dimanche 27 mai 2018

Sur les bords de l'Allier …


La belle meunière.




Il était une fois au bord de la rivière Allier une meunière si belle que les paysans d'alentour venaient moudre leur grain chez son mari pour le seul plaisir des yeux. Cela se déroulait à Yzeure en ces temps lointains où le comte d'Archambault tenait petite féodalité. Nous sommes au dixième siècle, époque où, si les mœurs étaient plus courtoises, il ne fallait pourtant pas plaisanter avec les liens sacrés du mariage.

Le brave meunier savait qu'il faisait beaucoup d'envieux. Il s'en amusait plus qu'il ne s'en inquiétait. Sa belle n'avait eu, jusque-là, d'yeux et de tendresse que pour lui. Sa plastique avantageuse était pour lui un argument commercial : une manière bien commode d'attirer le client. Son moulin était prospère : c'était bien là l'essentiel. L'eau pouvait bien faire tourner la grande roue ; il dormait sur ses deux oreilles ...

Le meunier n'aurait jamais été la risée du pays s'il n'était venu à l'idée du Comte de venir chasser dans les parages. C'est un jour de traque du cerf, qu'Archambault VIII vint dans la forêt de Molardier, à la suite de sa meute, poursuivant un vieux mâle bien corné. Pour des raisons qui échappent encore aux raconteurs d'histoire, le Comte s'égara, perdant de vue la bête traquée et toute la bruyante troupe de la chasse à courre. Il finit par se retrouver en bord de rivière et un passeur lui permit de franchir l'Allier.

Sur l'autre rive, c'est naturellement vers le moulin que le conduisirent ses pas. Que ce soit le hasard ou bien l'appel du cor dans le lointain, le noble personnage fit alors la rencontre de sa vie. La belle meunière le remit dans le droit chemin d'un sourire à faire perdre la tête à un comte, à un prince comme à un manant. L'amour ne connaît pas les distinctions sociales ; une fois encore, les barrières avaient cédé. Le meunier, tout à son ouvrage, ignorait alors que son destin était scellé.

Le Comte décida dans l'instant de trouver prétexte à venir plus souvent dans les parages de cette dame, belle à vous damner. Il avait de quoi s'offrir un petit nid pour ses amours et fit construire un relais de chasse à proximité du moulin. Sa passion de la venaison pouvait couvrir des intentions peu avouables, fussent-elles celles d'un seigneur sur son territoire.

La belle meunière ne fut pas insensible à ce stratagème. Elle avait remarqué, la diablesse, les regards enflammés que lui avait lancés ce cavalier et ne s'en était pas offusquée, loin s'en faut. Bien vite, elle se prit au jeu de la passion qui vous fait perdre la tête et commettre bien des folies. Pourtant, son mari était un obstacle qu'il fallait contourner avec précaution. Le meunier était chaud du bonnet et capable, tout Prince que fût son amant, de le rosser, de le battre comme plâtre !

Une femme éprise n'est jamais à court d'imagination quand elle veut s'offrir quelques libertés. Celle-ci ne fit pas exception à la règle et trouva un stratagème digne de la passion qu'elle vouait à son gentil chasseur. Elle avait remarqué que son meunier de mari était sujet à crise de sinusite s'il lui venait à respirer de trop près la farine.

Quand son galant, par un messager discret annonçait sa visite en son relais de chasse, la belle perfide profitait du sommeil du brave meunier pour lui rouler le nez dans la farine. Au petit matin, l'homme, il n'y manquait jamais, était réveillé par des éternuements à vous rendre fou. Il savait qu'il n'avait dans ce cas précis qu'une manière de pouvoir supporter la crise. Il prenait son matériel de pêche et partait sur les bords de l'Allier, respirer le grand air toute la journée …

La belle pouvait dans l'instant s'éclipser à son tour et rejoindre son comte. Ce qui se passait alors dans le relais de chasse ne nous regarde pas. Curieusement, les trophées venaient à manquer depuis quelque temps pour Archambault et, bien vite, dans la région, il se murmura que le meunier portait d'aussi belles cornes que les cerfs qui n'étaient plus chassés ! Les gens sont mesquins.

Avec le temps, la belle meunière et le comte espacèrent leur rencontres. Le comte fit fortifier son relais de chasse, craignant sans doute qu'un jour, le meunier découvre la vérité et vienne lui chercher querelle. Les amants disparurent, les héritiers édifièrent plus tard un palais ducal à l'emplacement du nid des amoureux.

Une ville en ce lieu allait naître qui devint Moulins, en hommage à la belle meunière qui avait pris dans ses filets un comte. Le pauvre meunier ne se douta jamais qu'il fut à l'origine de deux expressions de la langue française et d'une belle cité. Une rue à Moulins, longtemps s'appela rue du Moulin Bréchimbault, déformation habituelle en une époque où les patronymes fluctuaient au gré des transcripteurs.
Par la suite, le Moulin disparut de la plaque de rue mais, pour montrer que tout cela n'était qu'illusion et mensonge, le théâtre municipal fut érigé en cet emplacement. On ne saurait trouver meilleure origine pour accueillir vaudevilles et belles farces. Le rideau pouvait tomber sur les amours adultérines de la belle meunière et du comte.

Adultérinement leur. 
 

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