Marie-Madeleine.
Il
était une fois une étrange dame qui s’était mis en tête de
piloter son bateau. Si aujourd’hui, la chose peut paraître
normale, il lui fallut cependant, en cette époque lointaine abattre
bien des réticences, repousser plus encore obstacles et crocs en
jambe pour devenir comme elle en rêvait Capitaine et seule maîtresse
à bord. Pour mener à bien son incroyable dessein, elle dut imaginer
son navire et faire des pieds et des mains pour aplanir toutes les
difficultés qui se dressèrent sur sa route.
Même
si la marine de Loire a montré l’exemple en matière de place
accordée à la gente féminine, il n’en reste pas moins que la
femme à la barre, a ici aussi, bien du mal à être acceptée.
L’égalité entre les hommes et les femmes n’est souvent qu’une
vue de l’esprit qui se fracasse aux mesquineries et au machisme,
quelles que soient les époques et les castes.
Mais
revenons sur la Loire car c’est du moins là le plus grand espoir
de notre belle Marie-Madeleine, une femme opiniâtre qui savait faire
chavirer ses détracteurs en les noyant dans la profondeur
incomparable de ses yeux diaboliques. C’est de cette magie qu’elle
usa pour parvenir à ses fins, ce que femme veut, elle finit toujours
par le concrétiser pour peu qu’elle dispose de solides atouts dans
son jeu d’alouette.
Elle
avait d’ailleurs appris ce jeu de cartes ancestral avec son
grand-père. C’est grâce à lui qu’elle maîtrisait l’art de
la menterie, de la dissimulation ou bien du bluff. Autant de
compétences nécessaires quand on veut mener sa barque sur un long
fleuve in-tranquille. C’est ainsi qu’un beau jour, elle se
retrouva aux commandes de son embarcation, rêve éveillé qui la
comblait d’aise.
Mais
pour Capitaine qu’elle était, elle n’en était pas moins femme
avec ses innombrables qualités pour mener à bien son entreprise
flottante et ses petits travers qui font tout le charme de celles
qu’on aime. Chez elle, il y avait une nécessité impérieuse, un
curieuse exigence, un caprice diraient ceux qui ne la connaissent pas
bien ; la dame devait piloter son magnifique coursier de Loire en
chaussettes, afin de ne point glisser ou plus prosaïquement parce
qu’elle était frileuse..
Ne
riez pas, certains s’affublent d’une longue cape satanique ou
bien d’un grand chapeau de feutre, d’autres se travestissent en
pirates ou en improbables flibustiers. Il se murmure même que
certains se couvrent d’un béret pour raconter des sornettes. Elle
n’avait besoin que de se sentir à l’aise sur le pont dans des
petites chaussettes blanches qu’elle comptait bien tricoter
elle-même. Quoi de plus naturel quand on se prénomme
Marie-Madeleine ?
Mais
voilà que diablerie s’était glissée dans ce désir. La dame
toute marinière qu’elle était n’en était pas moins diablesse,
fée ou bien intrigante. Elle en avait envoûté plus d’un et tous
ceux-là pourront accréditer ce fait. Elle voulait une laine
spéciale, un fil plus inaccessible encore que celui d’Ariane. Elle
qui avait les yeux couleur de rivière, c’est vers le ciel qu’elle
portait ses regards.
L’enchanteresse
s’était mis en tête que s’il y avait des moutons dans le ciel
de cette magnifique Vallée de la Loire, c’est qu’il devait bien
y avoir dans la nue quelques bergères pour filer sur un rouet, la
laine de ses vœux. Je ne sais par quel prodige elle obtint sa laine
magique mais toujours est-il qu’un joli soir de pleine Lune, la
dame pouvait enfiler ses chaussettes venues des nuées et filer sur
l’onde céleste de notre magnifique rivière.
Le
suite est délectable pour peu que vous donniez foi aux légendes et
aux mystères sacrés. Lors de son premier voyage, la Capitaine
Marie-Madeleine se prit les pieds dans la chaîne d’une ancre qui
traînait négligemment sur le pont avant. Elle trébucha, perdit
l’équilibre et tomba dans les flots obscurs d’une Loire qui
était en furie.
Ceux
qui assistèrent à ce drame pensèrent ne jamais la revoir. Pourtant
lors de sa chute, les chaussettes célestes s’accrochèrent à une
maillon de chaîne et se défirent tout au long de la lente et
inexorable chute de leur propriétaire. Ces deux fils fragiles
allaient-ils pouvoir la retenir à la vie et permettre qu’on la
sortit de ce très mauvais pas ? Beaucoup en doutaient quand un
inconnu, un raconteur d’histoires se présenta avec deux aiguilles
d’or. Il se nommait Phil’Dart, un curieux sobriquet hérité de
sa tribu de tisserand.
Phil
se mit en demeure de tricoter sans relâche les deux fils de laine.
Il fit, à la surprise de tous les témoins, non pas des chaussettes
mais une sorte de grand bonnet de laine. Plus ses aiguilles
tricotaient plus le mystère pesait sur ce navire ou la stupéfaction
avait remplacé l’angoisse. Chacun voyait bien qu’il se passait
là quelque chose qui échappait au naturel, à la norme et aux
raisons de la logique humaine.
Quand
son bonnet eut pris forme, qu’il était à quelques mailles d’être
enfin achevé, une forme sortit des eaux accrochée par les deux
autres extrémités de ce que tricotait Phil Dard. Marie-Madeleine
ressortait des flots, ou du moins celle que nous pensions être
encore notre gentille Capitaine. Cependant, elle n’était pas tout
à fait la même, elle semblait couverte d’écailles et à la place
de ses deux jambes, arborait désormais une magnifique queue de
poisson.
La
dame s’était faite sirène le temps de ce plongeon magique. Elle
cacha sa queue de poisson sous le bonnet de laine qui l’avait
ramené à la surface et depuis elle pilote son bateau, faisant
croire à ses passagers qu’il lui faut des chaussettes à ses
petits petons pour conduire une si belle embarcation. Les moutons ne
sont plus au ciel, ils font désormais cortège à la dame en
hérissant la rivière de délicats clapots.
Si
vous avez perdu le fil de mon histoire, n’en soyez pas contrarié.
Il vous suffit de chercher quelque part sur la Loire, la belle
capitaine aux yeux de lumière, d’embarquer avec elle et d’attendre
que la Lune éclaire les flots pour découvrir l’étrange et
sublime métamorphose de Marie-Madeleine, sirène et Dame Liger.
Laineusement
sien.
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