La
vérité cachée …
Il
était deux fois....mais commençons par la première comme il se
doit ! Nous sommes sur les bords de Loire, entre Sully-sur-Loire et
Chateauneuf, tout près de Guilly , dans ce lieu magnifique qu'on
nomme « Bouteille ». Une tuilerie majestueuse domine la
levée en un lieu où les eaux de la rivière s'engouffrent sous la
terre pour donner naissance au Loiret, trente kilomètres plus loin.
Cette
année- là, en 1812, la météo avait fait des siennes. Les bateaux
allant sur la Loire, furent pris au piège d'un terrible embâcle. Je
sais que beaucoup ignorent tout de ce mot dont seul le contraire, la
débâcle, est resté dans les têtes et encore, dans son acception
militaire, sportive ou économique. Les eaux de la Loire prises par
les glaces, formaient de véritables montagnes qui enserraient les
bateaux jusqu'à les écraser …
Louis
Groslier, dit Tibi, de Saint-Thibault-sur-Cher est un marinier allant
son train avec toute sa fortune embarquée sur son chaland et, quand
la catastrophe survient, il est pris au piège comme ses collègues.
L'homme n'a qu'une idée en tête, sauver son embarcation et les
marchandises qu'il transporte. Un naufrage sonnerait le glas de son
petit commerce de voiturier sur l' eau.
Pendant
plusieurs jours, par un froid sibérien, Tibi lutte sans relâche
contre la glace, en cassant l'étau solide qui se forme autour de
sa « Belle Marquise ». Sa gabarre résiste grâce à ses
efforts, aux dires des uns, beaucoup de chance, aux dires de
quelques autres, et ses prières à Saint Nicolas, selon ce brave
homme et ceux qui aiment à croire en la divine providence.
Louis
n'eut de cesse de psalmodier cette prière : « O grand Nicolas,
toi qui as protégé bien des fois, tous les naufragés, toi qui as
tendu la main à ceux qui étaient en péril sur les eaux furieuses,
écoute ma prière pour que ne soient pas engloutis par la Loire et
ses glaces, ton humble serviteur et son modeste rafiot. Si tu
exauces ma supplique, je dresserai ici, une croix en ton honneur ! ».
Le
miracle eut lieu; Tibi et son chaland furent les seuls épargnés de
ce train de bateaux où hommes et embarcations finirent engloutis.
Peu de temps après, l'homme tint sa promesse et vint planter une
croix qu'on peut voir encore. Reconnaissant d'avoir échappé à la
colère de la rivière, il remercia le Grand Saint Nicolas pour
l'aide précieuse qu'il lui avait accordée, tout en la refusant à
ses malheureux compagnons …
Il
était une fois....voici la seconde version, que seul un mécréant
peut vous servir ici. Le Gars Louis, dit Tibi la malice, était
certainement un bon compagnon mais un sacré coquin. En 1812, la
Gabelle, qui avait été supprimée en 1790, était de nouveau à
l'ordre du jour depuis 1806, rétablie par Napoléon premier . C'est
ainsi que Louis, pour améliorer l'ordinaire, trafiquait le sel.
C'était
un faux saunier amateur, un petit trafiquant qui cachait pour lui-
même, quelques livres de sel. Lors du terrible embâcle de 1812,
année affreuse s'il en est, le Saint Laurent au Canada et la Loire
chez nous sont pris par les glaces. Sont également prisonnières du
terrible hiver russe , les armées de Napoléon, je dis bien,
Napoléon, celui qui finalement sauvera indirectement Tibi.
Louis
Groslier s'activait comme un fou autour de son « soube »,
le troisième bateau sous voile d'un train de bateaux. Avantages non
négligeables: son bateau était moins grand que les deux premiers,
le chaland et le tirot, et plus solide aussi que les bachots qui
suivaient. Mais ce qui l'épargna à coup sûr, c'est son petit
commerce parallèle. En effet, pour combattre efficacement
l'extrême péril, il dut sacrifier sa réserve de sel de
contrebande. C'est ainsi qu'il fut aidé par la physique et non par
le Très Haut …
Quand
on est seul à échapper au naufrage, bien des jalousies se propagent
derrière votre dos. Louis le comprit bien vite et décida
d'attribuer à un complice incontestable et d'excellente réputation,
le miracle qui l'avait maintenu en vie. C'est donc en l'honneur de
Saint Nicolas qu'il planta une croix sur la levée. Ce geste brisa
net les plus vilaines rumeurs sur son compte et lui ouvrit les portes
de la postérité.
Il
fallait bien un Bonimenteur pour apporter ici son grain de sel. Nul
n'est obligé de croire en mon explication. Il n'y a que la foi qui
sauve et cette morale fort commode, a toujours été utile en bien
des cas mystérieux. Je vous accorde le bénéfice du doute et laisse
en paix la mémoire de ce brave homme. Puisse-t-il me pardonner
cette fantaisie sans autre ambition que de mettre en lumière, et
une histoire ancienne , et un peu d'épice dans celle-ci.
Saunièrement
sien.
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