L'herbier
du tendre …
Il
était une fois un ami de la Grenouille, ce parfumeur légendaire qui
aimait séduire. Lui, il était fleuriste et avait la même passion
pour la chair fraîche, pour les tendres et belles demoiselles. Il
les aimait intactes, sans la moindre flétrissure. Il les séduisait,
n'usait jamais de ruse ni de violence vis-à-vis de celles qui
allaient finir par succomber pour devenir une nouvelle conquête et
disparaître, la chose faite, de son existence.
Il
s'appelait Florent, avait l'art consommé de dire des mots d'amour,
de caresser les jouvencelles par des bouquets de phrases, des
compliments aimables et troublants. Il n'avait qu'un désir, une
ambition secrète et quelque peu déplacée : il voulait être
le premier, celui qui prenait leur fleur ; un souvenir qui
resterait à jamais dans l'esprit de celles qu'il ne reverrait plus.
Car
tel était le travers du garçon : sa quête satisfaite, il se
désintéressait de la pauvrette. Il était chasseur, il faisait la
cour pour alimenter sa collection ; son petit herbier du tendre ! Il
se faisait prédateur bienveillant, collectionneur fétichiste,
fleuriste symbolique puis s'en allait alors sur la pointe des
pieds,à la belle, alanguie et devenue femme, il laissait, en
échange de son forfait, une fleur pour remplacer celle qu'il lui
avait dérobée et conservait d'elle quelques poils pubiens dans
son herbier intime.
Florent
était un poète ; il avait son propre langage fleuri. Chaque
jeune fille héritait d'une plante en rapport avec la manière dont
s'était déroulé le défleurement . Ne riez pas : nulle
intention mesquine dans ce geste. Simplement l'envie de transmettre
un message, de résumer par ce cadeau odorant, le souvenir d'une
longue traque, d'une patiente approche.
Les
péronnelles n'avaient pas à regretter leur faiblesse. Elles avaient
eu un amant attentionné, un preux chevalier qui leur octroyait
mille et une caresses dont il avait un savoir-faire consommé. Il les
respectait, les rassurait, les entourait de tendresse et de douceur.
Mais jamais il ne revenait : c'était un amour sans retour, un
départ pour toujours.
Florent
se souvenait de chacune d'elles avec quelques notes glissées sur son
curieux carnet, son trophée et le nom d'une fleur laissée sur la
table de chevet de la belle endormie. C'est cet herbier mystérieux
qui m'est tombé dans les mains ; je n'avais pas compris le sens
de ces messages énigmatiques, de ces notes parfois un peu osées et
de ces filaments étranges et multicolores. Puis, au fil de ma
lecture, je compris que j'étais devant les mémoires d'un Don Juan
herboriste, d'un poète de l'hymen.
Florent
évoqua d'abord cette tigresse qui lui avait laissé de belles traces
sur le dos. La pâmoison de la diablesse s'était accompagnée de
quelques coups de griffes dont il garda longtemps les stigmates. Il
partit en lui offrant une rose, rouge naturellement, car le sang
avait perlé sur son dos. Puis il y eut cette jeune fille naïve qui
n'avait guère résisté. Son siège avait été si rapide ;
elle s'était donnée en toute confiance, trop crédule sans doute
pour imaginer qu'elle serait abandonnée, une fois sa fleur perdue.
Il lui offrit une petite fleur bleue avec un sourire ému.
Il
y eut encore cette femme qui inonda sa couche. Florent découvrit,
lui aussi ,qu'il existait des réactions exubérantes dans la nature
féminine. Il s'abreuva à cette merveilleuse fontaine, se délecta
de ses marques humides d'affection et de plaisir. Il lui laissa une
fleur de nénuphar ; on sentait dans ses notes intimes un
plaisir non dissimulé ; Florent avait aimé cette maîtresse.
Dois-je
vous l'écrire ? Il eut pour celle-ci un message quelque peu douteux.
Jamais il n'avait vu encore un petit écrin des plaisirs féminins
aussi sensible, aussi érectile. Il lui offrit des frissons sans
équivalent, des abandons puissants et des tremblements incroyables.
Il était maître des délices ; il se délecta de ces plaisirs
merveilleux. Il lui octroya une orchidée.
Il
y eut encore cette demoiselle qui connut, phénomène rare pour une
première expérience, ce que les spécialistes appellent la petite
mort. Florent manqua certainement de délicatesse et déposa sur sa
couche un chrysanthème. Il fut encore quelque peu goujat avec
celle-ci dont il avait trouvé les humeurs rétives, le propos
acerbe. Elle récolta un chardon qui était peu aimable.
Je
vous laisse deviner à votre tour ce que furent les amours de celle
qui repartit avec un coquelicot ou bien de cette autre qui hérita
d'une pensée. Il y eut encore cette charmante demoiselle qui reçut
des lys : elle avait le port d'une reine. À l'opposé, cette
pauvrette eut droit à des gueules de loup, nous ne saurons jamais
pourquoi. Enfin, il y eut cette beauté sublime, une Bretonne
impétueuse comme les côtes de son pays à qui il donna une fleur
d'ajonc tandis qu'une fille de Loire , une jeune bergère, reçut une
fleur de vinaigre.
Florent
aurait pu continuer ainsi très longtemps. Le langage des fleurs est
si étendu, son imagination si riche. Cependant, le fleuriste
reconnut un jour sa défaite : il avait trouvé sa princesse, sa
prêtresse de l'amour. Il la couvrit d'un bouquet énorme, odorant et
multicolore. Il désirait lui signifier ainsi son désir de la
revoir. Elle l'avait conquis, il la voulait pour femme …
La
belle vengea sans doute toutes celles qui l'avaient précédée. Elle
tressa une couronne de toutes les fleurs qu'elle avait reçues en
cadeau, broda sur une belle étoffe le prénom de Florent et laissa
sur sa couche ce message sans équivoque. Florent ne s'en remit
jamais : il renonça à l'amour et se fit moine. C'est à lui
que l'on doit la liqueur Chartreuse. Son amour des fleurs avait
trouvé un exutoire ! Nous étions en 1604 non loin du jardin du
Luxembourg que fréquentent aujourd'hui encore, les amoureux de la
Capitale.
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