samedi 3 mars 2018

La belle archère.



Le chevalet de Troie


Il était une fois un arbre mystérieux venu de la lointaine Grèce sans doute et planté quelque part en bord de Loire. C’étaient des voyageurs, marins du commerce de l’étain qui, venus de la Méditerranée avaient fait ce magnifique cadeau aux hommes qui les recevaient si bien à leur passage. C’était encore une époque où les différences ne devenaient pas source de méfiance et plus encore. L’arbre offert en guise de remerciement fut vénéré comme il se doit, il grandit, il prospéra au pied de la rivière.

Une vieille femme, Irène, un peu sorcière, guérisseuse et dotée de connaissances mystérieuses aimait à converser avec l’arbre. Chaque matin, elle venait tout près de lui, psalmodiait d’étranges chansons. On la laissait faire, on savait qu’elle puisait là son énergie et les secrets qui lui permettaient de guérir ses semblables. Cet arbre lointain avait la réputation de régénérer les êtres, son écorce ne se changeait-elle pas, elle aussi par grandes plaques ?

Les intrépides visiteurs revenaient parfois, offraient une amphore de vin et aimaient à venir discuter au pied de l’arbre. C’est ainsi que les gens du pays apprirent que l’arbre était un Platane, qu’il avait servi à la construction du cheval de Troie. Ils écoutaient subjugués cette formidable odyssée, cette histoire qu’ils suivaient ainsi de visite en visite des voyageurs du Levant.

Plus le temps passait plus l’arbre était honoré dans ce pays ligérien. Irène lui parlait, affirmait qu’il avait une âme, pleurait souvent en restant de longues minutes tout contre lui. Elle ne pouvait expliquer la chose, elle avait une intuition, elle sentait des vibrations magnifiques, elle était persuadée qu’un génie habitait dans les profondeurs de sa sève.

Tout sorcière qu’elle était, Irène était une bonne âme, un jour, elle recueillit Violine une jeune orpheline, une belle demoiselle que personne n’avait remarqué, tant la misère, la crasse, la faim et ses vieux oripeaux l’avaient dissimulée au regard des autres. Soignée, nourrie, réconfortée, habillée grâce aux bons soins d’Irène, la beauté de la jeune fille apparaissait à tous comme une évidence.

La Belle se souciait peu de la parade de tous les jeunes gens de l’endroit. Elle aussi vouait une passion au bel arbre, l’enlaçait comme une amante peut le faire de son amoureux. Les hommes en étaient jaloux puis petit à petit la prirent pour une folle et s’éloignèrent d’elle. Elle s’en moquait, elle passait des heures à chanter divinement bien au pied de son arbre. Tous les oiseaux du pays venaient de poser sur les branches du platane pour écouter la voie cristalline de la belle.

Un jour pourtant son monde bascula. Un vieux menuisier vint et observa attentivement le végétal. Il revint de nombreuses fois, toujours à tâter l’écorce, à frapper son tronc. L’homme avait une idée derrière la tête, cela ne faisait pas le moindre doute. La Belle s’en inquiéta, devinant que son ami l’arbre était en danger.

Violine promit de se donner au menuisier pour peu qu’il épargnât l’arbre. L’homme hésita longuement tant l’alternative qui se présentait à lui était de nature à troubler le séducteur qui sommeille en tout mâle. Il fit quelques approches, profita de la situation pour prendre quelques avances sur ce don qui se présentait à lui sans n’avoir encore fait la moindre promesse. Cependant les préliminaires donnèrent lieu à des manifestations étranges, l’arbre tremblait, les oiseaux criaient, les feuilles tombaient. Il y avait maléfice dans tout ça.

Le menuisier se retira, jurant de revenir abattre le platane lors de sa prochaine visite, laissant Violine effondrée et sans courage au pied de son arbre. Quelques jours plus tard, il revint, flanqué de bûcherons pour commettre l’irréparable. On n'abat pas un arbre, on l’assassine, Violine sentait confusément la chose. Elle tremblait de tout son être, incapable de supporter le crime qui allait être commis devant elle. Ses lamentations, ses cris, ses plaintes, rien n’y fit et le platane se retrouva au sol en un sinistre et lugubre grincement.

Irène avait assisté impuissante à ce drame qui se déroulait sous ses yeux. Il n’était pas en son pouvoir d’infléchir la volonté d’un homme. Elle ne put que jeter des potions sur l’arbre à terre, le plaçant ainsi sous la protection de puissances mystérieuses. Le menuisier se moquait bien de ce qu’il prenait pour simagrées et superstitions de vieille folle. Bien mal lui en prit car quand il voulut emporter le gisant, il fit venir des chevaux de trait. L’un deux se cabra, pris d’une frayeur irrépressible et tua l’homme sans coup férir.

Violine ne s’en consola pas pour autant. Son arbre était à terre, elle ne pouvait s’en remettre. Elle voulait tant qu’à faire que son sacrifice fut utile, qu’un objet naisse de son bois afin qu’elle en conserve éternellement un souvenir. C’est un luthier qui se présenta à elle, plus touché semble-t-il par la beauté de la demoiselle que par le sort du végétal. Il lui promit de débiter le platane, de le laisser sécher longtemps et d’en tirer un instrument de musique unique, rien que pour elle en gage de son amour.

Bien des années plus tard, le luthier se décida à créer ce qu’il avait promis à Violine. Il éprouvait ce désir fou de la conquérir et voyait dans ce projet la seule possibilité de parvenir à ses fins. Il fit tant et si bien que sous ses mains expertes, se façonna le plus bel instrument qu’on n'ait jamais vu. Influencé par l’anecdote du Cheval de Troie l’homme imagina que des crins de chevaux tendus sur un archet viendraient tendrement caresser les cordes de son instrument. C’était sans doute un message qu’il voulait envoyer à une Violine, toujours plus séduisante.

Il se mit à l’œuvre, multipliant les prodiges, réalisant sous les yeux ébahis de la demoiselle, le plus délicat, le plus fragile, le plus élégant des instruments à corde. Quand il eut achevé son chef d’œuvre, il le tendit à la belle en lui disant : « Tenez, ceci est mon cadeau, je vous l’offre pour que vous acceptiez de devenir mon épouse ! » Irène assistait à la scène, le sourire aux lèvres, elle avait bon espoir que Violine accepte afin de partir enfin tranquille pour l’autre monde.

Violine, surprise tout autant qu’intriguée, demanda à prendre l’instrument inconnu. Elle attrapa l’archet et se mit en quête d’en comprendre le fonctionnement. Personne ne sut comment elle fit, mais il était évident qu’elle était portée par la grâce, par un souffle mystérieux lui permettant de maîtriser l’instrument et d’en faire naître la plus douce des mélodies.

C’était si beau que le luthier tomba à genoux à ses pieds, qu’Irène était en larmes, que les oiseaux de tout le voisinage vinrent s’assembler autour d’eux pour écouter la musique céleste. Violine elle-même semblait totalement dépassée par ce qu’elle produisait. Chose plus étonnante encore, plus elle jouait, plus c’était beau, et plus au bord de la Loire, des arbres semblables à celui dont avait été tiré le bel instrument sortaient de terre.

Un alignement de platanes était né au son du premier violon jamais conçu au monde. Le vent s’engouffra dans leurs branches, les oiseaux s’installèrent sur leurs cimes pour accompagner la douce musique qui naissait sous l’archer de Violine. La nature semblait se mettre au diapason. Tout en jouant, Violine se mit à chanter, comme elle le faisait autrefois au pied de son cher arbre. Elle déclara son amour au luthier qui avait su redonner vie à son cher platane de la plus belle des manières.

Ils se marièrent, firent de nombreux autres violons tandis que toujours, en cette bonne ville, on prit grand soin des platanes. L’histoire s’est perdue dans la nuit des temps, elle revient soudainement à la surface car un homme veut abattre les platanes. Qu’il se méfie, d’autres prodiges peuvent advenir, les sorciers ont plus d’une corde à leur archet, Irène est toujours présente dans l’âme des arbres de la ville.

Musicalement sien.


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