Le
passage délicat.
La
Loire est une rivière -terme que l’on préfère à fleuve- qui ne
se donne pas facilement. De tout temps,la traverser fut un casse-tête
épineux tout autant qu’aqueux pour tous ceux qui s'y aventurèrent.
Il n'est qu'à compter les ponts qui l'enjambent pour se rendre à
l'évidence : la chose n'est pas aisée et même de nos jours, lancer
une construction par dessus dame Liger pose d'énormes problèmes
techniques.
Les
solutions ne sont d'ailleurs pas légion pour franchir le pas. Les
hommes en tirèrent souvent des subsides. La difficulté crée le
besoin et le prix à payer valait bien quelques efforts. Nous eûmes
les octrois sur les rares ponts qui tenaient les flots. L'argent
tombait dans l'escarcelle de quelque pouvoir ce qui ne favorisait pas
les échanges d'une rive à l'autre.
Les
gros bras en conclurent bien vite qu'il était possible de tirer
profit du passage. Le bac fut un petit métier qui fonctionna
longtemps dans nos régions ligériennes. Parfois la Loire ne voyait
pas d'un très bon œil ce franchissement intempestif et se mettait
en colère, plaçant la navette en bien fâcheuse posture.
Quand
les eaux baissaient , il se trouvait toujours quelques malins pour
franchir des gués. L'envahisseur allemand en 1940 connaissait bien
mieux la région que les troupes françaises qui dynamitèrent tous
les ponts ou presque qui barraient le parcours est-ouest du fleuve.
Les teutons avaient travaillé les archives et ne furent pas ennuyés
outre mesure par ces explosifs intempestifs en trouvant gués à
leurs chenilles.
Mais
traverser à pied est périlleux. Il faut connaître son affaire ou
prendre le risque de tout perdre, y compris la vie. La belle est
espiègle et recèle de nombreux pièges. Quand elle se met à
rouler, son débit est si fort que l'aventure est parfaitement
impossible. Les flots vous emportent comme fétus de paille. Même
les plus costauds sont balayés quand elle roule des eaux !
Les
bateaux eux-mêmes se mirent en tête de traverser le fleuve. Depuis
monsieur Eiffel et son pont canal, la paix niche dans le marinier qui
veut faire le grand saut, du canal latéral au canal de Briare. Nous
sommes en 1896 et la technologie simplifia bien des existences. Mais
auparavant, le fûtreau qui voulait changer de rive devait se lancer
dans l'inconnu.
C'est
à Chatillon sur Loire que les hommes du XIX siècle terminèrent
l'œuvre du grand Sully, le grand intendant des Turcies. Ils mirent
en chantier la gare à bateaux. Le port écluse de Mantelot, durant
près de soixante ans, la gare d'eau ouvrait ses vannes pour une
folle et périlleuse aventure. Des travaux colossaux furent
nécessaires pour atteindre le but , ce petit pas si conséquent. Un
dhuy barra le fleuve pour imposer la volonté des hommes aux caprices
de l'onde. Un mur de pierres capable de résister aux crues
violentes, aux assauts de la végétation et des flots.
Un
canal rive gauche qui se termine par une écluse en début de dhuy.
Une autre écluse 1 000 mètres plus loin sur la rive opposée et un
défi pour des bateaux plus à l'aise sur un canal que sur une
rivière hostile. Un chemin de halage, un cabestan, un escalier en
escargot, une halle magnifique qui trone aujourd'hui à
Chateauneuf-sur-Loire.
Franchir
un fleuve n'est pas facile, traverser la Loire demeure toujours une
défi. La rivière s'amuse à proposer des lits successifs, des
couches superposées de rivières souterraines. Le sable est un
adversaire résolu à tenir tête à tous les bétonneurs du monde,
les bîmes ; ces cavités tourbillonnantes où disparaissent les eaux
de la surface sont autant de pièges.
Ce
qui est vrai une année, ne l'est plus l'année suivante. Les bancs
se déplacent, les pièges changent d'allure. Le fleuve modifie son
cours. C'est pourquoi on dit d'elle, qu'elle est un fleuve sauvage.
La traverser se mérite.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire