lundi 14 septembre 2020

Le bon pain.

 

Séparons le bon grain de l’ivraie.




Alors que dans nos grandes villes se multiplient les officines vendant du pain à grande échelle tout en prétendant être de joyeux artisans qui mettent scrupuleusement la main à la pâte, il me vient l’envie de célébrer le bon pain : celui à la croûte craquante, qui reste présentable le lendemain et qui a du goût sans l’apport douteux de graines, fruits et autres ingrédients, tous plus surprenants les uns que les autres, pour faire grimper le prix et redescendre le plaisir gustatif.


Le bon pain a de la tenue. C’est d’ailleurs là sa qualité première. Il ne cède pas à la mode du tout mou, de l’insipide, du spongieux que nous impose un diktat venu d’outre-Atlantique. Il nécessite, c’est là son défaut, d'avoir de bonnes dents. Mais accordons-lui le droit de subir le trempage au petit déjeuner ou dans la soupe si, par malheur, vous n’aviez pas la dent dure.


Le bon pain a de la couleur. Fuyez donc les pains pâles, incolores, tristes et moroses. Je frémis à chaque fois que j’entends dans la file d’attente :«Pas trop cuit, je vous en prie ! » Autant aller se réfugier dans le monde sous plastique des pains de mie qui ne sont pas mes amis. Le pain doit démontrer son amour du four ; il doit porter en lui quelques traces de ce combat, mené avec le bois qui lui a donné des teintes en lesquelles on puisse avoir confiance.

 



Le pain est dense. Sa mie ne fait pas semblant d’occuper l’espace. Elle s’impose, se gonfle de sa majesté, accepte quelques bulles qui démontrent sa vigueur et le travail d’un levain qui sait se tenir. Elle a de jolis reflets et ne se donne pas entièrement à un blanc de pacotille. Elle aime se teinter de gris, de brun, de jaune et ne se refuse jamais à d’autres céréales ni au sarrasin, ce faux frère jumeau.


Le pain fleure bon ou bien il n’est qu’un ersatz de fripouilles habillées de blanc. Il est issu des meilleures farines :celles qui n’acceptent pas de subir les traitements honteux de céréaliers indignes qui font pousser la graine à coup de produits toxiques. Il convient de ne pas fréquenter les farines douteuses ; le pain réclame de la qualité en toute chose et surtout pour sa matière première.


Le pain a ses pudeurs également. Refusez donc la théatralisation du four en devanture. À supposer vraiment qu’on y fasse réellement du pain destiné à la vente, demandez-vous si la pâte supporte aisément les courants d’air, si l’hygiène y est garantie, si le travail, sous le regard de la clientèle, est acceptable et agréable. Le pain doit se maturer dans le secret du laboratoire et ne pas jouer les vedettes sous le regard amusé de curieux en goguette.

 



Le pain enfin se plaît dans les mains d’une vraie boulangère. Il a besoin de passer en douceur de sa boulangerie à votre domicile par une joyeuse transaction. La dame saura vous parler de la pluie et du beau temps, prendra des nouvelles du petit dernier et surtout vous calculera de tête le montant de la commande. Refusez donc les boîtes à pain où la vendeuse ou le vendeur est incapable du moindre calcul mental. C’est un pain sans tenue que celui qui exige la retenue électronique.


Le pain est enfin un métier à part entière. Il exige temps et formation, patience et amour. Si votre boutique multiplie les offres de vente, c’est qu’il y a un doute sur la qualité de sa fonction première. Repoussez ceux qui font de la restauration rapide : ce sont des marchands de fric. L’épicerie n’est guère plus compatible avec le métier . Seule la pâtisserie peut justifier une double toque, à condition qu’elle ne soit ni pompeuse ni prétentieuse.


Le bon pain a besoin d’une vraie boulangerie. Éloignez-vous donc de ces grosses boutiques rutilantes. On veut vous pétrir pour que vous y dépensiez le plus d’argent possible. Ce sont des margoulins qui tiennent pareil endroit. Le bon pain se vend à prix raisonnable ; les prix fantaisistes relèvent de la grivèlerie organisée par des bandits qui veulent vous mettre le nez dans la farine. Seul le petit artisan vous prépare amoureusement du bon, du vrai, du goûteux pain comme autrefois, servi sans artifice d’emballage et à un prix raisonnable.


Panificationnement vôtre.


 

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