Gymnastique
quotidienne.
Il
faut prendre au pied de la lettre l’expression : « Gymnastique
quotidienne » car écrire est une pratique qui ne suppose guère
de repos. Comme le pianiste fait ses gammes, inlassablement, le
billettiste remplit des lignes. Il est vrai qu’il en a pris
l’habitude à l’école, lui dont l’orthographe irritait à ce
point ses maîtres, qu’il héritait de fastidieuses pages à
remplir. Il se souvient encore de ce redoutable : « Toujours
prend toujours un s » qui lui fit retenir définitivement la
curiosité de cet adverbe et explique peut-être son amour immodéré
pour les mots de cette nature.
Ainsi,
si nous prenons pour acquis l’obligation de toujours mettre son
ouvrage sur le métier, tel le sportif qui ne peut cesser de courir
après sa condition physique, l’écriveur doit aligner des lettres
quand le comptable aligne des chiffres. Chacun a donc son étrange
assuétude qui progressivement se transforme en mode de vie, en
impératif vital. Les doigts se plient à l’exigence, le clavier
consent à se laisser tapoter et l’écran se noircit au fil d’une
pensée incertaine.
L’entraînement
n’est certes pas de même nature que la performance. Rares sont les
textes surgis du néant qui méritent une gloire posthume ; le
plumitif mécanique le sait et ne s’en offusque pas. Parfois, comme
aujourd’hui sans doute, il se contente d’un titre et laisse alors
filer le flot de ses digressions langagières. Le miracle n’a pas
toujours lieu, le texte tombe à plat et le lecteur s’ennuie ou
bien s’enfuit.
Mais
qu’importe, il faut s’atteler à la tâche, ne pas refuser
l’obstacle. Écrire ne supporte ni la suspension ni la page vide.
Chaque jour est un nouveau défi : chaque fois, il convient
d’approcher les cinq mille caractères pour que l’auteur se
persuade qu’il en a un sacré, de chien peut-être, mais bien
trempé dans l’encre sympathique d’une obsession mystérieuse.
Alors, il écrit, glisse les uns derrière les autres des mots à la
queue leu-leu. Il peut ainsi passer du coq à l’âne pourvu que
l’animal en question ait un joli panache.
Écrire
pour ne rien dire, diront ceux qui, justement, n’ont pas compris
qu’écrire n’est pas discourir ni même déblatérer. C’est un
exercice silencieux, un moment de repli en soi, une conversation
intérieure qui ne suppose ni bruit ni perturbation d’aucune sorte.
C’est sans doute pourquoi notre tireur à la ligne se plaît à se
cacher dans un lieu clos, un vide sanitaire et salutaire pour
répondre à l’appel du texte à naître.
Écrire
c’est encore s’amuser des mots, les laisser ricocher sur la page,
prendre d’autres sens et parfois d’autres directions. Le mot à
mot n’est pas satisfaisant, quand le rédacteur manque de souffle,
c’est un bouche-à-bouche avec lui-même qui lui redonnera esprit
et inspiration. Il est probable que le lecteur expire, s’enfuit ;
mais il reviendra la fois prochaine tandis que notre prosateur a
sauvé les apparences en rendant sa copie.
Écrire
c’est encore faire œuvre d’artisan. Le mot devient substrat, la
phrase matière première. Il y a du modelage, du malaxage, du
façonnage, des coupes et des rajouts, des inversions, des
transformations. C’est une belle horlogerie qui se moque parfois de
dame syntaxe, c’est un étrange mécano qui ne tient pas debout,
c’est une tendre glissade vers le rêve ou bien la folie. Il faut
mettre les mains dans le cambouis même si, depuis belle lurette,
l’encre ne vient pas faire tache sur le papier.
Écrire
c’est une course d’endurance avec une ligne d’arrivée qui ne
cesse de se dérober à notre vue. Il faut partir en aveugle, se
montrer sourd aux sirènes extérieures, toucher parfois la grâce et
souvent l’insipide, sentir l’astuce ou bien la pirouette, goûter
à l’aphorisme surgi du hasard et au bout de l’effort, atteindre
ce Graal, le point final qu’on décide de poser là, en rase
campagne.
Écrire,
c’est enfin ne jamais se contenter de la chose. Il y a aura une
relecture, de nouveaux intrus qui se glisseront ici ou là, une
virgule qui ouvre une nouvelle porte, un point virgule qui accorde un
pas de côté, des parenthèses qui veulent faire écho, des
guillemets qui apportent votre voix intérieure. Ce n’est jamais
terminé et ce texte qui se pense achevé aura peut-être la chance,
dans quelques années, de ressortir du placard pour se donner une
nouvelle jeunesse.
Écrire
c’est raconter une histoire ou bien en faire simplement pour le
plaisir, créer des personnages ou des situations, leur donner vie ou
bien encore laisser aller sa colère, son humeur, son enthousiasme ou
ses rancœurs. C’est encore faire du fictif son emploi quotidien,
jouer de l’imaginaire, tromper son monde par des faux-semblants,
des circonlocutions ou des contes avec pour seul salaire, celui de la
satisfaction du lecteur. Il conviendrait d’établir, à côté des
professionnels du parlement, une académie des laborieux de
l’écriture.
Écrire,
c’est enfin redresser les torts, donner de la rectitude à la forme
qu’on nomme orthographe, c’est veiller aux accords (chose
impossible pour celui qui n’est jamais en accord avec lui-même),
pister le genre qui est parfois mauvais, c’est quérir le nombre et
s’accorder sur les concordances. De tout ça, le virtuose de la
dysorthographie, qui tente vainement d’outrepasser son handicap,
confie la tâche à des vigies patientes et bienveillantes ; lui, il
pratique une écriture brute, c’est normal, il est incorrigible !
C’est ainsi, qu’à bout de mots, il laisse le tout en équilibre
sur la fin…
Rédactionnellement
sien.
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