Un
tour de cochon.
Il
était une fois une ferme dans les bois sur les hauts de
Sully-sur-Loire. La terre n’était guère favorable à la culture :
elle était acide, couverte de fougères et de châtaigniers. Les
sols produisaient tout juste de quoi nourrir les gens et les bêtes.
On avait pourtant compris le parti qu’on pouvait tirer d’un
pareil environnement en engraissant les meilleurs cochons de toute la
région.
C’était
surtout madame Courtois qui se chargeait de la besogne :
préparer chaque jour une bouillie riche et variée, faite de tout ce
qui pouvait se manger. Le cochon est le roi des omnivores, il fait
gueule de tout ce qui lui passe sous le groin. Quand en plus, on y
ajoute châtaignes et noisettes, mûres et baies sauvages, sa chair
se parfume et prend mille et une nuances qui enchantaient les
gourmands de l’époque.
La
pauvre dame avait bien du mérite. Son mari n’était pas souvent à
l’ouvrage ; du moins à celui qui devrait occuper un homme
honnête. Il avait la fâcheuse habitude de courir le jupon, de
coiffer de cornes la tête des hommes du canton, pour peu qu’ils
aient une femme à son goût. Partout il se murmurait qu’il n’y
avait pas plus beaux cochons que ceux de madame Courtois et pas plus
cochon que son maudit époux.
Les
malheurs des uns ne font jamais qu’entretenir la médisance des
autres. En la circonstance, les maris grugés évitaient de crier sur
tous les toits les travers que leur faisait subir l’ignoble
vaurien. Les femmes trop volages ne s’en vantaient pas plus. Elles
apprenaient bien vite que leur larron pour beau parleur et formidable
étalon qu’il fût, n’était qu’un cœur d'artichaut et
changeait de pouliche à la première occasion.
Une
fois l’an, à Sully, il y avait une foire primée et chaque mois,
un marché aux cochons. La place était alors la « Mecque »
de la truie et du verrat. On accourait de partout pour acheter les
meilleurs reproducteurs, les plus jolis cochons de lait, les
meilleures mères. Mais jamais, ô grand jamais, on n’avait encore
songé à organiser un concours du plus beau cochon. Ce fut, cette
année-là, chose faite à l’initiative de Monsieur le Sénateur,
un notable de la ville, amateur de bonne chère et par conséquent de
bonne chair,
Le
concours fut annoncé une année à l’avance, il fallait que chacun
puisse se lancer dans la préparation du plus beau spécimen :
un champion du lard élevé dans les meilleures conditions, nourri
des mets les plus riches qui soient. Quand ce concours fut connu,
beaucoup se gaussèrent de l’idée tout en se lançant dans le plus
grand secret à l’engraissage, le plus fastueux possible, d’un
goret choyé comme un coq en pâte.
Chez
les Courtois, monsieur se soucia comme de sa dernière liquette de la
fièvre qui gagnait ses collègues éleveurs. Lui, à franchement
parler, n’avait jamais considéré le cochon comme un animal digne
d’intérêt. Il avait pourtant une tendresse particulière pour les
truies : on ne se refait pas ! C’est donc sa femme, en
cachette de son coureur de bonhomme, qui se mit en tête d’être
celle qui emporterait le trophée mis en jeu. C’était enfin pour
elle une occasion de briller pour autre chose que la terrible
réputation qui collait à ses basques.
Elle
fit tant et si bien que son champion : un certain Duduche,
grossit comme jamais un cochon n’avait grossi dans le pays. Il
était gros à ne plus pouvoir se tourner dans sa souille ; ses
cuisses promettaient des jambons énormes. Pour lui éviter de ne
faire que du lard, madame Courtois prit l’habitude de le promener
en laisse, deux fois par jour, pour raffermir les chairs et lui
ouvrir un peu plus l’appétit.
Sa
ferme était assez isolée pour que nul ne se moquât de ses
pratiques. Elles auraient éveillé la curiosité et sans doute
l’imitation chez quelques adversaires, tout aussi désireux
d’emporter la victoire. La compétition provoque des jalousies, des
suspicions et des risques de triche. Rien n’est nouveau sous le
soleil. Son Duduche avait fière allure : jamais elle n’avait
connu un verrat aussi trapu, aussi bien charpenté, au port de tête
si altier et aux oreilles à faire pâlir un éléphanteau.
La
date fatidique approchait. Chacun s'apprêtait à nettoyer son
champion, à lui rendre allure présentable et soie aussi rose que
possible. Madame Courtois décida de le faire dormir dans l’arrière-
cuisine pour qu’il cesse de se souiller. Le cochon est un sacré
lascar, capable de se rouler dans la fange ; il parait même
qu’il y prend du plaisir. En cela aussi, il ressemble à son
homologue qui se tient debout sur ses pattes postérieures !
Le
drame se noua donc dans la maison même. Duduche se trouva-t-il
incommodé de quitter son palais, son auge et sa paille ou bien
fut-il simplement victime d’une crise cardiaque comme cela survient
à tout animal en situation de surpoids ? On ne le saura jamais, on
ne pratique pas l’autopsie en pareille circonstance et à la veille
du concours, il fut trouvé raide mort par la pauvre femme. Le coup
pour elle manqua d’être fatal.
Elle
était à se lamenter et à pleurer sur le corps de celui en qui elle
fondait ses espoirs de revanche sur une existence qu’elle ne
souhaitait pas même à sa pire ennemie quand Monsieur le Sénateur
en personne, passa la voir, poussé par la curiosité, née des
bruits qui avait circulé dans le village. L’homme, en bon
politique qu’il était, trouva les mots pour réconforter la
malheureuse et lui glissa une idée dans le creux de l’oreille.
Cela eut l’air de convaincre la fermière qui se mit immédiatement
en besogne.
En
moins de vingt-quatre heures, elle fit tant et si bien que Duduche
était en mesure de se présenter à la foire primée, non pas sur
ses quatre pattes mais sous forme de pâtés, rillettes, boudin,
andouilles, saucisses, travers, côtelettes, rillons, fritons, tête
et oreilles, queue et abats sans oublier des rouelles majestueuses et
des jambonneaux de compétition. Elle rangea le fruit de son dur
labeur dans une grande remorque ; Duduche n’avait pas été
avare de charcuterie et de viande.
Elle
demanda à son mari, le sieur Courtois en personne, de tirer la
remorque. D’après l’organisateur, il n’avait pas été précisé
que le compétiteur devait arriver vivant. En fait de quoi l’élu,
en vieux roublard, avait conçu un plan machiavélique dont il avait
eu la sagesse de ne pas informer la trop gentille femme. Comme il
était président du jury, il se promettait bien du plaisir …
Le
jour de la foire primée, chacun arriva avec son héros au bout, qui
d’une longe, qui de la chaîne du chien, qui d’un long ruban
chamarré. Les bêtes étaient propres comme jamais on n’avait pu
observer des cochons de la sorte. Seul monsieur Courtois tirant sa
remorque détonnait dans le décor. La foule était amassée devant
le jury et s’exclamait au passage des cochons. Monsieur Courtois
connut quant à lui un véritable triomphe ; il faut avouer que
sa remorque embaumait et que chacun appréciait en connaisseur les
morceaux ainsi exposés.
Quand
le défilé se fut achevé, Monsieur le Sénateur se leva, l’air
grave et pénétré de l’importance du moment. Il tint un discours,
vanta la qualité du travail des uns et des autres, la richesse de
l'élevage local, la conscience professionnelle des fermiers du
Sullyas. Il trouva les mots justes qui émurent toute l’assistance
et fit honneur à la race porcine. Le moment était venu de proclamer
le vainqueur.
Dans
un silence de cathédrale, le notable ménagea le suspense. « À
l’unanimité du jury, dit-il de manière sentencieuse, le verrat,
lauréat de la première foire primée du cochon est » …, il
se tut de longues secondes pour faire monter la tension qui était
déjà palpable depuis le début du défilé, « pour l’ensemble
de ses œuvres, Monsieur Courtois, cochon hors catégorie ».
Et
là ce fut un énorme éclat de rire, le Sénateur descendit de son
estrade et agrafa une cocarde tricolore sur la braguette d’un
fermier, rouge pivoine, incapable d’esquisser le moindre geste ni
la plus petite protestation. Dans l’assistance, les maris cocufiés
par le bougre, les femmes trop vite délaissées et même, madame
Courtois en personne se tordaient de rire en se tenant les côtes.
Jamais on ne vécut plus belle fête à Sully-sur-Loire que ce jour
mémorable de la première foire primée. Par la suite, on prit
l’habitude de récompenser les vaches : le risque de confusion
étant moins grand pourvu qu’elles ne viennent pas sous la seule
forme d’une peau.
Monsieur
le Sénateur sortit grandi de la farce. Il fut triomphalement réélu
et des sonneurs créèrent en son honneur une sonnerie pour l’hallali
d’un Grand dix-cors. Monsieur Courtois quant à lui retint la
leçon. La publicité que ses frasques venaient de recevoir ainsi en
public l'incita, à tout jamais, à la plus stricte fidélité. Sa
femme, bonne pâte, continua de l’appeler « Mon cochon ! »
dans le secret de leurs ébats. Elle avait le pardon facile et savait
la chair faible aussi bien crue que cuite !
Adultèrement
sien.
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