La
pluie fait des flaquettes.
Le
temps est maussade, le ciel chagrin. Du matin au soir, en
dépit du calendrier, les
larmes du ciel vous laissent enfermés dans votre mauvaise humeur.
Vous tournez en rond dans un appartement trop petit, une maison trop
sombre. Il vous faut de l'espace, briser cette boule d'oppression, ce
maudit été qu'on
nous promet pourri.
Ne
craignez point de vous salir, osez vous mouiller, affronter les
éléments en colère, brisez la chape de plomb, marcher sous la
pluie. Mettez des vêtements adaptés, chaussez-vous de solide et de
confortable brodequins, ouvrez la porte et posez vos pas dans les
flaques qui s'ennuient de vous.
Marcher sous la pluie c'est se démarquer de ce conformisme moderne
qui interdit de sortir affronter ces diaboliques précipitations. La
rue ne sera que pour vous, les rares passants sont des automobilistes
mal garés qui se précipitent vivement vers un intérieur sec ou se
font un délicieux plaisir de vous asperger en une gerbe majestueuse
tout autant qu'irrespectueuse.
Vous
allez d'un pas ferme, vos pieds proposent une drôle de musique qui
se joue des différentes structures du sol. Sur le pavé, des petites
mares qui éclatent à votre passage. Sur les graviers, le crissement
est atténué, sur le bois des passerelles, la glissade est
assourdie, sur la terre battue, la boue amplifie la succion
gourmande.
La
mélodie des semelles ne s'offre vraiment qu'à ceux qui avancent
tête nue. Capuche, bonnette et autre parapluie sont autant de
barrières au plaisir de la pluie qui coule, du vent qui brûle, des
murmures qui montent. Marcher sous la pluie c'est se donner à une
nature hostile, accepter ses assauts, sentir sa puissance, risquer sa
santé et promettre futres chandelles à un nez qui va au vent.
Vous
avancez, vous glissez, vous soufflez, vous dégoulinez mais vous êtes
bien, en liaison directe, en fusion même avec les éléments, en
symbiose avec une nature qui n'en finit plus de remplir rivières et
nappes phréatiques. Le sol est gorgé, l'eau ne parvient plus à
pénétrer, les rues déborder, les caves se noient. Vous pataugez,
vous éclaboussez, vous vous salissez, la marche vous fera oublier
les soucis à venir … La crue centenale est promise à tous, la
septième montée des eaux est imminente.
Qu'importe
demain, chaque pas est une gerbe, un chapelet de marques qui
s'incrustent sur votre pantalon. Vous êtes décoré, chevalier de
l'ordre du marcheur mouillé, de l'humain qui ne se terre pas. La
liberté a un prix, celui d'un lavage complet. Il faudra vous changer
mais le bonheur de celui qui se moque de la pluie qui gifle le visage
et enkyste le printemps est sans égal.
Vous
êtes trempé comme une soupe, le pas ne change pas son allure même
si vos vêtements se font plus lourds, moins souples. Vous êtes
engoncé dans une carapace de tissus qui enserre maintenant chaque
partie de vous même. Paradoxalement, par leur rigidité, vous
abolissez vos vêtements. Vous alles contre vents et marée liquide
tombée du ciel, vous êtes vivant !
Vos
chaussures se font esquif. Vos pieds s'émancipent de la semelle.
Vous devinez un léger glissement, une douce sensation de flottement,
de suspension et de sussion. Il faudrait bien s'arrêter pour souquer
ou essorer, mais le mal est fait et il n'y a plus rien à faire
d'utile. Vous êtes partie prenante de cette eau qui tombe et qui a
trouvé en vous un refuge mobile, un abri à ciel ouvert.
Vous
pressez le pas, il vous tarde maintenant d'arriver au port vous qui
êtes perdu au milieu de cet océan de solitude humide. Non, vous
n'êtes pas perdu, vous savez que derrière une porte, au loin, vous
trouverez vêtements secs, douche réparatrice, boisson chaude et
joues brûlantes. Vous retrouverez confort et chaleur et vous en
profiterez vraiment parce que vous avez affronté la colère
céleste.
Marchez,
marchez sous la pluie aujourd'hui, sous les averses, dans cette
grisaille qui érode le moral, qui enferme vos amis. Marchez Marchez
dans la colère des cieux, au vent, à la nuit venue et communiez
avec cette nature qu'on ne découvre qu'à l'allure du pas de l'homme
qui prend le temps de mettre un pied devant l'autre par tous les
temps y compris sous des trombes d'eau.
Pluvieusement
vôtre.
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