lundi 8 octobre 2018

Pourquoi les poissons font-ils des ronds dans l'eau ?


La géométrie piscicole



    Il était un temps où sur les bords de l'eau quand sautait un poisson ou bien qu'il frayait en belle compagnie, la surface liquide ne laissait rien voir de ces activités qui se voulaient secrètes. L'onde restait uniforme, seules les vagues et les rides du vent marquaient de quelques signes les flots de nos rivières et de nos étangs.

    Pourtant, la gente piscicole ne l'entendait pas de cette ouïe. Bon nombre d'habitants des profondeurs se plaignaient qu'on puisse les ignorer de la sorte à la surface des choses. Ils tinrent un jour grand conciliabule en un lieu tenu secret de notre Loire. À deux pas de la forêt des Carnutes, il n'y avait rien d'extraordinaire que puisse se tenir un congrès de poissons.

    Le brochet, qui se pensait le roi de ces lieux, prit la parole en premier. Il voulait qu'on puisse reconnaître sans l'ombre d'un doute sa marque au dessus de l'eau. Il réclama que tous les hôtes de l'onde apprennent à tracer un triangle pour marquer leur présence. Beaucoup alors de protester véhémentement. Le triangle est une forme complexe qui exige des connaissances en trigonométrie. Pythagore n'avait pas encore fait son trou dans les eaux d'ici !

    La carpe réclama le silence. Elle se dit tout de go qu'un carré ferait tout aussi bien l'affaire, qu'il serait plus simple et bien moins compliqué. Des angles droits et quatre côtés égaux, la mesure lui semblait raisonnable. Hélas, chez les poissons comme pour les hommes, il est bien compliqué d'obtenir l'adhésion générale. Une tanche fit remarquer que les angles risquaient de blesser ceux qui s'y cogneraient. Le carré fut à son tour rejeté à l'eau !

    Une modeste perche voulu tendre la sienne à cette noble assemblée. Elle se félicita d'abord qu'on éliminât les polygones et recommanda qu'on cessât sur le champ d'éviter la surenchère en ajoutant d'autres côtés. Sur le fond, on lui donna raison. Puis elle se réclama d'une figure simple par excellence qui honorait son nom : la ligne. Ses amis de protester véhémentement : «  Où as-tu pêché une telle idée ? ». La suggestion se brisa nette sur cette réplique.

    Sa consœur Arc en ciel eut ensuite droit à la parole. Elle réclama, vous devez vous en doutez, un arc qui diffuserait sur l'eau en s'orientant vers le milieu du fleuve. Tous les autres poissons de faire feu de tous bois contre cette idée saugrenue. « Comment savoir, où se trouve le milieu de la rivière ? » demanda un goujon ? «  Qui déterminera le rayon de courbure ? » s'enquit un vairon plus espiègle que les autres. Vraiment non, voilà un souhait qui part en débandade !

    C'est alors qu'un banc de mulets remontant le fleuve, accompagné comme il se doit sur la Loire de quelques phoques en grande gourmandise, passa à portée de réunion. «  Que faites-vous là, collègues d'eau douce , » s'enquit le chef de la meute. «  Nous tenons grand conciliabule pour déterminer quelle devrait être la marque des poissons au dessus de l'eau » lui répondit une brème qui faisait la planche.


    Pour être mulet, le poisson migrateur n'était pourtant pas un âne. Il eut réflexion prompte et remarque judicieuse. « Vous avez vous même le fin mot de l'histoire. Cherchez, dans ce que vous êtes en train de faire, la réponse s'offre à vous ! ». Puis le malin s'ensauva bien vite accompagné de tout son ban et arrière ban. Les phoques se faisaient pressants, il ne fallait pas traîner en linge d'eau.

    La troupe resta coite quelques instants. Quel était le sens sibyllin de cette énigme muletière. Chacun se perdait en conjectures. Il y eut grand remue méninge au fond de l'eau. Beaucoup d'espèces restèrent bouche-bée ne trouvant plus rien à dire. C'est d'ailleurs de cette journée mémorable de l'histoire des poissons qu'ils ont gardé cette déplorable habitude. Mais ceci n'est qu'une conséquence annexe de notre histoire de Loire.

    La journée allait tourner en queue de poisson quand une ablette à qui l'on ne demandait jamais rien, osa pourtant une petite remarque. « Conciliabule, conciliabule, aurions nous tous une tête de conciliabule ? » La belle en resta-là de cette réplique qui fit fleurette bien plus tard, en toute autre circonstance.

    Mais pour anodine et inutile que fût cette remarque, elle fit écho dans la tête d'un barbeau qui faisait le malin. Mon bon Dieu, mais c'est bien sûr se dit celui-ci en se frappant la nageoire caudale... Nous avions la réponse sous les yeux et nous étions incapables de la voir. Quel bande de harengs nous sommes !

    Les autres de s'impatienter tout en trouvant fort déplacée cette remarque désagréable sur un poisson qui ne mettait jamais une nageoire dans la Loire. « Parle, puisque tu es si malin ! » lui enjoignit le brochet qui avait une envie folle de l'avaler tout cru. Le Barbeau voyant sa dernière heure arrivée, ne demanda pas son reste et hurla à la noble assemblée « Bulles mes amis, ce sont des bulles et donc des ronds dans l'eau que nous devons faire ! »

    Depuis ce jour, sur la Loire d'abord puis, la mode ayant séduit les poissons de tous les autres rivages, nos amis dans l'eau signalent leur présence par de magnifiques cercles qui se propagent comme une onde sur l'onde pure à la vitesse théorique de 341 m la seconde.

    Je vois bien que cette histoire ne semble pas vous convaincre. Méfiez-vous cependant de ne pas rester comme deux ronds de flan. Vous pourriez à votre tour, faire comme notre ami le pape et ses compagnons piscicoles, des bulles à longueur de journée.

    Rondement leur.


   

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