La
peinture à l'eau
Au
pays des menteries vraies et des vérités fausses, il est parfois
bon de rétablir ce qu'on a voulu nous cacher pour des raisons
obscures. Voilà pour ceux qui aiment à savoir, un petit récit au
fil du pinceau … Nous sommes en 1810 du côté de Sandillon. Cette
année-là la Loire fit une fois encore des siennes. Elle déborda
comme souvent elle aimait à le faire pour montrer aux hommes que
c'est bien elle qui mène le bal ici. La chose n'est hélas pas
extraordinaire. La belle prend ses aises, le pays doit s'y plier en
attendant qu'elle daigne retourner dans son lit.
Un
jeune homme de dix neuf ans, Théodore, vint passer quelques jours
chez un ami de la famille. Le pauvre garçon venait de perdre sa
mère, à peine deux années plus tôt. De l'héritage qu'il fit, il
se permit d'assouvir sa passion chevaline, histoire sans doute de
mettre sa carrière en selle. C'est d'ailleurs pour ce plaisir
équestre qu'il visita notre région.
Sa
vie avait depuis peu, pris un nouveau tournant. Il venait
d'abandonner son vieux professeur de peinture Carle Vernet,
spécialiste du thème équestre pour s'orienter désormais vers des
sujets de facture néo-classique. Si le cheval était sa passion, sur
ses toiles, il espérait représenter autre-chose. Théodore
cherchait sa voie et son style quand la Loire vint influencer
durablement l'artiste.
Au
pays, il y avait un restaurateur réputé, ancien marin au long cours
qui était venu poser son baluchon entre Loire et Sologne. Il avait
profité du pécule de la marine pour ouvrir une petite auberge qu'il
a appelée « Ma cambuse ! ». L'homme aimait à préparer
les poissons du fleuve et les gibiers des forêts si proches.
Théodore,
quoique cavalier émérite, appréciait fort se restaurer chez notre
cuisinier. Il avait un calepin sur lui afin de faire des croquis tout
en cherchant son style et son inspiration. Avec quelques morceaux de
pain et de bons verres de vin dans le ventre, il faisait des études
sur la « pratique » de l'auberge. Ce fut le moment que
les eaux choisirent pour venir à monter ! L'estaminet eut les pieds
dans l'eau et sa cuisine en fut toute chamboulée.
Quand
le calme revint, Théodore qui avait profité du désordre pour
cavaler en Sologne sans se soucier des tourments des gens du pays,
réapparut dans l'espoir de manger quelque chose chez le brave
cuisinier. La jeunesse du garçon, sa naïveté et son ignorance
aussi ne lui avaient pas permis de prendre conscience de la gravité
de ce qui venait de se passer ici.
Il
trouva un cuisinier en colère qui lui dit vertement : « Tu
veux manger mon gars alors que j'ai un radeau dans ma cambuse ! »
Effectivement, la Loire avait charrié là, une amoncellent de bois
qui faisait immanquablement penser à une embarcation d'infortune. Le
désordre qui régnait là, l'aspect apocalyptique des ravages que
peut provoquer l'eau furent pour lui une révélation …
Ce
fut le point de départ pour ce parisien bon teint. Il ouvrit les
yeux sur la détresse des gens du pays, il se passionna pour
l'histoire des catastrophes maritimes, il cherchait un sujet plus
grand alors, que l'inondation de Sandillon. En attendant, il passa
quelques jours à se mettre au service de ceux qui avaient tout
perdu tout en les observant avec un nouveau regard ...
Théodore
comprit et s'excusa de sa légèreté. C'est un homme nouveau qui
rentra à Paris. Des images s'imprégnaient en lui, il avait
également sa formidable collection de trognes des bords de Loire sur
ses précieux calepins. Il avait encore une exclamation, qui tournait
dans sa tête : « Un radeau dans ma cambuse ! ». Il
avait surtout ce ciel tourmenté de notre Val quand les eaux
s'encolèrent !
Voilà
comment peut naître un chef d'œuvre de la peinture française !
Théodore Géricault puisque c'est de lui dont il s'agit, s'intéresse
désormais aux drames maritimes. En 1818, il rencontre deux
survivants du naufrage de la frégate Méduse au large de côtes de
Mauritanie. Un an plus tard, le tableau qui fit sa gloire : « Le
radeau de la Méduse » fut exposé au Salon de 1819. Il lui a
demandé presque une année de travail.
En
regardant de très près, vous pourriez identifier des gens de
Sandillon. Le vieil homme du premier plan était un client très
assidu de l'auberge réputé pour des excès qui n'étaient pas
d'eau. D'autres se reconnaitraient aussi s'ils étaient encore de ce
monde. Il représenta inconsciemment sans doute, une de nos voiles
carrées. Observez, vous serez étonnés ! Voilà le fin mot de
l'histoire, vous n'avez nullement besoin de la croire !
Picturalement
vôtre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire