jeudi 20 mai 2021

En bordée marinière

Souvenirs inavouables




Il fait nuit et froid sur les quais déserts de Gien. Trois personnages interlopes sont en quête d'une table et éventuellement d'un contact batelier. La ville est un port accueillant, les Fils de Galarne, la confrérie locale, portent haut et fort la tradition ligérienne. Ils ont redonné ses lettres de noblesse à la culture marinière. Leurs chansons ont fait le tour du fleuve. Il y a bien dans le lot quelques bonnes âmes disponibles pour nous ouvrir un bouchon !


Nous marchons dans les rues. Notre allure fait se retourner les rares passants. Nous n'avons pas, loin de là, le costume traditionnel. Pas de chapeau ni de belle chemise blanche, pas de veste ni de pantalon côtelé. Nous avons adopté le mode de l'oignon, multipliant les couches. Nous sommes « afistolés » comme des « traîneux », des trimardeurs. Nous sommes en odeur de « crasseté ».


Qu'importe nos mines patibulaires, nous avons bien l'intention de trouver bonne table accueillante à notre envie furieuse de repas chaud. Tout en cherchant la bonne adresse, le portable de Bertrand cherche un homme de quart sur le port. Il ne tarde pas à trouver oreille chaleureuse. «  Venez donc boire une bouteille de Chinon à la maison ! » Voilà une réponse qui réchauffe des marins pour peu de temps encore frigorifiés …


Nous accostâmes chez Jean-Michel, guitariste émérite, bon vivant et gourmet, amateur des vins de Chinon au point de s'en faire le chantre sur toute la vallée. Il appelle son alter ego de la bordée merveilleuse « Coco» le poète de la troupe. La soirée va prendre des allures déraisonnables ! Deux bouteilles succombent à notre premier contact.


Nos deux amis ne peuvent nous laisser partir ainsi. Le marinier giennois est un bon compagnon. Il n'est pas question de laisser filer les marins de passage. Ils nous accompagnent vers une bonne table réservée par leurs soins. Le « Régency » est l'une de ces tables à la cuisine maison qui fait encore honneur à notre gastronomie. Pas de produits sous vide ni de préparation au micron-onde, le chef fait tout lui-même avec le souci de la qualité et des assemblages.


Le verbe de la troupe est un peu haut. Les tables voisines ne s'en offusquent pas. Il faut reconnaître qu'il n'est pas banal d'entendre déclamer du Baudelaire dans un restaurant. « Coco », mémoire intarissable nous sidère par sa connaissance des « Fleurs du Mal ». Puis c'est vers Bernard Dimay qu'il va naviguer avec le même talent de comédien. Son œil brille de sa gourmandise des mots.


C'est naturellement vers la toue cabannée que nous conduiront nos pas de noctambules rassasiés. Jean-Michel a pris sa guitare, le duo va nous faire son numéro. Quel bonheur ! Quelle truculence ! Quel plaisir à donner ainsi sans se soucier de l'heure ni du froid ! Notre troupe s'est gonflée de deux jeunes gens qui ont senti que ce groupe de personnes bien plus âgéés qu'eux avaient de la ressource festive. Ils ne furent pas déçus ….


Jusqu'à bien tard, dans notre caverne, retentirent des chants mariniers. Il y avait là un bel ensemble de trognes colorées, de verres vidés, de bonheur partagé. Nous vivions l'une de ces belles soirées qui se passent de manière impromptue. La spontanéité lui donne une dimension inégalée. Nous en avons oublié notre fatigue !


Il faut bien finir par nous séparer. Il est fort tard et demain, chacun a à faire. Nous nous séparons à regret, nous jurant bien de reprendre le fil de cette conversation enchantée lors de la prochaine Saint Nicolas. Nous laissons partir nos duettistes à regret pour nous calfeutrer dans notre taverne. La nuit sera courte.


Mes camarades ne voulaient sans doute pas que la fête s'achève ainsi et toute la nuit, ils m'ont gratifié d'un concert de ronflements tonitruants. Je finis par trouver à mon tour la clef des songes en espérant que la journée du lendemain soit aussi riche d'émotions que celle-ci ..


Bacchanalement vôtre.


 

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