jeudi 22 mars 2018

Le coq au vin



Popol, à jamais



Nous allons suivre les pas du petit Jean-Louis, un gamin de la ville, un fils de commerçant : une situation qui vous conduit à vivre dans une maison pleine de visiteurs. Ses parents tenaient un magasin de chaussures et lors des vacances, le garçon était toujours dans les pattes des vendeuses, ce qui, il faut bien l’avouer, leur cassait les pieds.

C’est ainsi que pour laisser tranquilles les virtuoses de la corne à chaussures, Jean-Louis se retrouvait en Brenne, dans la ferme que ses grands-parents avaient confiée à des métayers qui acceptaient avec joie de le recevoir. Il y retrouvait d’autres bêtes à cornes et le bonheur du grand air.

Le petit Jean-Louis n’aimait rien tant que de passer ses vacances loin des odeurs de pieds. Il leur préférait les effluves du tas de fumier, là où il allait fouiller pour y chercher des vers de terre. Il faut dire que la Brenne est réputée pour ses étangs et, en ce temps-là, ils étaient très poissonneux. Jean-Louis était devenu un as de la pêche à la tanche.

Dans la basse-cour, à deux pas de l’étable, poules, canards, dindons et oies allaient en liberté. Quelques coqs montaient sur leurs ergots, histoire de montrer au fils du chausseur qu’ils avaient aussi bien bon pied que bon œil. Jean-Louis n’avait cure des prétentions de la volaille ; c’était avant que notre histoire ne survienne.

Car un jour, le gamin qui avait la paupière lourde décida d’aller faire une petite sieste. Il se coucha parmi les bottes de paille qui, en ce temps-là, avaient la bonne idée de constituer une couche confortable, bien loin des balles rondes d’aujourd’hui. Le gamin était si bénaise, qu’il venait rêver tout autant que se reposer. C’était un autre plaisir de la ferme.

Ce jour-là, la vie de Jean-Paul allait basculer. Un poussin qui avait échappé à la vigilance de sa mère vint se blottir contre le dormeur. Le poussin avait trouvé un ami ; le gamin découvrait l’affection qu’un animal sait parfois accorder à un humain. Naquit alors une amitié indéfectible : partout où l’enfant allait, il était suivi du poussin.

Les vacances furent pour tous deux un grand bonheur. Ils n’étaient jamais l’un sans l’autre. Le poussin avait trouvé dans ce vilain petit canard un compagnon sans pareil, bien plus agréable et inventif que ses camarades de poulailler. Jean-Louis, quant à lui, découvrait la responsabilité de protéger un petit être fragile.

Les grandes vacances arrivèrent à leur terme. Les parents vinrent chercher leur rejeton. Mais là, ce fut une tout autre histoire que celle des autres années. Jean-Louis refusait bec et ongles de se séparer de Popol, car tel était le nom qu’il avait donné à celui qui s’avérait être un petit coq. Le gamin fit une colère comme seuls les enfants savent faire quand ils ont quelque chose de précis en tête.

La situation semblait inextricable pour le chausseur. Comment s’encombrer d’un jeune coq, surtout si c’est pour le faire venir dans un magasin peuplé de charmantes poulettes, les jeunes vendeuses de la maison ? C’était surtout l’endroit où loger le gallinacé qui posait problème. Une maison en ville, sans jardin ni cour, n’est pas l’endroit rêvé pour un coq. Un magasin de chaussures n’est pas prédestiné à pareille cohabitation.

Le maître-chausseur, dans sa sagesse, décréta que le coq pouvait vivre dans la réserve à chaussures. Voilà une bonne décision, d’autant que l’animal en chantant le matin, ne risquait pas d’éveiller les paires qui dormaient là. De plus, c’était encore une époque où la chaussure de qualité française était le plus souvent en vachette, un souvenir de sa ferme natale pour le brave Popol.

Hélas, Popol ne l’entendit pas de cette oreille. Il voua immédiatement une détestation inextinguible pour les demoiselles en talons hauts : les vendeuses qui faisaient nombreux allers et retours dans la réserve. Est-ce le bruit des talons sur le béton de l’endroit ou bien la tenue des vendeuses ? Popol fut pris d’une frénétique envie de leur piquer les mollets.

Ce fut naturellement l'effervescence dans le magasin. Les vendeuses, piquées au vif, menacèrent de se mettre en grève si le coq continuait ainsi de les harceler. Monsieur père de Jean-Louis ne put prendre la lourde menace par-dessus la jambe : les faits étaient suffisamment graves pour condamner Popol à l’exil.

La sentence tomba, définitive et sans appel. Malgré les larmes, les cris, le chantage de Jean-Louis, rien n’y fit : le coq retourna dans une ferme, loin des vendeuses outragées. Il n’était pas temps d’aller jusqu’en Brenne pour l'exécution de la sentence. Un oncle avait une ferme à deux pas de là. Jean-Louis se consola en pensant qu’il pourrait aisément retrouver son petit camarade à la crête rouge.

Hélas, mille fois hélas, il n’en fut rien. L’oncle appliqua le terrible principe de la double peine. Le coq n’eut pas le temps de prendre ses marques dans cette nouvelle basse-cour d’autant que son arrivée avait déclenché le courroux du coq dominant de l’endroit. Les plumes avaient volé quelquefois et, las de ces batailles furieuses de coqs, l’oncle fit un coq au vin pour éliminer le gêneur.

Jean-Louis eut bien du mal à digérer cette terrible issue. Il se jura de ne plus jamais manger ce plat et bouda quelques temps les vendeuses. C’est en grandissant qu’il regarda d’un autre œil ces demoiselles, promptes à se mettre à genoux devant le premier venu, et c’est avec une jeune apprentie qu’il apprit à faire le petit coq. Son père dut intervenir, une fois encore, en lui demandant de mettre un peu moins d’ardeur avec la petite et un peu d’eau dans son vin. Décidément, la vie de coq n’est pas aisée au pays des chausseurs.

Basse-courement leur 

 

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