Il
était une fois une jeune nation franque en devenir. Orléans avait
joué un rôle capital en 511, lors du concile qui établit les bases
d’un royaume chrétien. Le miracle du dragon avait installé la
couronne sous le très haut patronage du Seigneur des Cieux ;
tout s’annonçait pour le mieux pour la couronne. Mais à la mort
de Clovis, les querelles de familles et les conflits de successions
éclatèrent au grand jour.
Si ses quatre fils se partagèrent le royaume, ce ne fut pas sans mal
ni arrière- pensées. Clodomir, la vedette locale, prit le titre de
roi d’Orléans, cité importante et conciliaire. De 511 à 524, il
régna sur un vaste territoire incluant Tours, Bourges, Poitiers et
le Limousin. Notre homme épousa Gondioque qui lui donna trois fils :
Thibaut, Gonthier et Cloud. Hélas pour lui, il était contraint à
se faire belliqueux et en conflit ouvert avec ses propres frères et
ces maudits Bourguignons avec lesquels la sauce ne prenait déjà
pas.
Thierry,
fils d’une seconde épouse de Clovis, fut le mieux loti dans le
partage, du fait d’une loi qui donnait la primauté à sa mère,
franque de naissance. Childebert et Clotaire, les fils de Clotilde,
tout comme Clodomir, se partagèrent les territoires de l’ancienne
Gaule. Notre bon roi ligérien perdit la vie dans l’une des
innombrables batailles qu’il livrait contre ses voisins
Bourguignons. C’est en 524, à Vézéronce, dans l’Isère
actuelle, qu’il mourut d’un coup de javelot.
Les
barbares qui venaient de le tuer, avaient reconnu en lui un prince de
sang puisqu’il disposait d’une chevelure qui flottait au vent,
indice peu discret dans le clan de Clovis. La coutume franque, à
l’imitation des pratiques romaines, voulait que les princes ne se
coupent pas les cheveux au sortir de l’enfance. Nous verrons plus
tard que ce détail aura une importance dans la suite de notre récit.
Ses
ennemis lui coupèrent la tête. Le malheureux roi d’Orléans fut
ainsi exposé au bout d’une pique à la vue de tous, sur le champ
de bataille. Cette vision d’horreur coupa les jambes des vaillants
soldats du roi décapité qui abandonnèrent la partie. Une paix,
avantageuse pour les Bourguignons, fut conclue après cet épisode
déplorable.
Moins
d’une année après, le royaume d’Orléans était plus ou moins
annexé par ses deux frères Childebert et Clotaire en attendant que
les enfants du guerrier vaincu fussent en âge de revendiquer leur
royaume. Quelques années plus tard va se nouer le drame qui nous
occupe ici. Les trois fils de Clodomir sont des menaces pour leurs
deux oncles, Childebert et Clotaire. Les gamins sont naturellement
prétendants au trône et peuvent à tout moment réclamer la
gouvernance du royaume de leur défunt père.
Les
oncles se lancent à nouveau dans une guerre contre la Bourgogne,
territoire qui échappe toujours à leur domination. Thibaut, l’aîné
des neveux, est alors âgé de 10 ans quand survint le drame que je
vais vous narrer. Son cadet, Gonthier a tout juste sept ans. Cloud le
plus jeune, sans doute pas plus de cinq ans. La reine Clotilde, leur
grand-mère, est à Paris et voue une grande affection à ses trois
petits-fils. Cela inquiète grandement Childebert, qui semble dans
cette affaire le plus fourbe et le plus scélérat de la bande.
Il
se lance dans un complot qui a le mérite de l’efficacité et porte
le sceau de la trahison. L’infâme demande à sa mère qu’elle
lui confie ses neveux afin de leur restituer le le trône de leur
malheureux père. Clotilde voit dans cette perspective l’occasion
de se consoler de la mort de son cher fils. Elle dit à ses
petits-fils :« Si j’ai l’occasion de vous voir sur le trône de
votre père, j’en oublierai la mort de mon cher fils, votre père »
et, avec moult larmes dans les yeux, elle les confie à leurs oncles.
Aussitôt
les deux oncles mettent hors d’état de nuire les serviteurs des
petits princes. Ils les expédient tout bonnement dans l’autre
monde sans autre forme de procès. Les mœurs de l’époque étaient
expéditives. Ils envoient alors un émissaire auvergnat auprès de
Clotilde : un sénateur du nom d’Arcadius. Celui-ci se
présente devant la veuve de Clovis avec une épée et une paire de
ciseaux en guise de message, parfaitement explicite pour l’ancienne
reine.
Pour
Clotilde le marché est clair. Les ciseaux signifient la promesse de
la déchéance des enfants. Si on leur coupe les cheveux, ils perdent
tout droit à la royauté. L’épée annonce le trépas dans le cas
d’un refus de la grand-mère. Celle-ci, dans un accès de
grandiloquence déclare : « Je préfère voir mes petits enfants
poignardés que de les savoir déchus et tondus ! »
Si
la phrase était porteuse de vaillance et de sens de l’Etat, elle
n'en sonnait pas moins le glas pour les chérubins. Le messager
revint vers les maudits oncles, porteur de la réponse de leur mère.
Clotaire, le plus entreprenant quand il s’agissait de passer à
l’action, jeta Thibaut au sol et lui porta un coup d’épée
mortel à la poitrine. Voyant le trépas de son frère aîné,
Gonthier s’agenouilla devant son autre oncle, Childebert, le
suppliant de lui laisser la vie sauve. Celui-ci ému, mais un peu
tard, eut les larmes aux yeux et faillit céder. Il n’en eut pas le
temps car Clotaire menaça de son arme son frère s’il ne
consentait pas à lui permettre de tuer son autre neveu.
Ainsi,
fou de rage, Clotaire tua le pauvre enfant, abandonné lâchement par
un Childebert aussi pleutre que malfaisant, puisque c’est lui qui
avait conçu ce plan machiavélique. Il restait le plus jeune des
trois qui, par la magie d’ insouciance, n’avait pas perçu la
gravité de ce qui se tramait sous ses yeux. Le petiot était parti
jouer avec des serviteurs tandis que s’était noué le sort de ses
deux aînés.
Il
se trouva dans la domesticité des gens assez courageux pour
soustraire le plus jeune à la furie avunculaire et lui permettre de
se sauver du palais à temps. Pendant sa fuite, l’enfant, de
lui-même, comprenant sans doute ce qui venait de se passer, prit des
ciseaux et se coupa les cheveux. Il renonçait ainsi à la couronne
et cessait d’être un danger pour ses deux oncles.
À
la requête de leur grand-mère, les deux petits cadavres de ses
frères furent placés dans un même cercueil et les enfants furent
inhumés dans la basilique Saint Pierre, sous la conduite d’une
Clotilde particulièrement éprouvée par un crime commis par ses
propres fils. Plus tard, le jeune rescapé prit l’habit
ecclésiastique et vécut dans la mémoire de ce drame et la prière
pour expier à la place de ses oncles.
Il
devint Saint Cloud, un saint de plus dans la tribu de Clovis. Il eut
une vie exemplaire, digne de figurer dans la légende dorée. La
reine Clotilde le rejoignit dans la dévotion et l’exemplarité.
Elle fit assaut de charité et de bonnes actions tandis que ses deux
gredins de fils se partagèrent le royaume d’Orléans.
Ainsi
allaient les querelles de famille et d’héritage en ces temps
lointains. Si les mœurs se sont quelque peu adoucies, elles n’en
demeurent pas moins expéditives et obscures dès qu’il s’agit de
pouvoir. Ne coupons pas les cheveux en quatre ; rien ne nous
permet de nous penser au-dessus de ces pauvres gens. C’est souvent
au fil de l’épée ou bien de la langue, plus qu’en vaines
prières, que se règlent les successions et les élections.
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