La Loire en fil conducteur.
C'est à l'heure du laitier et du petit déjeuner que notre héros est né. On ne peut faire mieux pour celui qui allait avoir un merveilleux destin précisément autour de cet instant si particulier. Nous sommes le 11 février 1825, le petit Auguste voit le jour à six heures du matin. Il est le dixième enfant d'une modeste famille d'agriculteurs. Il n'a pas très bonne mine le gamin ; il ne sera jamais paysan, trop frêle, trop malingre ; il aura ainsi le rare privilège d'aller à l'école.
Nonobstant, Auguste ne va pas user très longtemps ses culottes courtes sur les bancs de l'école. Il faut dire que ça coûte un franc cinquante par mois à ses parents. Il n'y reste que trois années. Chaque matin d'hiver, le gamin quitte sa ferme de La Borde : une métairie, pour se rendre, une bûche sous le bras, à l'école de Pontlevoy, trois kilomètres plus loin. Mais comme il n'a pas le bonheur d'être d'une famille riche, il lui faut bien vite trouver occupation moins coûteuse. A l'âge de neuf ans le voici donc sur les chemins avec dix sous en poche et son baluchon sur l'épaule. Il se retrouve commis chez un épicier de Bléré en bordure du Cher.
Durant deux ans, il y fait office de grouillot puis s'en va à Blois, déjà, ou pendant quelque temps, il trouve à s'occuper chez un autre épicier. Mais c'est qu'il a de l'ambition ce petit Auguste : voulant voler de ses propres ailes, il décide de monter à la capitale. C'est fort de la recommandation de la duchesse de La Borde : la patronne de son père, qu'il trouve à s'employer chez un épicier parisien Monsieur Leguerrier.
C'est à bord à bord de la « Patache », remontant la Loire jusqu'à Orléans puis empruntant le canal pour se rendre à sa destination qu'il fait ce grand voyage de 24 heures au tarif exorbitant pour lui : 20 francs 25, l'équivalent de deux mois de salaire. Le voici employé dans la magnifique épicerie du "Mortier d'argent" sise rue des Fossés-Monsieur-Le-Prince. Il travaille entouré de thé, café, chocolat et autres épices. Dans cette boutique, un certain Honoré de Balzac s'approvisionne en café et en chandelles qu'il semble brûler par les deux bouts.
Pris alors d'une passion dévorante pour le chocolat, Auguste se mit à le travailler au pilon puis le fabriqua à la main. Il le retire de l'enveloppe du cacao torréfié. Puis après l'avoir étendu sur des claies pour le faire refroidir, il trie les grains, les concasse et en expulse le germe. Le cacao et le sucre étaient ensuite broyés dans un mortier légèrement chaud. Auguste découpait la pâte obtenue en boudins qui, après avoir refroidi à la cave, étaient enveloppés dans du papier d'étain et conservés au sec.
Fermement décidé à devenir chocolatier, Auguste travaille huit années durant chez cet épicier parisien pour économiser l'argent nécessaire à son établissement ultérieur puisqu'il ne peut compter sur l'aide financière de ses parents . En 1847, il quitte la capitale pour retourner en bord de Loire à Blois et ouvrir sa propre boutique ; il a vingt-deux ans, 1 800 francs d'économies et le bonheur d'avoir échappé à la conscription.
Auguste loue un commerce au 68, Grande-Rue, près de l'ancien Carroir du Mal-Assis , pour lequel il signe un bail de neuf ans ! Cette maison qui avait vu naître Robert-Houdin, était placée sous une bonne étoile, entre magie et chocolat, au royaume des éternels enfants ! La ville de Blois hérite ainsi d'un nouveau confiseur ! Auguste embaume la rue. Il travaille de nuit et vend de jour. Les effluves du chocolat chaud arrivent jusqu'à la jeune Pauline, installée quatre maisons plus haut. Cette orpheline âgée de 17 ans, succombe au charme de ce garçon de 23 ans qu'elle épouse quatre mois après son installation.
Pauline, dont les cousins étaient merciers, a la bosse du commerce. Elle encourage son mari à produire du chocolat à son nom et c'est ainsi que le Chocolat Poulain va faire ses premiers pas. Pauline, excellente vendeuse, laisse à Auguste le loisir de produire son chocolat dans son laboratoire. Les fèves de cacao arrivant par la Loire, le sucre également, Blois est idéalement placée pour favoriser l'essor d'une industrie chocolatière.
Pourtant, rien n'est acquis car dans la ville sont déjà établis cinq autres confiseurs et quelques gros épiciers fabriquant, eux aussi, du chocolat, sans compter les nombreux concurrents d'Orléans. Il faut faire sa place et surtout imposer le chocolat comme un produit de plaisir gourmand et non comme une indication médicinale. C'est là l'intuition géniale d'Auguste qui veut imposer le chocolat comme une confiserie ….
Le 25 juin 1850, dans un Journal du Loir-et-Cher, notre ami Auguste annonce la provenance de ses fèves et vante, au moyen de la publicité, la qualité de son produit. Le chocolatier blésois (il se revendique tel et non simple confiseur) utilise le mélange de fèves qui sera considéré comme le meilleur tout au long de ce siècle : un tiers de caraque pour deux tiers de Maragnan. Le succès va tenir à cette formule et à son sens des affaires..
Pauline qui a hérité d'une maison, la vend pour permettre à son amoureux d'acheter une machine à broyer les fèves. Auguste dépose un brevet. Pourtant, le préfet tarde à donner son autorisation : on ne voit pas d'un très bon œil l'exploitation d'une machine à vapeur dans l'alimentation. Cependant Auguste est opiniâtre et, au bout de deux années de combat, il installe son nouvel atelier au 3 rue du Lion-Ferré. La machine est en vitrine, les badauds se pressent pour voir cette bruyante attraction.
La famille tout comme le petit commerce s'agrandit. Augustine naît le 16 décembre 1849, Albert, le 6 février 1851 et Eugénie, le 29 septembre 1855. L'entreprise est constituée de quatre ouvriers. Le chocolat Poulain se fait un nom grâce à Pauline qui décore de belle façon sa boutique et Auguste dont l'imagination est débordante. Les clefs du succès sont en place.
Pauline, bientôt secondée,elle aussi, par une vendeuse Estelle, vend du thé, du café et du chocolat. Auguste est très sensible à la qualité des produits qui lui arrivent par la Loire. La compagnie coloniale lui assure un approvisionnement régulier. Le magasin propose en outre de nombreuses confiseries et sa décoration intérieure invite aux voyages exotiques.
Mais c'est bien sûr le chocolat qui fait le succès de la maison Poulain. Les présentations sont multiples et variées. À celles de ses confrères, auguste ajoute les fameuses "bouchées impériales ». Le succès fait des envieux, Auguste qui est copié par un concurrent peu scrupuleux qui se permet même de vendre moins cher les fameuses bouchées Poulain monte sur ses grands chevaux et fait passer une annonce par voie de presse dénonçant la contrefaçon. Il met en place une nouvelle stratégie qui atteste de son sens aigu des affaires. En voici le texte :
« La MAISON POULAIN, dont les Chocolats ont acquis une si juste réputation, a récemment créé, sous le nom de Bouchées Impériales, un délicieux Bonbon qui n'a pas tardé à exciter la concurrence d'un confiseur de Blois, qui, ne pouvant en égaler la qualité, s'est borné à en imiter la forme, aussi n'est-il pas surprenant qu'il puisse le livrer en raison de sa qualité inférieure, au-dessous du prix de 5 fr le 1/2 kilo établi par la Maison Poulain, qui défie toute concurrence loyale de le livrer à meilleur marché, et qui engage instamment sa nombreuse clientèle à faire la comparaison des deux produits … »
La maison «Poulain» va s'agrandir ; fondant une entreprise qui fera la gloire de la ville de Blois. Auguste sait la valeur de la publicité et de l'image : il fait venir ses fèves par un bateau à vapeur que tous les riverains de Loire identifient. Longtemps après l'arrivée du train à Blois, le vapeur continuera à signaler à tous l'attachement de la maison Poulain à la tradition.
La Loire servira encore de décor à un épisode glorieux. Quand les Prussiens sont à Blois, en 1870, c'est Auguste en personne qui traverse la rivière sur une barque pour aller négocier avec l'occupant. Il se place ainsi comme un notable incontournable dans sa bonne ville dont il va faire la prospérité des années durant. Il sera décoré de la légion d'honneur.
La vie va continuer, de succès en heures de gloire. Auguste quittera cette terre en 1918 quelques heures après l'incendie de son usine qu'il a vendue en 1895. Une fin digne d'un conte de fées comme le fut cette histoire qui n'a besoin de rien de plus pour devenir une fable. Elle s'est déroulée au fil de la Loire et célèbre le génie commercial d'un enfant né dans une famille modeste.
Admirativement sien.