La
belle meunière.
Il
était une fois au bord de la rivière Allier une meunière si belle
que les paysans d'alentour venaient moudre leur grain chez son mari
pour le seul plaisir des yeux. Cela se déroulait à Yzeure en ces
temps lointains où le comte d'Archambault tenait petite féodalité.
Nous sommes au dixième siècle, époque où, si les mœurs étaient
plus courtoises, il ne fallait pourtant pas plaisanter avec les liens
sacrés du mariage.
Le
brave meunier savait qu'il faisait beaucoup d'envieux. Il s'en
amusait plus qu'il ne s'en inquiétait. Sa belle n'avait eu,
jusque-là, d'yeux et de tendresse que pour lui. Sa plastique
avantageuse était pour lui un argument commercial : une manière
bien commode d'attirer le client. Son moulin était prospère :
c'était bien là l'essentiel. L'eau pouvait bien faire tourner la
grande roue ; il dormait sur ses deux oreilles ...
Le
meunier n'aurait jamais été la risée du pays s'il n'était venu à
l'idée du Comte de venir chasser dans les parages. C'est un jour de
traque du cerf, qu'Archambault VIII vint dans la forêt de Molardier,
à la suite de sa meute, poursuivant un vieux mâle bien corné. Pour
des raisons qui échappent encore aux raconteurs d'histoire, le Comte
s'égara, perdant de vue la bête traquée et toute la bruyante
troupe de la chasse à courre. Il finit par se retrouver en bord de
rivière et un passeur lui permit de franchir l'Allier.
Sur
l'autre rive, c'est naturellement vers le moulin que le conduisirent
ses pas. Que ce soit le hasard ou bien l'appel du cor dans le
lointain, le noble personnage fit alors la rencontre de sa vie. La
belle meunière le remit dans le droit chemin d'un sourire à faire
perdre la tête à un comte, à un prince comme à un manant.
L'amour ne connaît pas les distinctions sociales ; une fois
encore, les barrières avaient cédé. Le meunier, tout à son
ouvrage, ignorait alors que son destin était scellé.
Le
Comte décida dans l'instant de trouver prétexte à venir plus
souvent dans les parages de cette dame, belle à vous damner. Il
avait de quoi s'offrir un petit nid pour ses amours et fit construire
un relais de chasse à proximité du moulin. Sa passion de la
venaison pouvait couvrir des intentions peu avouables, fussent-elles
celles d'un seigneur sur son territoire.
La
belle meunière ne fut pas insensible à ce stratagème. Elle avait
remarqué, la diablesse, les regards enflammés que lui avait lancés
ce cavalier et ne s'en était pas offusquée, loin s'en faut. Bien
vite, elle se prit au jeu de la passion qui vous fait perdre la tête
et commettre bien des folies. Pourtant, son mari était un obstacle
qu'il fallait contourner avec précaution. Le meunier était chaud du
bonnet et capable, tout Prince que fût son amant, de le rosser, de
le battre comme plâtre !
Une
femme éprise n'est jamais à court d'imagination quand elle veut
s'offrir quelques libertés. Celle-ci ne fit pas exception à la
règle et trouva un stratagème digne de la passion qu'elle vouait à
son gentil chasseur. Elle avait remarqué que son meunier de mari
était sujet à crise de sinusite s'il lui venait à respirer de trop
près la farine.
Quand
son galant, par un messager discret annonçait sa visite en son
relais de chasse, la belle perfide profitait du sommeil du brave
meunier pour lui rouler le nez dans la farine. Au petit matin,
l'homme, il n'y manquait jamais, était réveillé par des
éternuements à vous rendre fou. Il savait qu'il n'avait dans ce cas
précis qu'une manière de pouvoir supporter la crise. Il prenait son
matériel de pêche et partait sur les bords de l'Allier, respirer le
grand air toute la journée …
La
belle pouvait dans l'instant s'éclipser à son tour et rejoindre son
comte. Ce qui se passait alors dans le relais de chasse ne nous
regarde pas. Curieusement, les trophées venaient à manquer depuis
quelque temps pour Archambault et, bien vite, dans la région, il se
murmura que le meunier portait d'aussi belles cornes que les cerfs
qui n'étaient plus chassés ! Les gens sont mesquins.
Avec
le temps, la belle meunière et le comte espacèrent leur rencontres.
Le comte fit fortifier son relais de chasse, craignant sans doute
qu'un jour, le meunier découvre la vérité et vienne lui chercher
querelle. Les amants disparurent, les héritiers édifièrent plus
tard un palais ducal à l'emplacement du nid des amoureux.
Une
ville en ce lieu allait naître qui devint Moulins, en hommage à la
belle meunière qui avait pris dans ses filets un comte. Le pauvre
meunier ne se douta jamais qu'il fut à l'origine de deux
expressions de la langue française et d'une belle cité. Une rue à
Moulins, longtemps s'appela rue du Moulin Bréchimbault, déformation
habituelle en une époque où les patronymes fluctuaient au gré des
transcripteurs.
Par
la suite, le Moulin disparut de la plaque de rue mais, pour montrer
que tout cela n'était qu'illusion et mensonge, le théâtre
municipal fut érigé en cet emplacement. On ne saurait trouver
meilleure origine pour accueillir vaudevilles et belles farces. Le
rideau pouvait tomber sur les amours adultérines de la belle
meunière et du comte.
Adultérinement
leur.
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