Le
temps des asperges.
Elles
sont du printemps annonciatrices et réjouissent nos tables tout
autant que nos papilles avant que de parfumer étrangement nos
urines. Que l’asperge pointe son nez et voilà le temps des
premiers repas extérieurs, des apéritifs qui se prolongent sur une
terrasse ensoleillée. Le jour a largement dominé les ténèbres et
ne cesse de nous éclairer pour des soirées qui s’étirent,
langoureusement.
La
belle asperge est le gnomon de notre cadran solaire gourmand. Nous
entrons dans la période des marchés foisonnants, des légumes
triomphants qu’on dit nouveaux. Leur douceur et leur tendresse vont
nous réjouir le palais tout en titillant considérablement nos
bourses. Fort heureusement, l’asperge se rappelle à sa réputation
aphrodisiaque, du seul fait d’une analogie de forme non équivoque.
Il
est vrai que son histoire fut empreinte de cette curieuse pensée ;
l’homme aime à voir dans son assiette, le sujet principal de ses
préoccupations. Comme de surcroît, la demoiselle se déguste
souvent accompagnée de crème, le trouble est certain et
l’admiration ou bien la jalousie fondent aussi bien dans la bouche
que dans des pensées inavouables.
La
demoiselle pointe son dard vertueux quand elle se cueille verte,
violacée à d’autres moments ou d’une blancheur virginale pour
ceux qui désirent être les premiers. Chacun a son asperge, sa sauce
et sa manière de la déguster. Les uns, plus délicats, la coupent
et s’en emparent à la fourchette, quand les plus sensuels la
prennent à la main et l’embouchent avec délectation,
dégoulinante d’une crème onctueuse.
Que
la Pompadour fût l’une des plus assidues à sa dégustation,
atteste sans nul doute que l’asperge donne dans la sensualité et
la frivolité. Autrefois, pour la parer de sa blancheur, elle était
calottée, encapuchonnée d’une petite bonnette de tissu. Munir
ainsi chaque légume d’une petite capote délicate eut tôt fait
d’échauffer les esprits plutôt que de les calmer. Il fallait agir
au plus vite ou bien les jardins princiers se seraient transformés
en lupanars aux jolis moi d’avril et de mai.
La
plante mâle était montrée du doigt : c’est elle qui donnait
ce légume délicieux. Fort heureusement, elle ne fut pas mise à
l’index. L’asperge
femelle s’épuise sans cesse à produire de petites baies rouges
contenant quelques graines noires. Le rouge et le noir la rabaissant
au statut de reproductrice. La récolte imposait alors un travail
de Romain pour quelques jardiniers princiers, qui faisaient de la
dame, un plat royal et hors de portée du commun. Puis en la buttant,
les gueux se l’approprièrent pour faire d’elle un plat de fête.
L’asperge aime le sable, les terres légères et se plaît dans
notre Val tout autant que dans les Landes. Elle régale les amateurs
tout en chahutant le dos des malheureux, qui, courbés du matin au
soir, l’extirpent du sol, une gouge-sorte de corne à
chaussures,-dans la main, qui justifie l’expression : choisir
chaussure à son pied . Ce travail harassant qu’aucune machine ne
peut réaliser, explique les prix de plus en plus prohibitifs de la
dame.
Oublions-les,
eux ne m’ont jamais botté, contrairement à la belle asperge qui a
la tête bien faite et le corps craquant à souhait. Je la déshabille
d’une caresse qu’un économe effilé lui accorde. Elle est alors
si belle que l’envie parfois me prend de la croquer toute crue.
Puis, dans un cruel sacrifice, je la plonge dans l’eau bouillante
en prenant bien garde de ne jamais trop la ramollir. Elle doit garder
de sa vigueur pour s’offrir en bouche sans ployer.
Elle
a le port d’une reine et la fermeté d’un vigoureux chevalier.
Elle boute l’hiver de nos assiettes et nous régale de sa subtile
douceur. Je vous suggère de la célébrer sans tarder ; elle
mérite ce petit hommage qui n’a de sens que si vous cédez à
votre tour à son culte. Sucez-la sans honte ni retenue, trempez-la
dans une mousseline, une sauce hollandaise, une crème onctueuse ou
bien une délicate mousse mais, de grâce, épargnez-lui la
vinaigrette, trop banale pour elle. Accordez-lui des fines herbes,
des parfums orientaux ; elle vient de si loin qu’elle prendra
plaisir à retrouver ses racines.
Vous
pouvez passer à table ou bien céder aux délices de la sieste
crapuleuse. Profitez-en bien ; la saison des asperges ne dure
que bien peu de temps. Quand l’été viendra, elles monteront en
graines. Mais n’oubliez pas qu’elles ne sont jamais aussi bonnes
que lorsqu’elles viennent d’être ramassées. C’est en faisant
votre marché auprès des producteurs locaux que vous jouirez
pleinement de ses petites vertus.
Aspergement
vôtre.
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