Popol,
à jamais
Nous
allons suivre les pas du petit Jean-Louis, un gamin de la ville, un
fils de commerçant : une situation qui vous conduit à vivre
dans une maison pleine de visiteurs. Ses parents tenaient un magasin
de chaussures et lors des vacances, le garçon était toujours dans
les pattes des vendeuses, ce qui, il faut bien l’avouer, leur
cassait les pieds.
C’est
ainsi que pour laisser tranquilles les virtuoses de la corne à
chaussures, Jean-Louis se retrouvait en Brenne, dans la ferme que ses
grands-parents avaient confiée à des métayers qui acceptaient avec
joie de le recevoir. Il y retrouvait d’autres bêtes à cornes et
le bonheur du grand air.
Le
petit Jean-Louis n’aimait rien tant que de passer ses vacances loin
des odeurs de pieds. Il leur préférait les effluves du tas de
fumier, là où il allait fouiller pour y chercher des vers de terre.
Il faut dire que la Brenne est réputée pour ses étangs et, en ce
temps-là, ils étaient très poissonneux. Jean-Louis était devenu
un as de la pêche à la tanche.
Dans
la basse-cour, à deux pas de l’étable, poules, canards, dindons
et oies allaient en liberté. Quelques coqs montaient sur leurs
ergots, histoire de montrer au fils du chausseur qu’ils avaient
aussi bien bon pied que bon œil. Jean-Louis n’avait cure des
prétentions de la volaille ; c’était avant que notre
histoire ne survienne.
Car
un jour, le gamin qui avait la paupière lourde décida d’aller
faire une petite sieste. Il se coucha parmi les bottes de paille qui,
en ce temps-là, avaient la bonne idée de constituer une couche
confortable, bien loin des balles rondes d’aujourd’hui. Le gamin
était si bénaise, qu’il venait rêver tout autant que se reposer.
C’était un autre plaisir de la ferme.
Ce
jour-là, la vie de Jean-Paul allait basculer. Un poussin qui avait
échappé à la vigilance de sa mère vint se blottir contre le
dormeur. Le poussin avait trouvé un ami ; le gamin découvrait
l’affection qu’un animal sait parfois accorder à un humain.
Naquit alors une amitié indéfectible : partout où l’enfant
allait, il était suivi du poussin.
Les
vacances furent pour tous deux un grand bonheur. Ils n’étaient
jamais l’un sans l’autre. Le poussin avait trouvé dans ce vilain
petit canard un compagnon sans pareil, bien plus agréable et
inventif que ses camarades de poulailler. Jean-Louis, quant à lui,
découvrait la responsabilité de protéger un petit être fragile.
Les
grandes vacances arrivèrent à leur terme. Les parents vinrent
chercher leur rejeton. Mais là, ce fut une tout autre histoire que
celle des autres années. Jean-Louis refusait bec et ongles de se
séparer de Popol, car tel était le nom qu’il avait donné à
celui qui s’avérait être un petit coq. Le gamin fit une colère
comme seuls les enfants savent faire quand ils ont quelque chose de
précis en tête.
La
situation semblait inextricable pour le chausseur. Comment
s’encombrer d’un jeune coq, surtout si c’est pour le faire
venir dans un magasin peuplé de charmantes poulettes, les jeunes
vendeuses de la maison ? C’était surtout l’endroit où loger le
gallinacé qui posait problème. Une maison en ville, sans jardin ni
cour, n’est pas l’endroit rêvé pour un coq. Un magasin de
chaussures n’est pas prédestiné à pareille cohabitation.
Le
maître-chausseur, dans sa sagesse, décréta que le coq pouvait
vivre dans la réserve à chaussures. Voilà une bonne décision,
d’autant que l’animal en chantant le matin, ne risquait pas
d’éveiller les paires qui dormaient là. De plus, c’était
encore une époque où la chaussure de qualité française était le
plus souvent en vachette, un souvenir de sa ferme natale pour le
brave Popol.
Hélas,
Popol ne l’entendit pas de cette oreille. Il voua immédiatement
une détestation inextinguible pour les demoiselles en talons hauts :
les vendeuses qui faisaient nombreux allers et retours dans la
réserve. Est-ce le bruit des talons sur le béton de l’endroit ou
bien la tenue des vendeuses ? Popol fut pris d’une frénétique
envie de leur piquer les mollets.
Ce
fut naturellement l'effervescence dans le magasin. Les vendeuses,
piquées au vif, menacèrent de se mettre en grève si le coq
continuait ainsi de les harceler. Monsieur père de Jean-Louis ne put
prendre la lourde menace par-dessus la jambe : les faits étaient
suffisamment graves pour condamner Popol à l’exil.
La
sentence tomba, définitive et sans appel. Malgré les larmes, les
cris, le chantage de Jean-Louis, rien n’y fit : le coq
retourna dans une ferme, loin des vendeuses outragées. Il n’était
pas temps d’aller jusqu’en Brenne pour l'exécution de la
sentence. Un oncle avait une ferme à deux pas de là. Jean-Louis se
consola en pensant qu’il pourrait aisément retrouver son petit
camarade à la crête rouge.
Hélas,
mille fois hélas, il n’en fut rien. L’oncle appliqua le terrible
principe de la double peine. Le coq n’eut pas le temps de prendre
ses marques dans cette nouvelle basse-cour d’autant que son arrivée
avait déclenché le courroux du coq dominant de l’endroit. Les
plumes avaient volé quelquefois et, las de ces batailles furieuses
de coqs, l’oncle fit un coq au vin pour éliminer le gêneur.
Jean-Louis
eut bien du mal à digérer cette terrible issue. Il se jura de ne
plus jamais manger ce plat et bouda quelques temps les vendeuses.
C’est en grandissant qu’il regarda d’un autre œil ces
demoiselles, promptes à se mettre à genoux devant le premier venu,
et c’est avec une jeune apprentie qu’il apprit à faire le petit
coq. Son père dut intervenir, une fois encore, en lui demandant de
mettre un peu moins d’ardeur avec la petite et un peu d’eau dans
son vin. Décidément, la vie de coq n’est pas aisée au pays des
chausseurs.
Basse-courement
leur
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