L'élu vit
immédiatement quel parti prendre de cette étrange affaire. Il
pourrait se débarrasser de son vieil adversaire, son opposant de
toujours, en lui proposant par exemple d'inaugurer le pont. Il
accepta le marché, tapa dans la main du diable qui partit bien vite
dans un éclat de rire. Le méchant avait compris les intentions du
maire et pensait, pour ce menu service, s'offrir à bon compte, une
âme respectable !
La journée
passa sans que le Maire ne dise rien de ce qu'il avait conclu. Il
vaqua à ses occupations et s'offrit même ce petit tour de l'autre
côté du fleuve dont nous ne dirons rien. Est-ce les faveurs de
Fanchon, la réflexion ou bien le peu de conscience qu'il avait
encore, mais l'homme avait changé d'idée. Il ne pouvait sacrifier
son ennemi juré à Satan, depuis les mœurs politiques ont bien
changé et nos édiles enverraient au diable ceux qui s'opposent à
eux.
Au très petit
matin, il y eut dans la ville immense fracas et grand tonnerre. Le
ciel se déchira et des éclairs tels que nul humain n'en vit jamais
zébrèrent les cieux et éblouirent tous les gueux. Quand le calme
revint, il y avait, enjambant la Loire, un grand et magnifique pont
de pierre !
Passée la
stupeur, chacun se précipita devant l'entrée du pont. Les gens
étaient si ébahis, que nul ne songea à y mettre les pieds. C'est
heureux, la surprise est parfois bonne conseillère. Elle eut tout
autant des effets sur le maire à qui un ange venait de souffler dans
l'oreille une petite idée !
Il demanda à
ses concitoyens de se ranger derrière lui. C'était un temps où la
foule se montrait raisonnable et chacun écoutait les recommandations
qu'on lui donnait. Il s'empara d'une vilaine bête, un chat, teigne
comme pas deux, qui effrayait toujours les petits enfants. Il
s'approcha doucement, un peu craintif de ce pont aux allures
étranges. Il avait bien une sourde angoisse, il savait qu'il
risquait d'avoir le diable à ses trousses !
Il empoigna le
chat, lui jeta un seau d'eau ! Ce vieux matou désagréable, prit ses
jambes à son cou, traversa le pont en miaulant de rage. De l'autre
côté, Satan attendait le paiement de son pacte. Il vit arriver la
bête aux poils hérissés en devinant trop tard qu'il avait été
grugé.
Le diable vit
rouge, ce qui ne surprit personne. Il prit le chat pour paiement de
ce marché de dupe et rentra dans une colère qui resta longtemps
encore dans les mémoires des gens du pays. Il se lança dans une
imprécation folle, jura, cracha, vociféra et voua tous les gens
d'ici aux promesses des feux de chez lui. Il savait pourtant que ces
menaces étaient vaines, il avait été roulé, il fallait bien qu'il
en convienne !
Le diable
pourtant est un mauvais perdant, il s'offrit une ultime mesquinerie
en quittant les lieux de sa défaite. Il donna un grand coup de pied
dans l'une des arches de son pont qui la fit décalée. Le pont
restait debout mais la marques de sa colère sera visible pour le
reste des temps. Il partit la tête basse et sa queue fourchue entre
les jambes, en hurlant à ceux de l'autre rive :
« Messieurs
et mesdames les gens de ce pays, vous êtes de bien vilaines gens.
Désormais, vos voisins des villes alentours diront de vous que vous
n'êtes que des chats ! »
Depuis ce
jour, pour faire la nique au malin, les habitants de ces villes font
chaque année grande et belle fête des châtaignes. C'est leur
manière à eux de se rire du diable et de lui jouer chaque fois, un
mauvais tour à leur façon. Si la châtaigne finit toujours par
griller sur les feux de l'enfer, il se peut parfois qu'on se pique à
son bogue. Celui qui croit prendre peut aussi bien être pris, c'est
la leçon de cette histoire certainement pas sans queue fourchue ni
tête cornée !
Diablement
vôtre.
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