mercredi 2 septembre 2020

Une histoire qui monte au nez


Moutarde d’Orléans et d’ailleurs



Orléans, son vinaigre et sa moutarde, une histoire semble-t-il indissociable. Au risque de provoquer le courroux des moutardiers de souche, ce mariage d’amour n’est pas aussi ancien que l’on veut bien le dire. L’antériorité Dijonnaise est incontestable et longtemps Tours et Angers tirent en bord de Loire leurs condiments du jeu.

La fabrication de la moutarde d’Orléans remonte en 1580, lorsque les Vinaigriers-Moutardiers, discrédités par la contrefaçon, demandent au Roi que leur profession soit reconnue et régie par des procédés stricts de fabrication. Ceci afin d’éviter toutes fraudes et abus permettant la distribution de produits « non bien faits et de qualité médiocre ». Convaincu du bien-fondé de leur démarche, le Roi signe alors en Juin 1580 les lettres patentes homologuant le métier de Vinaigrier-Moutardier fixant les règles d’élaboration pour obtenir l’appellation d’Orléans.



La moutarde d’Orléans se fabrique à partir d’excellents vinaigres, celle de Dijon est issue du verjus : le pressage des mauvais grains de raisins tandis qu’à Tours, Bordeaux et Angers, c’est le moult de raisin qui en fut la base. Il faut ajouter à cet excipient des graines de moutardes blanches et de la fleur de sel.

La fabrication artisanale suppose l’utilisation d’une véritable meule de pierre afin de respecter le broyage des graines de moutarde. La moutarde existe depuis l’Antiquité. Les Romains, Grecs et Egyptiens cultivaient la moutarde pour rehausser le goût de leurs plats. Ce n’est d’ailleurs qu’au XIII° siècle que la moutarde apparaît en France. Elle était fabriquée à l’origine essentiellement dans des régions vinicoles.

La moutarde est fabriquée à partir des graines qui peuvent être broyées ou non. Lorsqu’elles sont broyées, elles dégagent une molécule qui, au contact des cellules sensorielles de la bouche, donne un goût piquant. Les mots moutarde et sénevé feront simultanément leur apparition dans le français du XIIIe siècle. Le mot moutardier apparaît pour la première fois dans le registre de la taille royale de Paris en 1292, tandis qu’une ordonnance de 1351 autorise les marchands à avoir des poids. Moutardiers et Vinaigriers sont toujours associés dans le commerce des épices et des aromates, dont la cuisine du Moyen-Âge est aussi friande que la cuisine romaine.

Rabelais est un grand amateur de moutarde ce qui explique peut-être la truculence de ses écrits. Gargantua a un penchant évident pour cet accommodement, et Pantagruel se fait expliquer par le Roi qu’au pays des Andouilles « en bien peu de temps les navrées guérissent et les mortes ressuscitent » grâce à la moutarde.

Dans l’histoire, la moutarde symbolise la richesse, le raffinement et le plaisir. Les moutardes fines et aromatiques proposent une infinie variété de goûts et de procédés de fabrication. Le commerce des moutardiers-vinaigriers « tous roulant leur brouette » est florissant, comme en témoignent les armoiries de la corporation « D’argent à une brouette de gueule sur laquelle est un baril de sable cerclé d’argent. »

La moutarde de Dijon entre dans la légende en 1383, lorsque Charles VI, roi de France, fait appel à Philippe le Hardi, Duc de Bourgogne, pour aller porter secours au Comte de Flandres assiégé. Il rassemble une armée de 1 000 hommes, et pour financer celle-ci, décide de prélever une dîme auprès des puissants marchands de sénevé (nom de la moutarde de l’époque). Il livre et gagne la bataille de libération.

En rentrant à Dijon, il s’écrit "Moult me tarde de rentrer à Dijon", inscription qui est brodée sur le drapeau du cortège. Mais en arrivant à Dijon, le drapeau flotte au vent et un pli masque le "me". Les dijonnais voient de loin le drapeau et s’écrient "l’armée des moutardiers arrive". Reconnaissant, Philippe le Hardi autorise les fabricants de sénevé à devenir moutardiers et à utiliser les armes de la Bourgogne sur leurs produits.

Si ce sont les Romains qui importèrent dans les Gaules l'usage de la moutarde de table, celle-ci se trouva fort à son aise dans la cuisine locale. Elle s'y trouva d’autant mieux que la vigne, mère du vin et grand-mère du vinaigre et la moutarde s’unirent pour le meilleur et jamais pour le pire. Et comme les graines de moutarde y poussaient naturellement en abondance, l’adoption pouvait se faire
Le mot «Moutarde» viendrait du latin Mustum Ardens qui signifie moût brûlant parce que les Romains délayaient les graines de moutarde broyées dans du moût de raisin, soit du jus de raisin non fermenté qui donnait une moutarde bien relevée. En celte le mot- Mwstardd – renvoie à sa forte odeur. C'est sous le règne de Saint Louis qu'Étienne Boileau, prévôt des Marchands, accorda aux vinaigriers parisiens le droit de faire de la moutarde. Jusque-là, elle ne s'était fabriquée qu'à Dijon. C'était la seule ville qui eût conservé les procédés de Palladius, fils d'Exuperantius, préfet des Gaules.
Les sauciers reçurent des statuts en 1394. Mais, comme ils se servaient constamment de moutarde et de vinaigre, ils jugèrent plus simple de fabriquer ces produits eux-mêmes. Ils devinrent donc vinaigriers et moutardiers. Louis XII les érigea en corps de métier, et, dans les lettres patentes qu'il leur accorda, ils sont qualifiés de ces titres pompeux : " sauciers, moutardiers, vinaigriers, distillateurs en eau-de-vie et esprit-de-vin, buffetiers ". Les distillateurs, en 1537, formèrent une communauté. Au 17ème et au 18ème siècle, les vinaigriers-moutardiers adjoignirent à leur commerce la fabrication des vinaigres de toilette à l'usage des dames.

L'imagination des vinaigrier-moutardiers a permis l'échantillonnage que l'on connaît aujourd'hui. La gamme des moutardes était très riche au 18ème siècle. Aujourd'hui, on constate un renouveau dans cette incroyable capacité de la moutarde de s’accorder avec une multitude de produits.
En 1765, le vinaigrier moutardier du roi, le sieur Maille proposait : moutarde en poudre, moutarde rouge, moutarde fine aux câpres et aux anchois, moutarde à l'ail, à la capucine, au citron, à la Choiseul, à la Choisy, à l'estragon, à la conserve, aux fines herbes, à la grecque, à la maréchale, à la marquise, à la reine, à la romaine, aux millefeuilles, aux mousserons, à la ravigote, aux six graines, aux truffes... Rien que ça.

Il y eut aussi la moutarde impériale, la moutarde au champagne, l'aromatique, la balsamique, la moutarde aux champignons, aux oignons, à la persillade, la moutarde à la rocambole, la parfumée, la moutarde à la rose, à l'italienne, à la vanille, que sais-je encore ?


La moutarde d'Angers, au contraire, était liquide et s'expédiait dans de petits barils. Elle était également fort renommée. C'est vers le 17ème siècle que Dijon s'avisa de vendre également de la moutarde liquide. On faisait aussi de bonnes moutardes avec du vinaigre, et c'est une des raisons pour laquelle la ville d'Orléans, qui produit des millions d'hectolitres de vinaigre, se mit à fabriquer de la moutarde en grande quantité.
Ainsi donc pour éviter que la moutarde vous monte au nez, prenez bien soin d’avoir chez vous des produits venus d’Orléans et de Dijon pour ne vexer personne.



Moutardement vôtre

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