lundi 21 septembre 2020

La main verte.

 

Heureux ceux qui cultivent leur jardin.




Le monde semble divisé en deux camps imperméables l'un à l'autre : ceux qui ont la main verte et le sourire aux lèvres et les autres : les pauvres diables qui ne font rien pousser. Je sais, il suffirait de prendre des gants, surtout s’ils sont achetés dans une grande jardinerie, pour passer la main du côté de la bonne couleur. Mais l’illusoire ne trompe personne, surtout pas une plante qui a des racines.


Le jardinier en herbe a ce privilège rare de faire sortir de terre tout ce qu’il veut. C’est un don de ciel qui s’exprime au ras de la terre. C’est encore le fruit d’un travail acharné, diront ceux qui vouent une passion sans mauvaise herbe à leur petit bout de terrain. Je n’ai jamais eu la chance d’avoir un tuteur pour m’indiquer la voie à suivre ; seuls quelques radis ont accepté un jour de me faire plaisir et de pointer leur tête à la surface de la terre.


Leur goût piquant me rappela bien vite à ma triste condition. Je n’avais et n’aurais jamais la main verte. Il était préférable que je la passe et confie à plus expert que moi cette culture qui réjouit la vie et la table. Il faut cultiver ses différences et la mienne me poussait vers les étals des marchands de quatre saisons bien plus que vers ces quelques arpents qui vous plient le dos.


J’aime les jardins quand ils sont chez les autres. Je suis curieux de leurs légumes rares et de leurs essais botaniques. J’admire leur patience et leur dévouement aux causes légumières et florales. Je participe à leur enthousiasme dès qu’il s’agit de méthodes alternatives à l’industrie phytosanitaire. Mais de là à prendre le manche de pioche ou de binette, à sarcler, piquer, désherber, il y a un fossé qui n’irrigue guère que mes conversations.


Même dans ma maison, la plante verte change de visage, se ternit, se rabougrit avant que de sombrer dans une neurasthénie pitoyable. Je ne dois pas lui octroyer ce supplément d’amour qu’elle exige pour s’épanouir et s’embellir. Les seuls pots qui se sentent à leur aise sont ceux que je partage avec mes amis, un verre à la main. En ce domaine mon réseau d’irrigation fonctionne à merveille !


Ne pensez pas me conter fleurette à mon balcon. Là encore, point de trace végétale. La jardinière a déserté les lieux. La greffe n’a pas pris, ni bouturage ni marcottage n’auront raison de mon obstination à ne rien faire pousser. Même les vers de terre ont abandonné mon compost à son triste sort. Il se sait inutile, le fumier, et macère sa rancune à l’ombre d’une haie.


C’est d’ailleurs le seul lien que je conserve avec le règne végétal : une haie hirsute, irrégulière, vieille et souffreteuse que je vais devoir tailler pour sauver les apparences. Une armée de sécateurs n’y suffira plus, il faudra l’attaquer à la tronçonneuse tellement elle a mauvaise mine. Je n’ai ni la main ni la haie vertes. Le marron domine la question …


Je me prépare à l’épreuve. Je redoute ces heures à me bagarrer avec le bois récalcitrant, le déchet abondant, la coupe maladroite, la blessure menaçante. Je suis un urbain en dépit de tout ce que je peux raconter. Mon rapport avec la nature ne supporte pas une proximité active. Je ne fais que l’admirer sans jamais mettre la main à la pâte.


Je passe une nouvelle fois la main. Je préfère me mettre en cuisine et laisser agir les virtuoses du taille-haie, les princes du sécateur, les rois de la faucille. Eux, ils sont marteaux, ils vouent un amour sans borne au végétal, moi, je ne l’aime qu’en cocotte, en soupes et en crudités. Nous n’aurons jamais la même manière de penser. Je m’arrache les cheveux à l’idée de devoir enfiler des gants pour couper au cordeau ma pauvre haie. Je déteste les alignements rigoureux ; j’aime ne rien faire pour contrecarrer celle qui me sert de clôture végétale !


Vertement vôtre.


 

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