jeudi 12 octobre 2017

Le ciel lui est tombé sur la tête.



« Lug, viens à son secours ! »



Par Toutatis, voilà bien ce qui devait lui arriver à force de réveiller les vieilles légendes celtes, les mages et les fées Carabosse. Il se pensait pourtant à l’abri du désastre : lui, qui avait la tête dans les nuages, il regardait tout ça avec distance et un petit sourire en coin. Il feignait de ne pas croire aux vieux dieux de notre Panthéon ligérien quand soudain Taranis fit tomber la foudre sur son crâne tourmenté …

C’est dans un bruit de tonnerre qu’il se réveilla en sursaut. C’en était fini de ses songes : les douces illusions finissent par se briser au contact du réel. La vie est ainsi faite qu’elle impose toujours des désillusions et des trahisons, des coups tordus et des reniements. Au chant du coq, l’affaire était réglée : il était déchu, tombé de son clocher d’en France pour trois écus et quelques seaux de ce son dont on nourrit les ânes.

Si un magnifique arc-en-ciel barrait alors le paysage au dessus de la Loire, c’était pour mieux faire flèche de tous bois. Il était pris pour cible, percé au cœur d’une étrange langueur. Il n’était plus rien qui puisse sauver le barde, ligoté et bâillonné ; il se retrouvait, une nouvelle fois, sur la branche d’un chêne, dernier gland de la récolte. Sa prose ne plaisait plus à qui l’avait jadis chantée.

Comment se relever dans pareilles circonstances ? Le ciel en tombant eut la délicate attention de lui accorder un rayon de Lune. C’est ainsi qu’il se libéra de ses entraves, qu’il découvrit enfin que rien ne valait la liberté et l’indépendance. À vouloir emprunter d’autres pas, à croire qu’il n’était pas assez grand pour côtoyer les étoiles, il avait obscurci son ciel et réduit son horizon. Les pieds nus ne suffisent pas quand ils se contentent de suivre les pas d’un autre.

Un ciel qui tombe si bas repousse au loin les nuages noirs et menaçants. Le voici sur un territoire neuf, un espace à réinventer. C’était ce qu’il fallait pour retrouver des ailes ; ses semelles s’étaient usées à trop traîner les pieds. Désormais, il avait le terrain dégagé et l’envie de brûler les étapes. La prudence cependant s’imposait à ce « raconteux » de fredaines : le risque était grand pour lui de devenir étoile filante, de celles qui se brûlent les ailes à la première occasion.

Le ciel mis à bas, il n’avait plus qu’à se bâtir un nouveau monde, un décor de légende et de mystère. Le temps était venu de déchanter pour ne plus se consacrer qu’aux histoires à dormir debout. L’absence de ciel dans la nue étant propice, il faut bien le reconnaître, à cet étrange dessein. Faire rêver les gens en plein jour, loin des projecteurs factices d’une scène où l’on ne fait que brûler les planches à son propre ego .

C’est dans le petit cercle des veillées d’autrefois que le conteur trouvera sa place. Le ciel lui en est témoin : il avait eu la folie des grandeurs, il poursuivait une inaccessible étoile. Se retrouver le nez dans le gazon était ce qu’il y avait de plus salutaire. Loin des grèves et rivages, le diseux de sornettes dut se réfugier dans la grande forêt des Carnutes. Même si un vénérable druide à la serpe d’or lui coupa l’herbe sous le pied, il reste encore des pissenlits avant que de les déguster par la racine. Il avait encore le temps ; lui qui aime tant à les savourer avec des œufs mollets, voilà qui lui faisait une belle jambe !

Merlin lui vint en aide. Un petit souffle de vent se fit brise légère. Elle repoussa tout ce fatras qui encombrait sa tête. Il redevenait homme nouveau, libéré de ses fardeaux. Une nouvelle existence se présentait à lui. Comme les chats noirs, il avait encore une dernière vie dans sa manche. Il pouvait enfourcher son balai pour voler vers cet ailleurs qui était souvent bien meilleur.

Tout cela n’est pas sorcier. Nul philtre ni potion. Ce que je viens de vous narrer n’est pas le fruit de son imagination ; notre homme n’a pas respiré les vapeurs du gui que l’on brûle. Le ciel lui est effectivement tombé sur la tête ; la preuve en est cette bosse qu’il arbore fièrement sur le crâne : un véritable œuf de poule aux œufs d’or qu’il s’est empressé de cacher dans sa bourriche à malice.

Il jouit de toute sa déraison ; il n’a plus de conte à rendre à personne. Il est désormais le seul maître à son bord. Compte tenu de son détestable caractère, c’est ce qui devait lui arriver de plus profitable. Il reprendra la route, débarrassé de ses doutes. C’est au pays des contes qu’il va poser ses valises, là où les rêveurs construisent des châteaux de Cocagne.

Célestement sien.

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