mardi 29 mai 2018

Le Cormoran


Portrait en noir et blanc



Presque inconnu sur la Loire au XVIII° siècle au point qu’il était appelé « Corbeau de mer », en voie de disparition il y a cinquante ans, le Cormoran prolifère désormais au point de provoquer l’irritation des pêcheurs et le désamour de bien des ligériens.

Il dispose au niveau de l’Europe du label : « Espèce protégée » même si des mesures ponctuelles sont prises de ce de là pour réguler son nombre. Il est vrai que le nombre de spécimens ne cesse de croître et provoque la colère des pisciculteurs et des pêcheurs. Son appétit est insatiable et lorsqu’il finit par être saturé, il pêche par plaisir …

Les cormorans ont mauvaise presse, c’est le moins que l’on puisse dire. Ils mettent en danger l’équilibre de nos rivières, menaçant des espèces rares de poissons. Il a en outre la réputation d’être un danger pour les avions dans nos petits aéroports. On ne prête qu’aux riches ! Son passif d’ailleurs ne date pas d’aujourd’hui car même dans la Bible, il joue le mauvais rôle. Noé le puni pour son inconduite en le privant d’une glande qui permet l’imperméabilisation de ses plumes. Il est ainsi condamné à se faire sécher les ailes au vent. Il est noir, naturellement couleur rejetée dans la symbolique chrétienne. Demandez donc aux chats noirs qui ont inauguré tous nos ponts ...

Jean De la Fontaine en rajoute une couche avec sa fable : 

 

Les Poissons et le Cormoran

Il n'était point d'étang dans tout le voisinage
Qu'un Cormoran n'eût mis à contribution.
Viviers et réservoirs lui payaient pension .
Sa cuisine allait bien : mais, lorsque le long âge
Eut glacé le pauvre animal,
La même cuisine alla mal.
Tout Cormoran se sert de pourvoyeur lui-même.
Le nôtre, un peu trop vieux pour voir au fond des eaux,
N'ayant ni filets ni réseaux,
Souffrait une disette extrême.
Que fit-il ? Le besoin, docteur en stratagème,
Lui fournit celui-ci. Sur le bord d'un Étang
Cormoran vit une Écrevisse.
Ma commère, dit-il, allez tout à l'instant
Porter un avis important
A ce peuple. Il faut qu'il périsse :
Le maître de ce lieu dans huit jours pêchera.
L'Écrevisse en hâte s'en va
Conter le cas : grande est l'émute.
On court, on s'assemble, on députe
A l'Oiseau : Seigneur Cormoran,
D'où vous vient cet avis ? Quel est votre garant ?
Êtes-vous sûr de cette affaire ?
N'y savez-vous remède ? Et qu'est-il bon de faire ?
Changer de lieu, dit-il. Comment le ferons-nous ?
N'en soyez point en soin : je vous porterai tous,
L'un après l'autre, en ma retraite.
Nul que Dieu seul et moi n'en connaît les chemins :
Il n'est demeure plus secrète.
Un Vivier que nature y creusa de ses mains,
Inconnu des traîtres humains,
Sauvera votre république.
On le crut. Le peuple aquatique
L'un après l'autre fut porté
Sous ce rocher peu fréquenté.
Là Cormoran le bon apôtre,
Les ayant mis en un endroit
Transparent, peu creux, fort étroit,
Vous les prenait sans peine, un jour l'un, un jour l'autre.
Il leur apprit à leurs dépens
Que l'on ne doit jamais avoir de confiance
En ceux qui sont mangeurs de gens.
Ils y perdirent peu, puisque l'humaine engeance
En aurait aussi bien croqué sa bonne part ;
Qu'importe qui vous mange ? homme ou loup ; toute panse
Me paraît une à cet égard ;
Un jour plus tôt, un jour plus tard,
Ce n'est pas grande différence.


Le Cormoran joue un peu ici le rôle du renard fourbe. Il est évoqué comme redoutable prédateur pour les étangs, preuve qu’au XVII° siècle il était bien présent chez nous.


Essayons de défendre quelque peu ce bel oiseau aux impressionnantes performances.
En Europe, il en existe trois espèces : le grand cormoran, le cormoran pygmée et le cormoran huppé.

 

Le grand cormoran a une envergure de 1,30 à 1,50 m. Proche de l’oie, il pèse en moyenne de 2 à 2,5 kg, mesure de 80 cm à 1,10 m. Il se nourrit de 750 grammes de poisson par jour qu'il pêche en plongeant sous la surface de l'eau. Ses courtes pattes palmées sont parfaitement adaptées à la plongée. Son bec est très puissant, muni d'un crochet qui blesse ses prises y compris celles qu’il relâche s’il est rassasié. La forme de son cou en S en fait un outil très souple et très adapté à la pêche. Il vit en colonie, niche en bande dans des arbres qui sont de véritables dortoirs. Autrefois migrateur, il est devenu de plus en plus sédentaire en bord de Loire.



Le Cormoran pygmée est plus petit de tous les cormorans. Son plumage corporel est brun si sombre qu’on peut le penser noir. Sa tête est brune plus clair et son bec sourt est recourbé vers le bas à son extrémité. Sa queue est longue. Des taches rouges sur la tête et au cou, lors de la période de reproduction, permettent de le distinguer des autres cormorans européens. Pas de différences d’apparence entre le mâle et la femelle.



Le Cormoran huppé est plus petit que son homologue le grand cormoran et dispose de la même silhouette. Son plumage est noir avec des reflets vert-bouteille. Sur le front, il porte une petite huppe repliée sur l’avant qui est présente uniquement au printemps, pendant la période nuptiale. Son bec est jaunâtre et noirâtre, légèrement crochu à son extrémité. Il est plus fin que celui de son voisin. Au niveau du menton, la peau est nue et possède une coloration bleu sombre. Les pattes sont noires.
Aujourd'hui, la population des Cormorans a explosé. Des estimations évoquent 6 000 000 individus. Depuis 1979, ils bénéficient au niveau européen du statut d'animal protégé. Les Cormorans semblent avoir adopté la Loire et font un prélèvement considérable de poissons.



Le cormoran ne recule pas devant la taille de ses prises : perches, carpes, truites, saumons, jusqu'aux brochets sont à son tableau de chasse. Sur la Loire, dernier fleuve sauvage d'Europe, les cormorans font des ravages. Les zones humides, sauvages, la Brenne, la Sologne, la Dombes ou la Brière, ne sont pas épargnées non plus par son appétit insatiable.

Depuis quelques années, des autorisations préfectorales de chasse avec quotas ont été instaurées. Ainsi, en France, un peu plus de 40 000 individus peuvent être tirés chaque année pendant la période d'ouverture de la chasse au gibier d'eau. Les chasseurs ne sont guère motivés par ce gibier qui sent le poisson et il est compliqué de trouver des volontaires pour gâcher des cartouches. Certains esprits malicieux affirment aussi que le Cormoran est trop malin pour tomber sous les plombs des chasseurs. Les méthodes d’effarouchement avec des pétards, elles aussi ne sont pas opérantes pour enrayer sa progression.


Au Danemark, zone de nidification des cormorans migrateurs, des expériences de destruction des œufs sont menées tout en s’avérant délicates et complexes. C’est un curieux retour à une tradition danoise abandonnée lorsque l’oiseau fut protégé. Gober un œuf de Cormoran était censé porter bonheur.

Pour l’instant, les Cormorans sont encore pour longtemps de terribles prédateurs. Les poissons n'ont qu’à éviter de les fréquenter de trop près, ce qui avouons-le, n’est pas chose aisée ! 

 

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